Intervention de Nathalie Fourcade

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 9 février 2022 à 17h00
« face au changement climatique quel financement pour la sécurité sociale du 21e siècle ? » – Audition de Mme Nathalie Fourcade secrétaire générale du haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie hcaam et de Mm. Dominique Libault président du haut conseil du financement de la protection sociale hcfips et rémi pellet professeur de droit à l'université de paris et à sciences po paris

Nathalie Fourcade :

– Je m’associe aux propos de Dominique Libault. La question que vous posez est importante et le besoin d’expertise et de recherche est criant. Le HCAAM réfléchit depuis plusieurs années à une organisation du système de santé compatible avec son époque. Longtemps, le système de santé a été le reflet la société, avec initialement les hospices dans une société catholique, et un bouleversement par les réformes Debré après-guerre. Celles-ci ont marqué la concentration des soins dans de grands organismes et une production centralisée de médicaments, liées au progrès technologique et à la société de consommation de masse.

Le Haut Conseil s’est prononcé depuis 2018 pour une rupture dans le modèle d’organisation des soins, et présente des pistes dans sa contribution à la stratégie de transformation du système de santé.

Je souhaite insister sur la mobilisation des outils externes au système de santé avec, en lien avec le rapport du Shift Project, la nécessité de proposer les prises en charge les plus sobres possible, écologiquement et financièrement. À cet égard, la prévention est le meilleur moyen de la sobriété. Or, historiquement, la France met l’accent sur les soins médicalisés et les déterminants individuels au détriment de la protection collective.

Or, des progrès importants, notamment en épidémiologie, objectivent l’incorporation biologique du social, c’est-à-dire l’impact de l’environnement sur l’état de santé. Les expositions exogènes, comme le tabac et l’alcool, sont connues. Cependant, les expositions endogènes, dont celles liées aux évènements de vie et aux relations sociales, ont une forte importance. En particulier, Wilkinson et Pikett démontrent que le niveau de vie social est crucial pour comprendre ces expositions. Le stress génère des processus physiologiques qui ont un impact sur la santé, et l’éclatement de l’échelle des revenus a un impact négatif sur l’état de santé de l’ensemble de la population.

On retrouve aussi les travaux du prix Nobel d’économie Angus Vitton, avec Ann Case, sur la stagnation, voire la baisse chez certaines populations blanches des États-Unis, de l’espérance de vie dans les pays développés. Ils mentionnent les morts du désespoir liées aux suicides, à l’alcool, à l’obésité, etc.

Les actions de prévention demeurent donc trop individualisées et tournées vers les soins. Une étude montre pourtant la forte efficacité et le faible coût des actions de prévention tournées vers l’environnement, dont certaines comme la taxation des comportements à risque apportent même des revenus.

Il faut éviter les maladies ou, une fois la maladie déclarée, favoriser les traitements les plus rapides et économes possibles. La pyramide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la santé mentale, applicable à la santé en général, montre l’importance de l’autosoin, au coût très faible, et des soins informels au sein de la communauté, avec par exemple l’activité physique, le rôle des enseignants, etc. Or, ces deux dimensions sont jusqu’à présent négligées dans notre pays : on peut comparer la France à l’Australie, qui a mis l’accent sur ces deux piliers en raison de l’éloignement des ressources médicales.

Il importe de présenter ce modèle comme positif et aidant les gens à aller mieux. Par exemple, dans l’alimentation, le plaisir est associé à la mauvaise santé. Il faudrait au contraire associer l’alimentation saine et le plaisir, avec par exemple des cours collectifs de cuisine, plutôt que de lui donner une dimension punitive.

Une fois qu’on a recours au système de soins, la prise en charge doit être sobre. Le Shift Project donne une analyse des émissions de carbone du système de santé, avec en premier lieu les achats de médicaments et de dispositifs médicaux. La trajectoire de réduction du carbone qu’il propose passe par des plans de mobilité et de rénovation technique, mais aussi de relocalisation de la production des médicaments et des dispositifs. Celle-ci a un double effet de réduction des transports et d’observance de normes plus respectueuses de l’environnement.

Il faut ensuite réduire la consommation de médicaments : l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans un rapport de 2017, dénonce ce gaspillage. Par exemple, la France a une très forte consommation d’antibiotiques, deux fois plus que l’Allemagne, et d’anxiolytiques, en particulier en Ehpad. Le lien entre surprescription et mésusage est avéré, mais des leviers existent pour réduire le coût financier, l’empreinte carbone et l’effet négatif pour la santé.

En conclusion, beaucoup de travaux restent à mener, notamment d’évaluation. Les problématiques financières sont réelles. Le rapport du HCAAM préconise en tout cas une trajectoire explicite et démocratique pour le système de santé, avec les moyens qui y sont associés.

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