La loi de 1978 a constitué un tournant capital. Elle a remis en cause le principe du secret, très strict, qui fondait les relations entre l'administration et les administrés. Dans les années 1970 s'était répandue l'idée que le secret avait des effets indésirables. Le principe de libre accès, consacré en Suède depuis 1766, a gagné de nombreux pays, ainsi les Etats-Unis avec le Freedom Information Act de 1966. En 1978-79, plusieurs réformes d'importance ont été adoptées en France dans un remarquable consensus et l'optique a changé fondamentalement. L'information est devenue un droit opposable, les administrés pouvant se prévaloir des dispositions juridiques positives, recourir à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) ou à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et éventuellement aux tribunaux.
Une distinction essentielle s'opère entre données personnelles, qualifiées à l'époque d'informations nominatives, qui bénéficient du régime de protection de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et les documents administratifs (on dit désormais les données publiques), pour lesquels prévaut le principe de communication instauré par la loi du 17 juillet 1978. La loi du 3 janvier 1979 élargit les possibilités de communication des archives publiques. La protection des données nominatives constitue une limite à la communication des documents administratifs.
Le régime des données personnelles a été revu en profondeur par la directive du 24 octobre 1995, modifiée en 2002, transposée par la loi du 6 août 2004 : le champ d'application de la loi a été redéfini ; l'expression « données personnelles » apparaît ; un correspondant sur les données personnelles doit être désigné dans chaque administration et dans les entreprises ; le régime de protection est renforcé. Les données personnelles doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées, sur la base du consentement des personnes, avec un droit de rectification ; les pouvoirs de la Cnil sont accrus.
La loi du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs a été modifiée à plusieurs reprises. Elle reposait sur une différence fondamentale entre documents nominatifs, communicables uniquement aux intéressés, et documents non nominatifs, communicables de droit, à l'exception de secrets protégés liés à des prérogatives régaliennes ou concernant des personnes. Le dispositif coiffé par la Cada a été interprété dans un sens libéral par celle-ci comme par le juge administratif.
Les délais de procédure ont été modifiés plusieurs fois. Deux lois ont apporté des changements de fond. La loi du 12 avril 2000, dite loi DCRA, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, pose un principe général de liberté d'accès aux documents administratifs et supprime la règle selon laquelle la communication n'est possible que pour les documents non nominatifs ; mais elle crée une nouvelle distinction entre documents non communicables, qui correspondent aux secrets protégés, et ceux communicables uniquement à l'intéressé. La liberté d'accès prime sur la protection de certaines informations nominatives. La Cada voit sa compétence élargie à certains fichiers ou archives publiques ou certains documents dont l'accès est régi par des lois spéciales. L'ordonnance du 6 juin 2005 accroît les possibilités de communication, introduit en application d'une directive européenne un droit à la réutilisation des données publiques, modifie le statut de la Cada qui devient une autorité administrative indépendante dotée d'un pouvoir de sanction, et institue dans chaque administration une personne responsable de l'accès aux documents.
Ainsi la liberté d'accès aux documents est érigée en principe, à l'exception de certains documents comme les avis du Conseil d'Etat ou certains actes des assemblées parlementaires. Tous ne sont pas communicables : les uns sont couverts par un secret absolu, sous réserve des dispositions de la législation sur les archives ; d'autres, couverts par un secret relatif, ne sont communicables qu'aux intéressés : documents dont la communication porterait atteinte à la vie privée, dossiers médicaux, etc. Plusieurs modalités sont prévues : consultation gratuite, diffusion par courrier électronique, délivrance d'une copie. Le silence gardé par l'administration pendant un mois est considéré comme un refus ; en cas de refus de communication, il faut saisir la Cada dans un délai de deux mois avant tout recours contentieux.
Le bilan est positif. La loi de 1978 a marqué un tournant pratique mais surtout symbolique considérable. Le rôle de la Cada est important si l'on en juge par le rapport d'activité pour 2012 : le nombre d'avis, de conseils, de renseignements du public a augmenté ; les interprétations sont majoritairement favorables aux demandeurs ; les avis sont suivis par les administrations et rarement désavoués par le juge.
Toutefois il faut nuancer. En 1978 la Cada avait été conçue comme une structure provisoire : elle devait disparaître quand le principe de communication serait entré dans les moeurs. Le nombre de saisines de la Cada suffit à montrer que la communication des documents administratifs reste l'objet d'une lutte qui rend nécessaire le maintien d'une instance de médiation. Si les administrations se sont pliées à la logique de la transparence, les pratiques restent marquées par une certaine frilosité comme plusieurs indicateurs le montrent.
A l'occasion d'une enquête réalisée pour les vingt-cinq ans de la Cada, nous avions constaté que celle-ci était saisie par un public restreint, composé d'initiés, parfois des récidivistes qui n'hésitent pas à la saisir de manière répétitive ; quant aux personnes physiques, elles souhaitent essentiellement la communication de documents à caractère personnel, afin d'étayer un éventuel recours devant le juge.
Les suites données aux avis de la Cada semblent témoigner d'un excellent suivi administratif. Toutefois, de multiples relances sont nécessaires. Certains refus proviennent d'erreurs des administrations, de retards, voire de mauvaise volonté. La persistance du contentieux montre que l'intervention du juge reste parfois nécessaire.
La loi du 15 juillet 2008 a modifié la loi du 3 janvier 1979 sur les archives. Elle a élargi son champ d'application, renforcé le système de protection des archives et de collecte, réaffirmé le principe d'imprescriptibilité. La règle de communicabilité des archives est posée mais ruinée par de nombreuses exceptions et l'instauration de procédures très complexes, avec quatre délais (vingt-cinq ans, cinquante ans, soixante-quinze ans, cent ans). Les chercheurs se plaignent et la ministre de la Culture a annoncé son souhait de modifier la loi, dont le texte avait été durci lors de la discussion parlementaire.
Quels sont les problèmes en suspens ? Tout d'abord des problèmes techniques d'importance secondaire. Le rapport de la Cada évoque ainsi les refus de communication d'une administration à une autre. Elle souhaite aussi une définition plus claire des documents des services publics industriels et commerciaux qui entrent dans le champ de la loi. De plus, il existe des superpositions : le droit au respect de la vie privée n'entraîne-t-il pas de fait la protection des données personnelles ? L'article 6 évoque le secret des procédures devant les juridictions, mais les documents juridictionnels sont déjà exclus du droit à la communication. Il faudrait mieux délimiter les secrets protégés, alors que le Conseil d'Etat, dans trois arrêts du 17 avril 2013, a adopté une définition extensive.
En outre, le rapport pour 2012 de la Cada souligne la coexistence d'un régime général et de régimes spéciaux de communication. La compétence de la Cada a été progressivement étendue à certains de ces régimes en 2005 et 2012, mais les modalités restent distinctes. Pourquoi ne pas les harmoniser, ou, du moins, mieux préciser les articulations ? N'est-il pas concevable, même si le rapport de la Cada ne va pas aussi loin, de supprimer les régimes spéciaux en posant le principe de suprématie de la loi de 1978 ?
De plus, qu'entend-on par « documents administratifs » ? L'article 1er dresse une liste longue mais non exhaustive, ce qui n'est pas satisfaisant. Les textes étrangers, notamment les directives européennes, préfèrent l'expression d'information publique. La loi de 1978, revue en 2005, distingue les documents administratifs et l'information publique, réutilisable et dont les documents administratifs constituent l'un des supports. Ne faut-il pas simplifier ?
La législation sur les archives publiques de 2008 a été fortement critiquée par les historiens et les archivistes. Les régimes sont très complexes. Un toilettage est nécessaire.
Il convient aussi d'évaluer l'effet du développement des données publiques ouvertes, open government data. L'extension des informations publiques publiées et diffusées est considérable. Certes la loi de 1978 prévoyait déjà la publication de certains documents administratifs ; mais ici la publication s'inscrit dans une démarche proactive : il s'agit d'anticiper les demandes du public par une très large publication. Ce phénomène est massif, incontournable et mondial, la charte du G8 a d'ailleurs défini certains principes. Ce développement risque de vider la question du droit d'accès aux documents administratifs d'une partie de son sens. D'ailleurs, la Cada est très peu saisie en matière de réutilisation des données publiques. Cette évolution soulève le problème de la protection du droit d'auteur et de la propriété intellectuelle, notamment des fonctionnaires.
La protection de la vie privée et des données personnelles est également menacée. Certes la loi de 1978 protège les données personnelles mais les frontières entre données publiques et personnelles deviennent poreuses. Il est déjà possible de publier des données personnelles dès lors qu'elles sont anonymisées. De même, la publication de données personnelles publicisées est parfois justifiée par exemple au nom de la transparence et de la lutte contre la corruption ou pour des raisons de santé et de recherche. La numérisation rend possible de croiser une masse considérable de données, dans le cadre de grands systèmes de données intégrés, les big data. La publication des données publiques ouvertes s'inscrit ainsi dans un mouvement plus large qui efface largement la distinction entre données publiques et données personnelles et remet en cause la notion de document administratif.
Un cadre juridique s'impose au-delà des grands principes posés par la charte du G8 : principe d'ouverture par défaut des données publiques ; engagement à publier des données d'un haut niveau de qualité, accessibles et réutilisables par tous, etc. Il faut un régime plus précis pour fixer des garde-fous. Ne conviendrait-il pas de créer une autorité unique de protection, comme dans beaucoup de pays, en fusionnant la Cada et la Cnil ? Cette question iconoclaste mérite d'être posée.
Enfin la réutilisation des données publiques à des fins commerciales, autorisée par l'ordonnance de 2005, prend une importance croissante. Le principe de gratuité a été posé en 2011. Son application se heurte à certaines résistances administratives compréhensibles car certains groupes privés sont susceptibles d'en tirer des bénéfices, tel Google qui réutilise des données cartographiques au profit de son système de géolocalisation. Le rapport Trojette de novembre 2013 prône la suppression de la plupart des redevances, notamment celle de l'Institut géographique national (IGN). L'encadrement de cette réutilisation par la voie des licences ouvertes apparaît souhaitable et un cadre juridique est nécessaire pour prévenir des dérives et des atteintes aux droits fondamentaux.