Une remarque préalable : on a toujours affirmé que l'organisation du temps scolaire, particulièrement depuis qu'elle se concentre sur quatre jours, devait être réformée. Notre organisation n'a jamais, sur le sujet, été partisane d'un statu quo.
En premier lieu, contrairement aux affirmations du film institutionnel que l'on peut visionner aujourd'hui sur le site du ministère, il ne faut pas penser que la réforme du temps scolaire conduit automatiquement à une amélioration du résultat des élèves. La première idée à combattre est cette idée d'un effet mécanique, certaines réorganisations du temps scolaire pouvant produire des effets contraires. Il faut le garder en tête : il ne suffit pas de proposer un nouveau temps scolaire, il faut s'assurer que l'organisation de ce temps scolaire sert réellement l'apprentissage des élèves !
En second lieu, la temporalité de la mise en oeuvre n'était pas adaptée aux nécessités d'une construction collective, ni l'examen de l'ensemble des paramètres qu'on devait prendre en compte. La précipitation a conduit à une mise en oeuvre qui a été davantage régie par les moyens disponibles que par des objectifs réellement construits et choisis en fonction de leur finalité. Dans un certain nombre de communes, elle a amené des constructions extrêmement fragiles, des organisations parfois à la limite du réalisable. Dans les départements où le nombre de communes partantes pour la rentrée 2013 était jugé trop faible, les DASEN ont été fortement incités à utiliser les voies dérogatoires pour faciliter les choix communaux. Certains l'ont fait, en regrettant d'être contraints de donner quitus à des organisations dont ils connaissaient pertinemment le manque de fiabilité.
Dans certaines communes, cette temporalité très courte a conduit à développer des projets identiques de la petite section au CM2. Il n'est pas nécessaire d'être spécialiste des rythmes enfantins pour percevoir l'inadaptation flagrante de certaines organisations aux plus jeunes enfants !
Certains veulent considérer que la consultation des parents d'élèves produit de manière presque mécanique une volonté démocratique qui, de ce fait, doit s'imposer. Ceci doit être relativisé, la représentativité des parents, qui contribuent à l'élaboration des projets éducatifs territoriaux, étant parfois très faible. Ces personnes obéissent souvent même plus à un entre-soi sociologique qu'à une véritable représentation des familles concernées !
De ce fait, on découvre, dans les organisations mises en place cette année, qu'un certain nombre sont très peu adaptées aux besoins des parents, et qu'elles ont très vite entraîné l'expression de fortes insatisfactions.
J'insiste sur le fait que, dans un certain nombre d'endroits, ceci a conduit à une perte de repères de certaines familles. Les organisations sont si compliquées et si différentes, parfois d'une école à l'autre, que les repères nécessaires aux familles se sont perdus dans un flou qui a contribué à brouiller l'identification des caractéristiques propres de la vie scolaire.
Nous pensons que trois axes de réforme doivent être poursuivis simultanément : l'organisation hebdomadaire, l'organisation annuelle et les programmes. Ce n'est pas le choix qui a été retenu. Le fait de reporter l'organisation annuelle handicape sévèrement la possibilité d'ouvrir à nouveau ce dossier. Pourtant, à quel équilibre pourrait-on prétendre si l'on ne prend pas en compte la dimension annuelle dans la réorganisation du temps scolaire de l'élève ?
S'agissant des programmes, il faut réussir à dépasser le conflit entre l'idée d'une réduction et celle d'une ambition forte pour tous les élèves. Il importe que la réforme des programmes actuellement en cours réussisse à supprimer les injonctions irréalistes, nées de l'empilement des contenus, sans que soit posée la question de leurs incidences sur les élèves les plus fragiles.
S'interroger sur les rythmes scolaires, c'est aussi interroger les programmes, car la question du temps scolaire est une question de relation entre le temps et les contenus d'enseignement mis en oeuvre. Souhaitons que la réforme des programmes satisfasse cette attente. Nous contribuerons à ce qu'elle y parvienne.
Quant aux conditions de travail des fonctionnaires, elles sont aussi respectables que celles de tous les travailleurs, et à ceux qui considéreraient cet argument comme trop corporatiste, il faut rappeler que beaucoup d'études montrent qu'il existe un rapport étroit entre la qualité de l'exercice professionnel et la qualité des conditions de travail. Cette temporalité très courte de mise en oeuvre a constitué un des facteurs de détérioration du quotidien professionnel des inspecteurs. Comment imaginer mener à bien un tel travail quand on est inspecteur d'une circonscription rurale d'une soixantaine de communes ? Comment mener à bien ce travail quand le fonctionnaire de l'État est considéré par l'élu comme un obstacle?
À défaut d'avoir suffisamment pris en compte les paramètres liés à la gestion des temps de service des fonctionnaires de l'État, cette réforme va être coûteuse en moyens humains. La gestion du temps de service des remplaçants qui devront intervenir au sein du même territoire dans des organisations de temps différentes présente également un obstacle. La mise en adéquation des temps partiels avec des horaires de service différents d'une école à l'autre, l'organisation de dispositifs d'animation pédagogique qu'il va falloir démultiplier, tout cela coûte du temps. Personne n'est aujourd'hui capable de chiffrer ce coût à l'échelon national, mais nous savons que si cela représente une fraction minime dans le temps de travail d'un fonctionnaire, le cumul commence à compter ! Dans les circonscriptions où les inspecteurs ont fait ce calcul, on en arrive parfois à 1 ou 1,5 équivalent temps plein (ETP). À l'échelle nationale, le chiffre n'est pas négligeable.
Un mot pour conclure sur les enjeux de la recherche d'une mise en cohérence éducative globale des différentes professions qui interviennent autour de l'enfant... La volonté de construire cette cohérence globale est légitime, mais elle ne peut amener à confondre systématiquement ce qui relève de l'État et ce qui relève de la collectivité territoriale. Or, la volonté de réussir une mise en oeuvre rapide a conduit, dans beaucoup d'endroits, à un usage de la dérogation parfois à la limite de la déréglementation. Il en résultera une forte inégalité qualitative sur le territoire national.
Il ne serait pas honnête de percevoir les réticences que nous pouvons exprimer comme des obstructions systématiques à une coopération entre le service public de l'éducation et les communes. Depuis longtemps, les inspecteurs ont démontré le contraire. Ils ont développé des actions concertées avec les collectivités territoriales, que ce soit dans le domaine de l'éducation artistique et culturelle, ou dans les domaines de l'éducation à la citoyenneté, à la santé, à l'environnement, etc.
Dans beaucoup de secteurs urbains, la politique de la ville ou la réussite éducative fournissent des exemples de coopérations très réussies, mais qui se sont construites progressivement, dans le respect des missions et des prérogatives de chacun. Vouloir affirmer que les champs d'intervention doivent rester distincts ne relève pas, comme on l'entend dire parfois, d'une stratégie de défense de pré carré, mais d'une conception de l'organisation sociale, où la dynamique des coopérations ne suppose pas la confusion des fonctions. La coéducation doit relever d'une construction conceptuelle rigoureuse, qui doit prendre en compte la complexité d'enjeux multiples et d'intérêts divergents.