Intervention de François de Rugy

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 7 février 2023 à 18h05
Audition de M. François de Rugy ancien ministre de la transition écologique et solidaire

François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et solidaire :

Je ne sais pas si je pourrai répondre dans le temps imparti à toutes vos questions, d'autant que j'en ajouterai quelques autres.

En effet, sur les sujets écologiques, comme sur d'autres sujets, il faut, avant tout, savoir ce que l'on veut : cherche-t-on à favoriser ce qui est le plus efficace - ce qui implique de déterminer comment se mesure cette efficacité, par le nombre de tonnes de CO2 économisées chaque année, par l'énergie totale économisée, etc. - ou ce qui est le plus symbolique, c'est-à-dire le plus efficace médiatiquement et politiquement ? Selon moi, il faut rechercher ce qui est le plus efficace, même si ce n'est pas ce qui a le plus de succès politique ou médiatique. Or, quand on est ministre, on est sans cesse confronté à ce double questionnement et, d'après ce que je peux observer, je constate que cela n'a pas changé et que, malheureusement, le plus symbolique l'emporte très souvent et largement sur le plus efficace.

Autre question de fond et récurrente : cherche-t-on des politiques incitatives, notamment fiscales, comme le crédit d'impôt - j'y reviendrai, cela a été un débat très vif lorsque j'étais ministre - ou contraignantes, sous la forme d'obligations légales et réglementaires ou de contraintes fiscales ? Je fais ici référence à la taxe carbone, contemporaine, vous vous en souvenez, du mouvement des « gilets jaunes ». Les obligations légales, réglementaires, sont souvent difficiles à faire accepter ; on en a eu des exemples concrets. Selon moi, il faut combiner obligation et incitation ; l'incitation seule ne suffit pas à atteindre des objectifs importants et l'obligation seule rencontre trop de résistance chez les citoyens.

Troisième questionnement : l'efficacité vient-elle de la constance de la politique menée ou de la capacité de changer, de se remettre en question sans cesse ? À mon sens, on devrait privilégier davantage de constance et avoir plus la mémoire de ce qui a été fait, de ce qui a fonctionné ou non. Or, quand j'étais ministre, je voyais que l'on continuait de vouloir essayer des dispositifs que j'avais vu passer, dans un sens ou dans l'autre, lorsque j'étais député, dont on connaissait pourtant le niveau d'efficacité ou d'inefficacité. Je pense par exemple aux effets de balancier sur les crédits d'impôt.

Par ailleurs, contrairement à ce que croient beaucoup de citoyens et que propagent nombre de médias et de responsables politiques, les élus, à commencer par le Président de la République, les ministres et les députés d'une majorité, cherchent à mettre en oeuvre les promesses électorales qu'ils ont faites. Je pense notamment à la volonté exprimée en 2017 de faire sortir du marché de la location les passoires thermiques. Comme souvent, la rédaction n'était pas très précise - les promesses électorales le sont rarement - et c'est à ce sujet que nous nous sommes heurtés à beaucoup de difficultés.

Autre élément qui intervient toujours : le contexte budgétaire.

Tous ces éléments ont sous-tendu mon action comme ministre, même si celle-ci ne s'est déroulée que sur dix mois.

Soyons maintenant plus concrets, pour ce qui concerne le premier mandat d'Emmanuel Macron, mais on peut aussi évoquer ce qui s'est passé avant et après.

Quand j'ai été nommé, j'ai été d'emblée confronté à un problème de négociation budgétaire. En effet, j'ai été nommé début septembre, peu avant que le projet de loi de finances ne soit présenté en conseil des ministres puis au Parlement. Il y avait, entre le ministre chargé des comptes publics et mon prédécesseur puis moi-même, un débat sur ce qu'il devait advenir du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et sur ce que l'on devait y mettre. Il s'agissait donc d'un double débat.

On le sait, les ministres budgétaires veulent toujours réduire le volume des crédits d'impôt, en proposant de « resserrer les critères », au nom de la solidarité - il ne faudrait pas subventionner des gens qui ont de toute façon les moyens de faire sans le crédit d'impôt - et de l'écologie - les travaux, ou les « gestes », les moins efficaces ne doivent pas être subventionnés -, car les budgétaires sont habiles pour reprendre et remanier les arguments de ceux qu'ils ont face à eux. À l'époque, par exemple, il y avait un débat sur les fenêtres, la « crise des fenêtres », si j'ose dire. Il avait été décidé avant mon arrivée de « sortir » les fenêtres du crédit d'impôt, au motif que ces travaux étaient moins efficaces du point de vue de la baisse de la consommation d'énergie ou des émissions de gaz à effet de serre. Or, indépendamment du débat entre symbolique et efficacité, il y a de fait un ressenti à cet égard, car la première chose à laquelle bien des gens pensent pour l'efficacité énergétique, ce sont les fenêtres, pour une raison simple : quand on s'approche d'une fenêtre de simple vitrage ou dégradée, on sent le froid en hiver. En outre, ce sont des travaux simples à réaliser et, d'ailleurs, les artisans du bâtiment ont été très actifs pour militer contre la suppression de ce crédit d'impôt. Pour ma part, je pensais que cette sortie était un peu brutale.

Je me souvenais que, sous d'autres gouvernements, chaque fois que l'on subventionnait, dans le cadre d'une politique incitative, des travaux de rénovation énergétique des logements, s'il y avait plusieurs types de travaux - un « bouquet » de travaux -, c'était plus efficace, mais aussi plus complexe, donc il y avait moins de gens enclins à se lancer dans des travaux. Mais les budgétaires aiment bien cela, car cela permet de réduire la dépense. Je l'avais connu antérieurement, avec le crédit d'impôt pour le développement durable (CIDD), en tant que député commissaire des finances. Je plaidais pour ce que soit équilibré : il ne faut pas que ce soit trop complexe et il faut que ce soit accessible.

Un crédit d'impôt, contrairement à une réduction, tout le monde peut en bénéficier, même ceux qui ne sont pas assujettis, mais, si l'on réserve ce crédit d'impôt à ceux qui ont de faibles moyens, très peu de travaux se feront, car les gens prêts à s'engager dans des travaux sur leur logement appartiennent en réalité à des tranches fiscales plus élevées. Alors, oui, cela conduit à subventionner des gens qui ont des moyens, mais c'est efficace. Et, cela, c'est facile à évaluer. De là est née l'idée de réformer le système, qui a conduit à MaPrimeRénov', un autre type de dispositif, qui a d'ailleurs donné lieu à un débat sur son ciblage, car on voulait « faire du chiffre », ce qui est normal, puisque l'on veut obtenir une certaine efficacité sur la réalité des économies d'énergie.

Sur la taxe carbone, je ne m'appesantirai pas, mais le signal consistant à stopper net une perspective d'augmentation du prix des énergies fossiles par la taxe et non par le marché, comme cela se produit actuellement - je le rappelle, le prix de l'énergie était encore très faible il y a cinq ans, avec le mégawattheure à moins de 50 euros et un accès régulé à l'électricité nucléaire historique, à 40 euros, qui n'était même pas intéressant pour les acheteurs en gros -, ne me paraît pas opportun. Envoyer un signal dans la constance, donner une perspective dans la durée, selon laquelle on veut sortir des énergies fossiles, c'était un outil.

Le débat n'a malheureusement plus lieu et il n'est plus d'actualité, le prix des énergies fossiles étant très élevé, mais, plutôt que de se demander si l'on maintenait le dispositif ou si on l'arrêtait, on aurait dû travailler à des mécanismes d'adaptation aux réalités du marché, en gardant cette perspective. Là, on envoie un signal général qui n'est pas bon pour les économies d'énergie et pour la réduction des énergies fossiles. Cela a été tranché et, aujourd'hui, quasiment aucun courant politique ne propose, me semble-t-il, d'évoluer sur cette question. Il est pourtant dommage que l'on soit paralysé en France sur ce sujet, car c'est un sujet de fond. Au passage, j'avais constaté immédiatement le résultat de cet abandon sur les réseaux de chaleur, lorsque des projets de chauffage au bois ont été remplacés par du chauffage au gaz, qui était devenu moins coûteux. Les conséquences sont très concrètes.

Nous devions gérer la promesse d'Emmanuel Macron, candidat que j'avais soutenu, de sortir les passoires thermiques du marché de la location. Bien sûr, dit ainsi, tout le monde est d'accord. Mais, quand on entre dans le détail, on se heurte à des obstacles. J'avais d'ailleurs déjà constaté ces obstacles dans le passé, en voyant notamment des associations de solidarité, comme la Fondation Abbé-Pierre ou d'autres, militer contre de telles propositions au motif qu'elles auraient pour conséquence d'évincer trop de logements, souvent loués à bas coût, du marché de la location. Il n'y avait pas tellement de débat au Parlement ni dans l'opinion sur ce sujet, à l'époque. Globalement, le ministre du logement s'y opposait - je ne sais pas si vous l'entendrez, mais je pense qu'il ne contestera pas cette affirmation -, donc nous avons dû chercher d'autres solutions.

Ainsi, dans la loi Énergie-climat, que j'ai préparée en tant que ministre, j'ai défendu l'idée d'une mesure touchant non pas la location, mais la vente, et je proposais que l'on s'inspire de ce qui existait pour l'assainissement ; quand on vend un bien non relié à l'assainissement collectif - c'est-à-dire doté d'une fosse septique - et dont les installations ne sont pas aux normes, soit le vendeur fait les travaux de raccordement ou de mise aux normes, soit une somme tirée de la vente est mise sous séquestre lors de la signature de l'acte notarié, à charge pour l'acheteur de faire les travaux requis dans un délai fixé dans l'acte. Je l'ai vu comme élu local à la communauté urbaine et à la Ville de Nantes, cela fonctionne bien. Je proposais donc de faire de même pour les passoires thermiques en habitat individuel. J'ai obtenu un arbitrage favorable du Premier ministre, mais le ministre du logement de l'époque n'y était pas favorable non plus et j'ai vu fleurir à l'Assemblée nationale des amendements, y compris de la majorité, pour supprimer cette mesure, qui, finalement, a été abandonnée.

Je le déplore, car, je ne suis pas contre l'économie de marché, mais je pense qu'il faut l'encadrer, et ce système permettait justement de gérer le problème dans le cadre du marché, en imposant une mise aux normes à chaque vente. Nous avions élaboré des statistiques très précises sur le nombre de personnes et de logements concernés. De mémoire, je crois qu'il y avait de l'ordre de 500 000 maisons individuelles qui étaient des passoires thermiques - classées F et G, je pense - appartenant à un propriétaire occupant ayant des revenus modestes. On pouvait donc accompagner ces 500 000 foyers, d'autant qu'il ne s'agissait pas de tout traiter du jour au lendemain, puisque cela se faisait au fur et à mesure des ventes. Je ne sais pas si cette idée reviendra, mais je vous la livre...

Finalement, notre promesse sur le marché de la location a été mise en oeuvre dans le cadre de la loi Climat et résilience, car elle était ressortie lors des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Je revendique, au moins en partie, la paternité de cet organisme. Le Gouvernement n'y était pas favorable, me semble-t-il ; je crois même pouvoir dire que, au sein de l'exécutif, seuls le Président de la République et moi la défendions. L'une de ses missions expresses était celle-ci : rechercher une solution, acceptable par les citoyens, à l'impact des logements sur le climat. Du reste, nous avons voté - j'étais alors député - cette mesure, non sans débat, et ce qui était prévu s'est en partie produit, même s'il est encore un peu tôt pour le dire : un certain nombre de logements ont été retirés de ce marché. On les a retrouvés, paraît-il, sur le marché de la vente, donc le mouvement passe par le biais du marché, ce qui contraindra les acheteurs à y remédier s'ils veulent louer leur bien. Il faudra suivre ce point dans l'évaluation, car il ne faudrait pas envisager quelque évolution du dispositif avant d'en faire l'évaluation.

C'est la contribution principale, sur ce sujet, de la Convention citoyenne pour le climat. Pour ma part, j'ai été par ailleurs quelque peu déçu de ses autres résultats.

Je crois qu'il y a une question générale sur le financement. Depuis quelques années, on ne manque pas de financement privé sur ce sujet. On se focalise sur le financement public - crédits d'impôt, subventions -, mais le logement, à part le logement social, qui est en partie autofinancé et en partie financé par des fonds publics, relève avant tout de la mobilisation du financement privé : épargne individuelle ou crédit bancaire. Nous vivons depuis des années avec des taux d'intérêt très bas et, même s'ils remontent quelque peu, ils sont toujours inférieurs à l'inflation ; c'est une ressource importante. Les tiers financements doivent aussi être considérés, peut-être plus sur l'habitat collectif qu'individuel ; c'est à mobiliser. Bien sûr, il y aura toujours de l'argent public, mais ce n'est pas par l'inflation du financement public que l'on résoudra le problème. Et il y aura toujours une part, selon moi, de contrainte légale, réglementaire.

C'est la combinaison de tous ces moyens, en agissant dans la durée, qui permettra d'obtenir des résultats.

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