Intervention de Ségolène Royal

Commission d'enquête Rénovation énergétique — Réunion du 7 février 2023 à 18h05
Audition de Mme Ségolène Royal ancienne ministre de l'écologie du développement durable et de l'énergie

Ségolène Royal, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Je suis très honorée d'être devant vous pour évoquer cet important sujet qui m'a toujours passionnée et mobilisée. Vous avez l'expérience des actions locales.

Lorsque je suis arrivée à ce ministère, j'avais déjà tenté, parfois avec succès, à faire de ma région une région d'excellence environnementale. En 2004, lorsque je suis arrivée à sa tête, j'ai construit le premier lycée à énergie positive : un lycée professionnel à côté de Poitiers, que j'ai nommé lycée Kyoto. Toutes les opportunités sont bonnes pour apprendre, et j'ai voulu reprendre le nom du premier protocole sur le climat. Il utilisait des énergies renouvelables, prévoyait la récupération des eaux de pluie, avait une bonne isolation et une bonne performance énergétique...

À mon arrivée au ministère, j'avais déjà vu quels étaient les opportunités opérationnelles et les freins à la rénovation énergétique, notamment pour le logement social ; cela devait être pareil dans vos territoires. À l'époque, on supprimait les cheminées des logements sociaux en milieu rural. Lors de mon enfance dans les Vosges, on se chauffait au bois et les chambres n'étaient pas chauffées. On apprenait les économies d'énergie... Cela paraît relever du siècle dernier. J'avais demandé de laisser les cheminées, mais on m'opposait les risques d'incendie. Mais en milieu rural, les gens savent parfaitement se chauffer au bois : cela fait des générations qu'on le fait.

Au ministère, j'avais eu plaisir à relancer la filière du bois de chauffage et la cogénération. Ce sont des filières formidables, et la France a un potentiel forestier très important.

Je me suis dépêchée de faire voter la loi de transition énergétique pour la croissance verte avant la COP21, afin que la France soit exemplaire et anticipe les contraintes de la COP dans notre propre stratégie nationale et dans notre stratégie bas-carbone.

Cette loi visait trois objectifs : lutter contre le réchauffement climatique, réduire la facture énergétique - le déficit de la balance commerciale s'élevait à 70 milliards d'euros - et développer des filières de compétitivité et d'innovation dans ce domaine, avec deux leviers opérationnels - l'international et le local.

Dans cette loi, j'ai proposé les territoires à énergie positive, car la première préoccupation des élus, c'est l'isolation des bâtiments municipaux, en particulier pour réaliser des économies d'énergie, et le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), sans condition de ressources, afin que chacun puisse isoler son logement. C'était un crédit d'impôt et non une déduction fiscale : même les personnes non imposables bénéficiaient du reversement de l'équivalent de l'investissement, soit 8 000 euros par personne, 16 000 euros pour un couple.

La performance énergétique concerne au premier chef les bâtiments, car ils représentent les deux tiers de notre consommation énergétique, bien avant les transports et l'industrie ; le potentiel est considérable. Dans ce secteur, les décisions peuvent être individuelles, municipales, départementales, régionales, nationales, industrielles ou commerciales... Honnêtement, il devrait déjà y avoir des centrales solaires sur tous les aéroports, sans parler de la récupération des eaux de pluie pour laver les avions au lieu d'utiliser de l'eau potable. Tout ce processus est un peu trop lent, comme cela avait été dit durant les débats sur le projet de loi. Mais c'est consensuel : ces sujets passionnaient tout le monde, et les votes étaient acquis à l'unanimité.

L'autre objectif de la loi était de ne pas opposer les énergies les unes aux autres. Je passe sur la polémique sur le nucléaire, parce que cela ne concerne pas le bâtiment. Il faut produire des énergies propres, sûres et les moins chères possible. C'est dans ce cadre que se situent les enjeux d'économie d'énergie, de performance énergétique et le grand chantier du bâtiment. Cela permet de faire baisser les factures, de créer des emplois dans le bâtiment, et d'économiser l'énergie au niveau national. Il n'y a que du positif, c'est gagnant-gagnant pour tout le monde.

Vous avez détaillé certains outils dont j'ai inscrit la création dans la loi. D'abord, ce furent de nouvelles règles pour réduire les coûts, avec des bâtiments à énergie positive et à faible empreinte carbone. J'avais comme idée, mais c'était trop audacieux pour l'époque, que tous les nouveaux bâtiments soient à énergie positive. Certains sont déjà construits, notamment des logements. Cela me semblait évident, mais la filière du bâtiment résistait beaucoup. Elle a fait preuve de beaucoup d'inertie, et a fait supprimer l'individualisation des frais de chauffage et de nombreuses autres mesures. Je leur expliquais que ce projet était dans leur intérêt, notamment pour développer des savoir-faire, créer des emplois, conquérir des marchés à l'international... Mais les réticences étaient nombreuses.

Il n'est pas trop tard pour que tous les bâtiments soient à énergie positive, ce qui est mon idéal. Un bâtiment à énergie positive produit au moins autant, voire plus d'énergie qu'il en consomme. La facture des habitants s'élève à 3 ou 4 euros par mois, c'est formidable. Cela suppose la mise en place de panneaux solaires sur le toit quand c'est possible, une performance énergétique exceptionnelle, la récupération de la chaleur le long des circuits et à proximité de la chaudière ou des cuisines, pour éviter toute déperdition. Ces techniques sont maîtrisées et se développent. Désormais, on maîtrise les techniques pour l'isolation des toitures, des portes, des fenêtres, des façades. Il est donc tout à fait possible de construire des bâtiments à énergie positive actuellement.

Ensuite, j'avais prévu une obligation d'isolation en cas de ravalement. On m'a opposé qu'il y avait des bâtiments remarquables ou classés, notamment en Alsace ou en Normandie avec les pans de bois... Mais bien sûr, je prévoyais des exceptions. La filière du bâtiment estimait que c'était trop tôt, trop vite, que les échafaudages coûtaient cher. Cela n'a pas été rétabli. Mais plus on fabriquera d'échafaudages, moins cela coûtera cher. Il faut aussi mettre au point des matériaux intéressants, notamment issus de l'agriculture française, qui a l'un des tout premiers potentiels en matière de production de biomasse, y compris de matériaux d'isolation, comme le chanvre. J'avais développé le chanvre dans ma région, car c'est l'un des matériaux les plus isolants pour l'efficacité énergétique.

Malheureusement, le coût des travaux a augmenté. Désormais, un ravalement coûte encore plus cher. Cela veut dire que nous avions raison, en 2015, d'imposer cela. Difficile désormais de faire à la fois le ravalement et l'isolation. C'est dommage.

Je voulais imposer des compteurs individuels de frais de chauffage. Quelle bataille ! J'avais lu dans des rapports parlementaires, notamment de pays voisins, que le calcul individuel des frais de chauffage dans un logement collectif provoque une réduction de la consommation de 70 %. C'est vrai : les habitants, lorsqu'ils partent au travail ou en vacances, ferment alors le radiateur. Tandis que si le chauffage est collectif, ils ne voient pas l'impact sur la facture. Nous avons des compteurs individuels d'eau, pourquoi pas de chauffage ? Cette disposition a été supprimée sous la pression des syndics de gestion, alors qu'elle était très efficace et beaucoup plus juste.

Pour être exacte, je précise que nous avons fait face à la grande résistance des offices d'HLM. Leur réaction me scandalisait : ils auraient dû être les premiers à réclamer l'individualisation des frais de chauffage, qui permet de diminuer la facture de tout le monde.

Pour ce qui concerne l'habitat collectif, on m'opposait un autre argument : ceux qui vivent au rez-de-chaussée et au dernier étage auraient eu davantage de frais de chauffage que les résidents des étages intermédiaires. Mais on aurait très bien pu prévoir une péréquation, par exemple à hauteur de 10 % de la facture. Il n'y a pas de problème sans solution.

J'avais prévu un bonus de constructibilité pour les constructions exemplaires du point de vue énergétique et environnemental. Je ne sais pas s'il a été maintenu, mais je vous assure qu'il était très efficace. Les constructeurs faisaient valoir qu'en optant pour un bâtiment en bois ils perdaient en mètres carrés habitables et en hauteur sous plafond, les murs et les planchers étant plus épais, notamment du fait de l'isolation ; au total, ils perdaient un demi-étage. Ce bonus, réservé aux bâtiments à haute performance environnementale, permettait de tenir compte du différentiel.

Ensuite, on a déployé le soutien aux particuliers pour financer la rénovation énergétique de leur logement, avec la réforme de l'éco-prêt à taux zéro et le CITE, dispositifs dont j'ai autorisé le cumul.

Aujourd'hui, il y a MaPrimeRénov'. Pour la demander, il faut remplir un dossier de dix pages ; pour obtenir le CITE, il suffisait de cocher trois cases lors de la déclaration d'impôt. C'est dire si j'avais simplifié la procédure.

Le ministère des finances a beaucoup de talent pour inventer des déductions fiscales inapplicables. D'ailleurs, le dispositif antérieur ne comptait que très peu de bénéficiaires, car il fallait obligatoirement faire plusieurs travaux : par exemple, il fallait isoler à la fois les combles et les fenêtres. Or les gens n'ont pas forcément les moyens de faire tout, tout de suite ; ils ont souvent besoin d'étaler sur deux ou trois ans le coût des travaux et les investissements nécessaires.

Avec le crédit d'impôt, c'était très simple : vous faisiez les travaux que vous vouliez et vous aviez votre déduction fiscale. C'était extraordinaire.

Pour que les gens ne se fassent pas rouler par de mauvais artisans, nous avons créé un conventionnement. Les professionnels devaient prouver leur compétence et justifier les prix qu'ils pratiquaient. En effet, il fallait éviter l'effet de cliquet conduisant à une augmentation artificielle des prix. À ce titre, nous avions établi une liste d'artisans homologués pour faire les travaux d'économies d'énergie.

Le crédit d'impôt a été supprimé du jour au lendemain et cette décision a eu des conséquences dramatiques. Les artisans avaient fait l'effort de se former, de former leurs salariés et de recruter, car le nombre de chantiers avait explosé, notamment pour l'isolation des portes, des fenêtres et des combles. L'isolation des murs était un peu plus onéreuse, mais si le CITE avait été maintenu les particuliers l'auraient faite au cours des années suivantes, que ce soit par l'extérieur ou par l'intérieur. Ce sont peut-être 10 000 emplois qui, au total, ont été supprimés dans le secteur de l'isolation des fenêtres.

Dans ces domaines - c'est une réflexion personnelle -, il faut de la continuité. Les changements perpétuels sont insupportables pour les entreprises. Les noms des dispositifs et des dossiers changent sans cesse alors même qu'il faut laisser aux entreprises le temps de s'adapter. Elles ont travaillé en 2016 et en 2017, puis, en 2018, tout s'est effondré. Si les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et le CITE avaient été conservés, aujourd'hui, ce sont peut-être 50 % des bâtiments qui seraient isolés. Tous les bâtiments publics l'auraient été, car tous les maires avaient entrepris de refaire leurs écoles, leurs mairies et leurs salles polyvalentes. Les départements refaisaient leurs collèges. J'avais obtenu 750 millions d'euros ; 750 millions d'euros supplémentaires auraient dû être distribués aux collectivités territoriales, pour former un total de 1,5 milliard d'euros, mais cela aussi s'est arrêté.

En tant qu'élue locale, notamment comme présidente de région, j'avais l'expérience de la complexité des subventions d'État. Voilà pourquoi - je le répète -, j'avais simplifié le dispositif au maximum, au point que, dans un rapport, la Cour des comptes a estimé qu'il n'était pas régulier ; elle s'est ensuite rangée à mes arguments.

Vous connaissez vous aussi les tracasseries qu'entraîne la recherche de cofinancements. L'État donne 10 % ; il faut solliciter le conseil départemental, le conseil régional, la Caisse des dépôts et consignations, etc. Or, pour la loi relative à la transition énergétique, je voulais que l'on aille vite. Dans les territoires à énergie positive, on assurait un financement à 100 % ; de belles opérations ont été menées et elles aussi auraient dû être poursuivies.

On a également mis en place des sociétés de tiers financement ; c'était une solution originale. Par dérogation au monopole bancaire, ces sociétés avançaient aux particuliers qui engageaient des opérations de rénovation énergétique. À ma demande, la Banque européenne d'investissement (BEI) avait accordé un financement à hauteur de 400 millions d'euros. Cette idée m'avait été donnée par des collectivités territoriales, en particulier par des départements, qui, malgré les prêts de la Caisse des dépôts, avaient du mal à emprunter : c'est sur le terrain que j'avais trouvé cette idée, qui s'est révélée formidable. Le tiers financement évitait qu'au prix des travaux ne vienne s'ajouter le coût de l'emprunt. Les collectivités territoriales ont également pu y accéder.

Enfin, nous avons lancé des appels à projets pour des réalisations urbaines innovantes et exemplaires. Au total, seize démonstrateurs industriels pour la ville durable ont été désignés le 23 décembre 2015 en application de la loi relative à la transition énergétique ; j'ai ainsi pu valoriser cette initiative à la COP21. Les opérations urbaines conçues dans ce cadre pouvaient obtenir des financements complémentaires.

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