Tout d'abord, il me semble que, pour des raisons historiques, il est extrêmement difficile de concurrencer la place de Londres. Paris se trouve dans le même fuseau horaire : les grands capitaines d'industrie issus des pays émergents, qu'ils soient asiatiques ou latino-américains, adorent notre capitale pour y faire du shopping. A cet égard, nous aurions pu faire en sorte que Paris reste un grand centre du marché de l'art ; nous aurions pu empêcher qu'elle ne perde ce statut si nous avions bien agi ! Toutefois, dans le domaine financier, c'est plus difficile. La langue est une donnée absolument essentielle et la synergie américano-londonienne joue un rôle très important. Il est vrai aussi que la City de Londres s'est donné les moyens nécessaires, grâce à des systèmes, en particulier fiscaux, qui restent formidablement attractifs, même s'ils le sont moins aujourd'hui que naguère. J'ai vécu à Londres pendant trois ans et je peux vous le dire : il existait alors un statut de résident non domicilié qui, je crois, a été corrigé depuis lors. Il se fondait sur un mécanisme dit « de rémittence », l'impôt n'étant payé au Royaume-Uni que sur les sommes rapatriées. Les autres sources de revenus, comme les intérêts ou les dividendes, n'étaient pas taxées au Royaume-Uni. Comme le système fiscal français est lié à la résidence, il existait un vide juridique qui, en toute légalité, permettait aux gens d'être beaucoup moins imposés. Au fond, plus ils gagnaient d'argent, moins ils étaient taxés.
Ensuite, la place de Londres bénéficie de la densité de son système financier. Pourquoi les hedge funds ou les fonds de private equity se sont-ils installés à Londres ? Parce que nous avons beau être dans le monde de l'internet, aller au pub boire ensemble des bières le soir reste très important. Il existe une sorte de consistance très forte du marché britannique.
En France, Paris Europlace a accompli d'importants efforts. Néanmoins, nous n'avons pas l'avantage de la langue, même si nous avons jusqu'à présent des banques de grande qualité. Quelques métiers peuvent être exercés à partir de Paris de manière efficace, mais nos banques ont besoin d'être à Londres. Quand j'étais chez HSBC, j'ai connu cette situation quelque peu paradoxale : nos activités de marché étaient plus substantielles à Paris qu'à Londres, alors que les banques françaises avaient plutôt tendance à s'installer outre-Manche. En effet, comme nous étions déjà implantés à Paris, nous en avions fait aussi le centre d'une série d'activités de marché.
Par ailleurs, il faut être très attentif aux mesures qui seraient prises, en particulier dans le domaine fiscal, et dont l'annonce semble avoir déjà conduit un certain nombre de cadres dirigeants à beaucoup s'interroger, à tout le moins... De telles décisions peuvent avoir des effets sur la localisation des activités elles-mêmes. Il faut donc être très vigilant. A titre personnel, je comprends parfaitement la question fiscale qui est posée. Au cours des vingt dernières années, nous avons observé à la fois une croissance des inégalités et un certain désarmement fiscal vis-à-vis des personnes capables de s'enrichir. En tant que citoyens, nous sommes donc conduits à estimer que quelque chose ne va pas. Toutefois, l'exercice a ses limites et il faut être très attentif aux décisions prises, parce qu'elles peuvent avoir des effets très importants, dont on ne s'aperçoit pas toujours immédiatement.
Dans une entreprise française, il peut y avoir des dirigeants qui sont des ressortissants étrangers et des dirigeants de filières situées dans des pays étrangers qui sont français. Ceux-là peuvent avoir vocation à devenir les patrons opérationnels du groupe à Paris, par exemple. Or ils risquent de s'interroger sur l'opportunité d'un retour en France, de se demander si tel est bien leur intérêt. Il faut le reconnaître, quand on est en politique - et j'ai adoré ce monde, même si je l'ai observé d'assez loin -, on a un appétit pour le pouvoir. Et quand on n'a pas le pouvoir politique, on a légitimement un appétit à bien gagner sa vie ! Les problèmes apparaissent quand on mélange les deux, me semble-t-il.
Il faut être vigilant sur ce point, je le répète. Le monde est fait de gens qui ont envie de réussir et de gagner de l'argent. C'est d'autant plus vrai dans un certain nombre de pays émergents où l'activité explose. Il faut accepter le principe de réalité, qui s'impose à nous aujourd'hui, dans un monde difficile.