Intervention de Éric Fourel

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Eric Fourel avocat au barreau des hauts-de-seine avocat associé en charge d'ernst & young société d'avocats

Éric Fourel, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, avocat associé en charge d'Ernst & Young Société d'avocats :

Il est sûrement possible d'optimiser certaines choses, mais, en définitive, c'est une opération arithmétique simple que de multiplier l'assiette par le taux de l'impôt.

Pour ce qui est des grands groupes, je ne suis pas sûr que ces comparatifs retiennent véritablement la bonne assiette par rapport au bon impôt : l'impôt retenu est rattaché aux comptes consolidés. Or des écarts existent entre le bénéfice comptable, social et les bénéfices consolidés.

Je suis tout simplement en train de vous dire que la rationalisation de ces écarts mériterait un examen beaucoup plus détaillé que je ne l'ai fait. Je ne suis pas certain que l'écart serait aussi important que cela si l'on comparait des choses strictement comparables.

Cela étant, comme je le mentionnais dans mon propos liminaire, à partir du moment où une entreprise est en phase d'expansion à l'international, notre système fiscal, à l'instar d'autres systèmes, autorise certaines déductions de l'assiette fiscale française : cela favorise cette expansion à l'étranger sans que les produits correspondants soient taxables en France.

L'exemple le plus criant est évidemment celui des charges financières qui sont encourues pour acquérir une filiale à l'étranger, pour acheter un groupe étranger : ces charges financières sont déductibles de l'assiette française alors que le résultat correspondant sera taxable localement et pourra éventuellement être rapatrié sous forme de dividendes, qui seront exonérés à hauteur de 95 % en France.

Je ne dis pas que cette source soit la seule possible ; c'est l'une des sources importantes qui ont permis aux groupes français de diminuer leur charge fiscale par rapport à leur assiette normative française.

Une question se pose : cet avantage, qui se retrouve ailleurs et a permis l'expansion, parmi d'autres éléments, de certains groupes à l'étranger, est-il une bonne ou une mauvaise chose ? Chacun pourra se faire son opinion.

Personnellement, je pense que la politique industrielle de la France et l'état de centralisation de notre pays ont beaucoup favorisé l'émergence de grands champions mondiaux. Mais notre politique fiscale y a aussi participé : je pense au régime des sociétés mères et à la capacité de rapatrier des dividendes en quasi-exonération d'impôts, en vigueur depuis avant même la seconde guerre mondiale mais aussi à la fameuse « niche Copé », qui n'est ni plus ni moins qu'un alignement sur ce qui se pratique partout en Europe, à savoir l'exonération des plus-values sur titre de participation, outil beaucoup plus récent qui a favorisé cette expansion à l'étranger.

L'article 39 terdecies portant sur les redevances de propriété industrielle, dont le dispositif remonte à 1965, a participé également à cette expansion.

Le bénéfice mondial consolidé, supprimé l'été dernier, a constitué un outil majeur d'expansion des grands groupes français qui en ont profité à l'étranger.

Notre politique fiscale n'est pas le seul levier, mais je reste intimement convaincu qu'elle a favorisé le renforcement de notre politique industrielle dans les années soixante et au-delà, et que nous en avons tiré un certain nombre de bénéfices en faveur de notre puissance économique.

Votre dernière question, monsieur le sénateur, portait sur les actionnaires et le management.

Je ne dispose pas d'éléments de réponse récents qui me viennent spontanément à l'esprit, mais je vous répondrai d'un point de vue historique.

En réalité - et c'est l'un des aspects dont les uns et les autres n'ont pas nécessairement conscience - le système de l'avoir fiscal qui a été supprimé en 2005 opérait comme un outil de convergence entre les intérêts des actionnaires et ceux du management, aux fins de localisation d'une base taxable importante, en tout cas dans une proportion nécessaire en France. Pourquoi ? Parce que le système de l'avoir fiscal envers les actionnaires, avoir fiscal qui était remboursé, y compris aux actionnaires non-résidents, notamment aux fonds de pension américains, s'appliquait aux bénéfices qui avaient été taxés en France au taux normal. Les bénéfices étrangers qui, éventuellement, étaient redistribués, pouvaient également donner droit à un avoir fiscal, mais il fallait payer un précompte qui, en fait, était l'équivalent de l'impôt sur les sociétés.

Par conséquent, par rapport à une politique de distribution autour de laquelle s'entendaient les actionnaires et le management d'un groupe - grosso modo 30 % du résultat consolidé d'un groupe destiné à servir le dividende des actionnaires -, il était de bonne politique fiscale à cette époque que l'assiette correspondante soit localisée en France, parce qu'elle permettait de procéder à des distributions avec un avoir fiscal directement octroyé aux actionnaires ou remboursable aux actionnaires non-résidents.

En 2005, on a supprimé le régime de l'avoir fiscal, parce que l'on craignait que l'Union européenne n'oblige la France à octroyer un avoir fiscal y compris pour les bénéfices qui étaient réalisés dans d'autres États membres. Depuis la suppression de l'avoir fiscal, les entreprises n'ont plus d'incitation naturelle à dégager un résultat imposable en France correspondant au moins au résultat qu'elles vont redistribuer.

Vous voyez donc comment des mécanismes peuvent évoluer, être modulés et se traduire de façon surprenante par rapport à l'objectif initialement visé.

En tout cas, aujourd'hui, il y a beaucoup moins de tensions entre les actionnaires et le management, puisque les premiers comme le second ont un intérêt commun, la maximisation de valeur pour l'entreprise, en vue soit d'accroître son autofinancement, soit de maximiser la politique de redistribution à l'égard des actionnaires ; de toute façon, elle obéit aux mêmes leviers fiscaux.

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