Intervention de Philippe de Ladoucette

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 7 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe de laDoucette président de la commission de régulation de l'énergie et de M. Jean-Yves Ollier directeur général

Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie :

Je le répète, il y a un débat sur le coût exact. Les chiffres ne sont donc pas à prendre dans l'absolu. Nous sommes dans du prévisionnel, dans de l'estimation et dans la construction d'un tarif. Ce débat sera tranché, après des discussions entre l'opérateur ERDF et la CRE, qui va définir le prochain TURPE.

Voilà ce que je peux dire au sujet de l'impact des énergies renouvelables sur les investissements.

Il faut savoir que le fait de définir un tarif d'accès au réseau ne garantit pas que les investissements prévus seront réalisés. Ce qui permet de « boucler » le système, si je puis dire, c'est la possibilité que donne la loi à la CRE d'approuver les programmes d'investissement du transporteur RTE. D'un côté, la CRE élabore le TURPE et, de l'autre, elle approuve chaque année le programme d'investissements de RTE, ce qui n'est pas le cas pour ERDF, mais je ne dis pas qu'il faudrait qu'il en soit ainsi. À cela s'ajoute dorénavant une dimension européenne, puisque la troisième directive a été transposée en France dans le code de l'énergie.

Depuis mai 2011, la CRE a une mission de suivi du schéma décennal de développement que doit élaborer chaque année le gestionnaire du réseau de transport. Chaque année, RTE élabore donc un schéma glissant sur les dix années à venir. Le régulateur doit recueillir l'avis des acteurs du marché sur ce point et émettre un avis sur le schéma, en prenant en compte les besoins futurs en matière d'investissement et la cohérence de ce schéma avec le plan décennal proposé par l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie, l'ACER, laquelle a une vision globale européenne.

RTE a soumis à la CRE son premier plan décennal en janvier 2012. C'est donc tout récent. Une consultation publique sur ce schéma est prévue en avril 2012. RTE y annonce un besoin d'investissement d'environ 10 milliards d'euros pour les dix ans à venir. De cette somme sont exclus les investissements de renouvellement, ainsi que ceux qui sont relatifs à la logistique ou aux outils de gestion du marché et du système électrique. Pour vous donner une idée plus précise, ces deux catégories de dépenses représentent en 2012 respectivement 25 % et 10 % du budget annuel d'investissement de RTE, de l'ordre de 1 milliard à 1,2 milliard d'euros. La somme de 10 milliards d'euros, qui ne prend pas en compte ces postes de dépense, est donc très importante.

Dans le cas de la distribution, sujet assez délicat, que beaucoup d'entre vous connaissent de très près, il nous paraît nécessaire que l'ensemble des parties prenantes aient une vision globale des besoins d'investissement et des coûts associés, au niveau tant départemental que national.

Les nouvelles conférences départementales réunies désormais sous l'égide des préfets, instituées par l'article 21 de la loi NOME, doivent être le lieu de cet exercice de transparence et d'explication.

Quelques opérations ont d'ores et déjà été menées. Vous-même, monsieur le président, avez une expérience dans ce domaine et vous avez bien voulu nous en faire part. Cet apport est tout à fait instructif.

La procédure permettra de cerner réellement les problèmes et de dépassionner un débat délicat entre les autorités concédantes, ERDF, son actionnaire et la CRE. Beaucoup d'acteurs sont concernés par ce sujet extrêmement compliqué, sur lequel la CRE doit se pencher dans le cadre de l'élaboration du TURPE, qui concerne directement les élus locaux.

La CRE a donc prévu une augmentation du TURPE de l'ordre de 2 % hors inflation, comme je vous l'ai annoncé tout à l'heure, pour les raisons suivantes.

Tout d'abord, il faut améliorer la qualité d'alimentation pour faire face à l'augmentation de la durée moyenne de coupure constatée sur les réseaux de distribution, conséquence d'une baisse de l'investissement dans le réseau de distribution entre 1994 et 2003. En effet, on avait atteint un sommet d'investissements en 1993 et un plancher en 2003-2004, passant de 3 milliards d'euros à 1,4 milliard d'euros. Ce montant a remonté par la suite, mais les conséquences de cette baisse de l'investissement peuvent se constater aujourd'hui dans la qualité de l'approvisionnement.

Par ailleurs, les distributeurs se sont engagés dans des démarches de modernisation des réseaux concernant en particulier les dispositifs de comptage, pour répondre aux enjeux liés au développement de la production décentralisée.

Je reviens sur les dispositifs de comptage, car il s'agit d'un sujet également très sensible. On parle ainsi beaucoup de Linky actuellement. Il est important pour les gestionnaires de réseaux de distribution d'améliorer la qualité de leur service et de mieux gérer la montée en puissance des énergies renouvelables.

En outre, les besoins de raccordement et de renforcement des réseaux de transport et de distribution consécutifs au nouveau cycle d'investissement dans la production d'électricité provoquent un certain renchérissement.

Enfin, la construction de nouvelles infrastructures d'interconnexion, dont je vous ai parlé tout à l'heure et qui sont très importantes pour le fonctionnement des réseaux européen et français, est un facteur d'augmentation des coûts.

Pour mémoire, ERDF a investi 2,8 milliards d'euros en 2011, contre 1,8 milliard d'euros en 2007, soit une augmentation considérable, qu'il faut bien financer. In fine, c'est donc le consommateur qui doit supporter ces charges supplémentaires.

Nous devons donc trouver un équilibre entre les demandes, souvent pertinentes et justifiées, des gestionnaires de réseau, celles, toujours pertinentes et justifiées, des autorités concédantes, et les conséquences tarifaires qu'elles induisent. La tâche n'est pas toujours simple et l'augmentation de 2 % repose plutôt sur une vision assez conservatrice de la réalité.

J'en viens maintenant aux énergies renouvelables et à la CSPE.

Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité savoir jusqu'à quel niveau la part de la CSPE consacrée au rachat de l'électricité issue des différentes filières de production d'énergies renouvelables devrait évoluer pour couvrir les coûts de soutien à ces filières.

La CSPE est le troisième élément apparaissant sur la facture d'électricité, mais le consommateur n'en a pas une vision très nette dans la mesure où cette taxe a sa vie propre et évolue indépendamment de toute augmentation du tarif réglementé. Le montant de la CSPE est normalement fixé en début d'année. Au cours de la période transitoire, elle aura évolué à la fois au 1er janvier et au 1er juillet, avant de revenir à un système plus traditionnel.

Pour favoriser le développement des énergies renouvelables, les pouvoirs publics peuvent recourir à deux instruments économiques.

Le premier instrument, ce sont les tarifs d'achat. Les fournisseurs historiques - EDF et les ELD, en métropole ; EDF-SEI dans les zones non interconnectées, ainsi que Électricité de Mayotte - se voient dans l'obligation d'acheter, sur quinze ou vingt ans, la production d'électricité obtenue à partir de sources renouvelables, et ce à un tarif fixé par arrêté après avis de la CRE.

Nous vérifions si les tarifs induisent une rémunération normale des capitaux investis. Le système ne permet pas de contrôler la quantité d'énergie bénéficiant du soutien public. Si les tarifs sont fixés à un niveau trop élevé, ils peuvent conduire à un développement non contrôlé d'une filière à but spéculatif.

La forte croissance de la filière photovoltaïque en 2009 et en 2010 illustre le genre de « conséquences » - je ne sais quel terme employer - susceptibles d'être causées par un mauvais calibrage du tarif de départ. Mais ce problème n'est pas propre à la France, l'Allemagne l'a également rencontré. Ce n'est donc pas évident à mettre en place.

Second instrument, en dehors des tarifs d'achat : les appels d'offres pour les moyens de production. Il aboutit à fixer, ex ante, la quantité d'énergies renouvelables bénéficiant du soutien public. Sous cette contrainte globale, les projets sont sélectionnés en fonction de plusieurs critères, notamment le prix d'achat proposé par les candidats. L'électricité produite est vendue au fournisseur historique au prix fixé dans l'offre.

Un tel système permet de maîtriser la production d'énergies renouvelables qui bénéficie du soutien public, au moindre coût pour la collectivité.

C'est vrai qu'il coûte moins cher, mais c'est vrai aussi qu'il développe moins !

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