Un terme résume les avantages comparatifs des consultants tels que les perçoivent les fonctionnaires : celui de « force de frappe », qui revient souvent dans leur discours. Les moyens dont les consultants disposent permettent d'abattre un travail considérable, de le documenter par des benchmarks internationaux ou des analyses financières par exemple, et de mobiliser une masse de connaissances en la formalisant - le tout dans l'urgence. C'est l'élément qui semble le plus valorisé par la hiérarchie.
Les personnes auprès de qui j'ai mené des entretiens me disaient ainsi qu'en deux semaines, McKinsey était en mesure de produire un rapport de trois cents pages en allant puiser auprès de ses succursales aux États-Unis, en Suisse, en Australie ou ailleurs les « best practices ». Concrètement, quand le besoin émerge, pour une réunion interministérielle, de refaire les maquettes des tableaux de bord pour la semaine suivante, les consultants McKinsey se présentent avec des centaines de pages de tableaux de bord, vingt diapositives consacrées à une réforme récente qu'ils ont menée en Australie dans le même domaine... Et tout cela conçu par des diplômés de Polytechnique ou de HEC, qui travaillent beaucoup et très vite.
Le thème de l'urgence est important car c'est, de façon croissante, la marque de fabrique des chefs, des ministres, des directeurs, jusqu'aux Présidents de la République : on joue sur la rupture, on mène des réformes au pas de charge. Les hauts fonctionnaires sont mis sous pression, car délivrer des résultats dans l'urgence est impossible à l'administration, avec les moyens dont elle dispose.
Cette capacité à répondre dans l'urgence est dans la structure même des cabinets comme McKinsey qui ont des équipes en « back-up ». Ils ont un centre de production de diapositives en Inde qu'ils appellent le « Studio » ; lorsque les délais demandés sont très serrés, ce centre travaille en horaires décalés pour délivrer, le lendemain à sept heures, un PowerPoint complet et mis en forme.
Outre le benchmark ou parangonnage international, les cabinets apportent de la capitalisation : à chaque mission, ils augmentent leur offre de services et leur palette de prestations. De la méthodologie aussi, car les hauts fonctionnaires manquent de méthodes et d'outils de conduite de projets. De la polyvalence : ils sont spécialistes en gestion des ressources humaines, en systèmes d'information, en conduite de projets, et ils possèdent une expertise financière de plus en plus valorisée dans un contexte de contrainte budgétaire.
Il ne faut pas non plus négliger la forme : des graphiques arborescents, en cubes, de belles matrices, cela donne une impression de rigueur et de scientificité, ce qui favorise l'adhésion et est valorisé par la hiérarchie.
Il y a enfin ce que vous avez mentionné, madame la rapporteure : la légitimation de la décision, le court-circuitage ou le contournement de l'obstruction de certaines administrations, la dépolitisation apparente.