Intervention de Jean-Baptiste Blanc

Commission spéciale Zéro artificialisation nette — Réunion du 7 février 2023 à 16h00
Réunion constitutive

Photo de Jean-Baptiste BlancJean-Baptiste Blanc, rapporteur :

Pour bien cadrer nos travaux et permettre à ceux de nos collègues qui n'étaient pas membres de la mission conjointe de contrôle de disposer de tous les éléments nécessaires, je vais vous présenter brièvement les mesures contenues dans la proposition de loi.

Je commencerai par quelques remarques d'ordre général.

Premièrement, au vu des délais très serrés, et afin de travailler avec méthode, nous n'avons pas inclus de volet « fiscalité » ou de volet « financement » dans la PPL. Ces sujets nécessitent une réflexion plus globale sur la fiscalité locale, et il ne faudrait pas bouleverser les équilibres du texte sans mesurer pleinement les conséquences de telles modifications sur les collectivités. Un tel travail exige davantage de temps et l'examen du projet de loi de finances de fin d'année me semble un cadre plus approprié pour réfléchir de façon plus globale.

Deuxièmement, la position exprimée dans cette PPL est une position d'équilibre : il nous semble nécessaire de nous inscrire dans l'adaptation du cadre existant du ZAN plutôt que de viser une rupture ou une remise en cause totale. En effet, nous avons voté la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience », voilà à peine plus d'un an, et nous partageons tous l'objectif de sobriété foncière et de protection des sols, notamment agricoles. Notre PPL ne modifie ni l'objectif d'une baisse de l'artificialisation de 50 % d'ici à 2031 ni les échéances de 2031 et 2050. C'est là, il faut le dire, l'une des conditions d'un dialogue fructueux avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement.

Troisièmement, nous avons cherché à adapter en la rendant plus aisée et plus équitable l'application du ZAN chaque fois que cela était possible. Nous avons voulu répondre point par point à toutes les inquiétudes exprimées : le manque de temps pour travailler, l'absence de garanties pour les communes rurales, les insuffisances de la gouvernance, etc. Il nous semble qu'avec ces garde-fous et ces souplesses nous pourrons rassurer les collectivités sur les objectifs de réduction de l'artificialisation et sur leur application.

Les vingt propositions de la proposition de loi s'articulent autour de quatre axes.

Le premier axe est de favoriser le dialogue territorial et de renforcer la gouvernance décentralisée.

Se pose d'abord la question du calendrier : les « règles du jeu » du ZAN ne sont pas même encore fixées que déjà les collectivités seraient supposées finaliser la modification de leurs documents d'urbanisme... On sait pourtant que la concertation, surtout entre différentes collectivités, sera déterminante pour l'acceptation des objectifs du ZAN et pour leur application équitable. Nous proposons donc d'assouplir les délais qui s'imposent à la modification des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), notamment en raccourcissant les délais laissés au préfet pour approuver un projet de Sraddet. Surtout, nous souhaitons donner aux régions un an supplémentaire pour mener à bien cette modification : ainsi maximisera-t-on le temps de concertation et de travail sur le fond plutôt que les contraintes de forme.

Pour ce qui est, ensuite, de l'opposabilité du Sraddet, nous souhaitons restaurer l'intégrité de l'accord de CMP noué entre le Sénat et l'Assemblée nationale autour de la loi « Climat et résilience » : nous avions voulu que les objectifs du Sraddet s'imposent aux objectifs des documents d'urbanisme locaux dans un rapport de prise en compte et non de compatibilité. Or le décret d'application est allé à l'encontre de cet accord ; il est donc essentiel d'y revenir, car cela limitera le risque juridique pour les communes et les intercommunalités et permettra une plus grande souplesse dans la territorialisation.

Dernier point de ce premier axe, nous proposons de renforcer l'association de tous les élus locaux à la gouvernance du ZAN, en élargissant la conférence des schémas de cohérence territoriale (Scot). Cette gouvernance renforcée associera mieux le bloc local, dans un triple objectif : mieux territorialiser ; assurer un suivi des trajectoires ZAN, voire les modifier ; rendre des avis sur les « grands projets ».

Le deuxième axe est justement celui des projets structurants de demain, que la politique du ZAN devra savoir préserver et accompagner.

Nous proposons, comme le Sénat l'a déjà voté dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, de faire remonter dans une enveloppe nationale les « grands projets » nationaux et européens, afin qu'ils ne soient pas imputés aux collectivités territoriales d'implantation. Nous pensons qu'il nous faut prendre une position ferme sur ce point, car le Gouvernement pourrait souhaiter en rester à une forme de mutualisation qui ne règle absolument pas le problème « quantitatif » que ces projets posent. Si l'on ne les fait pas « sortir » dans un premier temps de l'enveloppe, l'objectif que les collectivités devront atteindre d'ici à 2031 sera non pas de - 50 %, mais, parfois, de - 80 %...

En revanche, nous proposons de mieux encadrer les projets qui relèveront de cette mesure. Des critères seraient fixés dans la loi, qui concerneraient par exemple les grands projets d'infrastructure - lignes à grande vitesse (LGV), canal Seine-Nord Europe, centrales nucléaires, etc. - et les projets, notamment industriels, nécessaires à la transition énergétique et environnementale. La conférence de gouvernance du ZAN donnerait un avis sur les projets qui pourraient entrer dans ces critères prévus par la loi. Serait prévu par ailleurs un suivi triennal de la consommation de cette enveloppe nationale.

Nous proposons aussi de renforcer la mutualisation des projets d'intérêt régional, déjà prévue par la loi. En particulier, nous proposons de donner aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) un « droit de proposition » auprès de la région, pour que les projets qu'ils portent et qui relèvent de l'intérêt général soient considérés. Nous voulons aussi que les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) tiennent mieux compte des projets d'intérêt intercommunal dans la fixation des objectifs du ZAN.

Le troisième axe de notre texte vise à mieux prendre en compte les spécificités de chaque territoire.

Le premier sujet, bien sûr, est celui de la ruralité. Nous avons écouté avec une attention particulière les associations représentatives des élus des territoires ruraux : aucune ne demande à ce jour une dispense totale de ZAN. Il nous semble important de marquer l'engagement de l'ensemble du territoire dans la réduction de l'artificialisation, et de ne pas créer un territoire « à deux vitesses ». Certaines petites villes ont par ailleurs beaucoup artificialisé, d'autres non : les dérogations fondées sur la taille nous semblent donc devoir être écartées.

Mais les inquiétudes des élus ruraux se résument en réalité à deux questions : premièrement, comment garantir que, dans la répartition des droits du ZAN, aucune commune rurale ne sera sacrifiée et ne se retrouvera purement et simplement privée de droits à construire ? Deuxièmement, comment le ZAN assurera-t-il que les projets utiles au développement rural, mais qui ne rentreraient pas dans l'enveloppe quantitative, pourront être réalisés ? Nous avançons deux propositions en réponse directe à ces questions.

Un « minimum ZAN » universel, tout d'abord, garantirait à chaque commune l'octroi d'une enveloppe minimale de droits à construire ne pouvant être inférieure à un hectare, pour la première période de dix ans. Cela serait une garantie pour les petites communes rurales, qui auraient des droits proches de zéro en application « mathématique » des - 50 %.

Nous proposons, ensuite, d'instaurer une « part réservée » pour les projets supracommunaux. Cette part serait fixée et réservée au niveau de la région ou des Scot. L'idée est que 10 % ou 15 % de l'enveloppe totale soient « mis en réserve » au profit des communes faiblement « dotées » par le ZAN. Ainsi, même une petite commune qui aurait consommé le peu de droits qu'elle aura obtenu grâce à la territorialisation pourrait obtenir une petite « rallonge » pour un projet particulièrement important pour l'ensemble du territoire. Je rappelle par ailleurs que les communes placées sous le régime du règlement national d'urbanisme (RNU), c'est-à-dire la majorité des communes rurales, ne seront pas soumises à des objectifs chiffrés de ZAN : elles sont d'ores et déjà moins contraintes.

Nous proposons aussi de préciser les critères qui, dans le Sraddet, présideront à la territorialisation, afin d'offrir les mêmes garanties qu'au niveau des Scot, notamment la prise en compte des efforts passés.

Nous souhaitons en outre donner aux maires la possibilité de délimiter des périmètres de densification, dans le cadre desquels le remplissage des dents creuses et la densification ne seraient pas comptabilisés comme de l'artificialisation. Cette disposition répond à la difficulté que nous avons identifiée quant au traitement des parcs et des jardins dans la nomenclature proposée par le Gouvernement, laquelle est par ailleurs de nature réglementaire.

Nous avons aussi souhaité prendre en compte la situation particulière des communes confrontées au recul de trait de côte, en faisant en sorte que la relocalisation des activités et bâtiments menacés par le trait de côte ne pèse pas sur le compte foncier des communes : les terres perdues au profit de la mer ne sauraient être retenues contre elles...

Enfin, nous demandons au Gouvernement de se pencher sur la situation particulière de l'outre-mer, car ses spécificités - insularité, diversité de l'habitat, topographie... - justifient une approche différenciée.

Un dernier axe vise à donner aux élus locaux les outils pour « faire le ZAN », car de tels outils manquent aujourd'hui cruellement.

En matière de données, nous souhaitons prévoir la mise à disposition gratuite, par l'État, des données précises et harmonisées de consommation d'espace et d'artificialisation. À défaut de ces données d'État, il nous semble qu'il faut autoriser les Scot, les EPCI et les communes à continuer d'utiliser leurs données propres, recueillies, parfois, depuis quinze ou vingt ans via les observatoires locaux, car il faut assurer la continuité de la mesure.

Nous souhaitons de surcroît garantir la prise en compte immédiate - et non uniquement à compter de 2031 - des efforts de renaturation. Il serait à la fois contreproductif et injuste de ne pas le faire : il faut compléter la loi sur ce point, afin que les maires soient réellement soutenus dans leur politique de renaturation.

Quant à la thématique de la période transitoire, elle est très importante, en particulier pour les élus locaux dans leur action quotidienne. En attendant la modification des documents d'urbanisme, qui permettra de limiter les constructions et de refuser les permis contraires aux objectifs qui y seront définis, les élus sont démunis face aux demandes d'autorisation, parfois abusives, ou face aux achats de terrains constructibles, parfois spéculatifs. Pourtant, depuis 2021, les communes et les EPCI sont tenues de limiter la consommation d'espace ! Comment tenir les - 50 % si l'on ne peut limiter la construction qu'à compter de 2027 ?

Nous souhaitons donc donner aux maires des outils très concrets pour mieux contrôler les projets qui leur sont soumis au regard du ZAN.

D'une part, nous proposons de créer un « sursis à statuer ZAN », qui permettra au maire, s'il le souhaite, de ne pas octroyer un permis qui mettrait ostensiblement en danger l'atteinte des objectifs ZAN. D'autre part, nous plaidons pour l'instauration d'un « droit de préemption ZAN », qui permettra au maire d'éviter la captation de tout le foncier utile aux projets publics, par exemple en préemptant des friches représentant un potentiel de renaturation ou de recyclage foncier.

Voilà, mes chers collègues, la vingtaine de propositions prévues par la PPL qui vous est soumise, laquelle vise à répondre aux inquiétudes et à apaiser la mise en application du ZAN au sein des territoires.

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