Intervention de David Fayon

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 28 janvier 2014 : 1ère réunion
Audition de M. David Fayon administrateur des postes et des télécoms auteur de géopolitique d'internet : qui gouverne le monde ? 2013

David Fayon :

Il y a l'aspect commercial et il y a celui des libertés individuelles. Internet est par excellence un lieu d'échange, d'expression des libertés publiques et individuelles, mais le réseau est aussi un outil d'expansion marchande sans précédent. L'Europe a la taille critique comme marché, mais le continent souffre de son hétérogénéité, c'est une Babel linguistique où les usages des technologies numériques sont très divers - le Nord est en avance, avec des pays comme l'Estonie, où le Conseil des ministres se déroule pour partie on line ; le Sud est moins avancé, y compris la France, avec des taux d'équipement à Internet qui n'atteignent que difficilement 80% des ménages.

Faudrait-il un intranet européen ? Je ne le crois pas, car ce serait très complexe à mettre en oeuvre dans l'Europe des Vingt-Huit. En revanche, nous pourrions faire pression pour partager la gouvernance d'Internet. Au lieu de quoi, nous sommes focalisés sur un débat qui oppose non pas la droite et la gauche, mais ceux qui acceptent l'innovation, la modernité, et les « conservateurs », ceux qui ne veulent pas changer leurs habitudes - l'article liberticide voté sur la loi de programmation militaire en porte témoignage.

Je crois qu'il faut vivre avec son temps et que l'Europe, dont le marché est de taille supérieure à celui des États-Unis, est en capacité de développer des usages d'Internet où elle aurait également des positions de leader. Du fait de son expérience totalitaire, l'Europe se distingue aussi par son souci des droits de l'homme, qu'illustre la prégnance en Europe du principe de l'opt-in (par opposition à l'opt-out pratiqué aux Etats-Unis), principe qui exige l'accord de l'internaute pour l'utilisation de ses données.

Quels sont les modes de gouvernance d'Internet ? La régulation par les États ou l'autorégulation par des organismes autoproclamés (comme l'ISOC) avec des courants libertaires et néolibéraux ? Rappelons que le réseau a été préfiguré pour servir à l'armée américaine, qui recherchait une architecture de communication à la fois robuste et qui ne comprenne pas de centre, en particulier pour résister à des attaques liées à la contestation même de conflits dans lesquels les États-Unis étaient engagés. Cette communication en réseau numérique a trouvé des formes dont l'histoire est encore récente et loin d'être stabilisée ; son architecture va nécessairement évoluer, sachant qu'en 2025, cinq milliards d'humains seront connectés, via leur mobile davantage que par connexion fixe. Cette masse d'équipement posera du reste des problèmes environnementaux, car les mobiles utilisent des ressources finies et que l'ensemble consomme de l'énergie. Surtout, comment conçoit-on la gouvernance dans cette perspective ? Les États-Unis vont-ils lâcher du lest ?

Il me semble qu'en France, nous manquons singulièrement d'ambition et de continuité dans l'action, notamment dans le lobbying. Le général de Gaulle a lancé le Plan Calcul et, depuis, il n'y a quasiment rien eu : on se souvient de Valéry Giscard d'Estaing disant que la France était coupée en deux, entre ceux qui avaient le téléphone et ceux qui attendaient la tonalité ; de François Mitterrand, affirmant qu'il n'avait pas besoin d'ordinateur, vu qu'il avait Jacques Attali ; de Jacques Chirac, plaisantant avec le mulot de son ordinateur... Les Français procrastinent au lieu de se donner les moyens de relever les enjeux. Nous n'avons pas de culture numérique : à l'école, l'anglais est enseigné dès la maternelle, mais le numérique est absent jusqu'en Terminale, et encore, c'est une option ! Nous abordons une nouvelle frontière numérique, sans se mobiliser du tout. Les citoyens doivent comprendre ce qu'est un algorithme, un référencement naturel, quels sont les impacts de la géolocalisation, pour avoir des choix éclairés.

La gouvernance d'Internet est donc un sujet transverse aux multiples enjeux.

Les racines ouvertes me paraissent une bonne chose, mais à la condition de les lier à une politique commerciale ambitieuse, ce qui n'est pas du tout le cas : il manque, ici encore, une impulsion véritable des pouvoirs publics.

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