Intervention de François de Rugy

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 7 février 2023 à 18h05
Audition de M. François de Rugy ancien ministre de la transition écologique et solidaire

François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et solidaire :

En matière d'écologie, il faut viser des changements profonds ; ce ne sont pas avec de petits changements que l'on réglera le problème des émissions de gaz à effet de serre. Or le logement et le bâtiment tertiaire représentent, en gros, un tiers de ces émissions ; c'est donc un sujet majeur, avec les transports. En revanche, pour que ces changements soient durables, ils doivent être progressifs ; je ne crois pas aux changements brutaux, surtout en matière de logement, et c'est encore plus vrai quand on est propriétaire. Si l'on n'intègre pas cette donnée dans la réflexion, on n'arrivera pas à être efficace.

Il paraît tout à fait logique à nombre de propriétaires occupants d'injecter de l'argent, éventuellement des sommes importantes, pour procéder à des rénovations d'agrément de leur logement - peintures, sols, nouvelle salle de bains, etc. -, et je le dis sans jugement de valeur ; d'ailleurs, il n'est pas rare qu'une personne achetant une maison ne soit pas choquée à l'idée d'investir 100 000 euros dans sa rénovation. Néanmoins, on n'a jamais réussi à susciter le même raisonnement sur l'efficacité énergétique, y compris chez des personnes sensibles à la question, alors même qu'un logement bien isolé est plus agréable. Il faudrait y travailler.

Par ailleurs, les Français aiment les crédits d'impôt, particulièrement en matière de logement. Je l'ai observé, dès que l'on a resserré l'accès au crédit d'impôt pour l'investissement locatif, ce type d'investissement a fortement baissé. Bercy déteste les crédits d'impôt, car c'est une dépense non limitée, mais il faut reconnaître que c'est efficace, cela déclenche le comportement espéré. Cela s'explique par la détestation des Français pour l'impôt, notamment l'impôt sur le revenu.

Mais, sur les logements individuels comme sur les copropriétés privées, qui fera l'audit énergétique ? Je parle non pas d'un simple diagnostic de performance énergétique (DPE), mais d'un véritable audit. Il est difficile d'imposer ce diagnostic pour avoir un crédit d'impôt, mais il faudrait y réfléchir. Ensuite, qui fait cet audit ? Des majorités de gauche, y compris dont j'étais, ont phosphoré sur le « service public de l'efficacité énergétique ». Personnellement, je n'y ai jamais cru : ce n'est pas en multipliant les services publics sur un sujet si difficile que l'on y arrivera. Cela exigerait en outre de recruter des dizaines de milliers de personnes partout sur le territoire. J'ai pu l'observer dans une communauté de communes de 50 000 habitants, son service de l'efficacité énergétique traitait 100 logements par an. À ce rythme-là, il lui aurait fallu cent ans pour traiter tous les logements ! J'exagère à peine...

Pour ma part, comme ministre, je plaidais - cela peut passer pour libéral, mais je l'assume - pour un appel aux opérateurs privés : on lance un appel d'offres, en faisant des lots de 50 000 ou 100 000 logements - puisque l'objectif est de rénover 500 000 logements par an -, et les opérateurs sont rémunérés sur le résultat en termes d'économies d'émissions de gaz à effet de serre et de performance énergétique. Ils font l'audit énergétique, recommandent les travaux à faire, voire les réalisent pour le compte du propriétaire et gèrent les subventions. D'ailleurs, on le fait pour les chaudières. Même dans un gouvernement comme celui d'Emmanuel Macron, on m'a rétorqué que, plutôt que de faire appel au privé, il fallait confier cette tâche à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), mais cela ne peut pas marcher. Cette agence est pertinente pour les copropriétés dégradées, mais en petit nombre. On a augmenté les crédits de l'Anah, mais cela n'a pas été suivi d'effets dans la réalisation. Je ne prétends pas proposer une recette miracle, mais je pense qu'on devrait creuser cette hypothèse...

Enfin, lorsque j'étais ministre, le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré lors d'une matinale radio que nous envisagions de sortir des chaudières à fioul dans les logements individuels - 3 millions de logements auraient été concernés - sans compter les chaufferies collectives au fioul, notamment dans les bâtiments publics, y compris dans des mairies qui se disent très à la pointe sur le sujet. Cela représentait trois millions de petites centrales thermiques. Nous voulions supprimer les centrales thermiques, il fallait donc les supprimer dans les logements. Des solutions existent : pompe à chaleur, gaz - avec une meilleure performance énergétique -, et bois. Vous pourriez l'interroger, je crois qu'il a été un peu traumatisé par cet épisode. Ce fut un tollé général : on pensait qu'on voulait interdire ces chaudières au fioul, alors qu'on ne voulait plus en réinstaller.

Le sujet est revenu ensuite, mais ce n'est pas pour cela qu'il est réglé. Heureusement, il y a des actes concrets. Pas besoin de réaliser un audit énergétique important, il suffit de remplacer les chaudières qui tombent en panne ou sont en fin de vie. À l'époque, on nous déclarait que nous allions remettre des « gilets jaunes » sur les ronds-points, argument qui emportait tout de la part des défenseurs des chaudières au fioul. Certes, le changement ne se fait pas en un jour, mais des solutions techniques existent. Oui, une pompe à chaleur coûte plus cher, de même qu'une chaudière gaz haute performance. Il n'y a pas du gaz partout, mais il y a de l'électricité partout en France, et le bois est une ressource pouvant être française. Je regrette que nous n'ayons pas pu avancer plus vite. Ce sont des changements qu'il faut faire progressivement, et qui sont durables et utiles.

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