Intervention de Dominique Libault

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 9 février 2022 à 17h00
« face au changement climatique quel financement pour la sécurité sociale du 21e siècle ? » – Audition de Mme Nathalie Fourcade secrétaire générale du haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie hcaam et de Mm. Dominique Libault président du haut conseil du financement de la protection sociale hcfips et rémi pellet professeur de droit à l'université de paris et à sciences po paris

Dominique Libault :

– Je salue le sujet de cette mission d’information. Les questions de sécurité sociale commencent à être pensées en relation avec les enjeux environnementaux. Par ailleurs, directeur de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S), je peux vous indiquer que nous y travaillons.

Je vous propose une typologie des interactions entre sécurité sociale et transition environnementale.

Le premier enjeu est celui de l’impact de la protection environnementale sur la croissance économique, et donc sur le financement de la protection sociale. Faut-il rechercher de nouvelles ressources ou intégrer cette perspective d’une croissance durablement basse ? Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a revu ses prévisions d’évolution de la productivité à cette lumière.

Deuxièmement, le réchauffement climatique crée de nouveaux risques. Faut-il prévoir une nouvelle branche ? L’Organisation internationale du travail (OIT) évoque ces risques, l’Agence française de développement (AFD) également, car la problématique est amplifiée pour les pays émergents.

La troisième question est celle des risques sociaux générés par la transition environnementale elle-même, par exemple la tarification de l’énergie, face à laquelle la prime inflation est une première réponse. Ainsi, les difficultés de mise en place de la taxation carbone sont liées à ses effets sur les classes modestes.

Le quatrième sujet est moins identifié : comment les financements offerts par la protection sociale peuvent-ils prendre en compte les contraintes environnementales ? En effet, la sécurité sociale a de nombreux mécanismes de solvabilisation d’acteurs économiques les amenant à financer des investissements : hôpitaux, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), crèches, logement, etc., soit un tiers de la richesse nationale. Ces modes de solvabilisation ne devraient-ils pas intégrer la contrainte environnementale, ce qu’ils ne font quasiment pas aujourd’hui ?

Un exemple est celui des transports sanitaires : faute d’une stratégie du financeur, on n’arrivera pas à un transport propre. De même, dans le cadre du Ségur, on investit dans les Ehpad : quelles en sont les conséquences sur leur efficience énergétique et sur leur gestion des déchets ? La norme et l’action sur les prix sont des leviers bien identifiés pour la transition. Cependant, on en oublie les actions de protection sociale. Le rapport du Shift Project « Décarboner la santé pour soigner durablement » illustre ces problématiques.

Le cinquième sujet est celui de la santé environnementale liée aux accidents du travail et aux maladies professionnelles (ATMANS), par exemple pour les agriculteurs exposés à des produits toxiques, avec une dimension forte de prévention.

Enfin, le sixième est celui de l’anticipation des crises, ce que nous rappelle la crise sanitaire. Nous ne sommes pas à l’abri de crises nettement plus fortes, amenées par le réchauffement climatique, avec des catastrophes naturelles ou de façon plus indirecte. Notre système n’y est pas bien préparé. Faut-il faire des réserves financières ? Les pays qui en avaient avant la crise actuelle s’en sortent mieux. Il faut aussi anticiper les risques à venir.

Ces sujets doivent être traités, mais avec quels leviers ? Lesquels peut-on actionner de façon immédiate ? À ce stade se pose la question de la priorisation entre ces enjeux. Recherche, expertise et gouvernance : tels sont les trois sujets à traiter.

Ces sujets demeurent peu étudiés. J’ai lancé une étude via l’EN3S : le premier appel à projets est resté infructueux faute d’équipes pluridisciplinaires à même de travailler dessus. Il faut donc équiper la recherche.

Il y a ensuite un enjeu d’expertise sur ces sujets, notamment au sein des ministères : dans celui de la santé, elle est très faible. Ainsi, le Premier ministre m’a demandé un rapport sur le grand âge et l’autonomie, mais il n’y avait pas d’expertise au ministère pour travailler sur ce sujet. La dimension interministérielle est de plus encore trop absente de ces questions. Il faudrait doter tous les ministères, notamment celui de la santé, dans ce domaine.

Enfin, sur la gouvernance, comment s’assurer de la cohérence des stratégies ? Nous n’y sommes pas. Le Ségur, bien qu’il comprend des investissements, n’a presque pas de dimension environnementale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion