Le Syndicat national des journalistes de la CGT est le deuxième syndicat de la profession. Il a obtenu environ un quart des voix aux dernières élections.
J'en suis le secrétaire général depuis 2010. Je suis moi-même journaliste au magazine GEO, du groupe Prisma Media - groupe racheté par Vivendi le 1er juin 2021.
Mon intervention se fera en deux temps : le constat, et les solutions.
Je commencerai par un mot : enfin ! Enfin, la thématique de la concentration des médias et de ses conséquences sur l'information arrive sur le devant de la scène, et j'en remercie M. Assouline. Comme vous le savez, vous n'êtes pas les seuls à travailler sur ce sujet. Une mission a aussi été lancée conjointement par les ministères de l'économie, des finances et de la relance et de la culture. Des syndicats de journalistes ont été auditionnés cette semaine à ce sujet. Je pourrais aussi parler de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui sortira bientôt un rapport sur la liberté de la presse comportant un focus sur la concentration. Dans ce cadre également, nous avons été entendus.
Pourquoi votre travail est-il important selon nous ? Nous tenons d'ailleurs à vous remercier de votre invitation. Le SNJ-CGT n'a pas attendu Vincent Bolloré, qui a bon dos aujourd'hui, pour dénoncer cette concentration des médias que nous supportons depuis des années et des années en tant que journalistes. Le rachat des Échos par Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH) s'est produit en 2007, celui du Monde par le trio Pigasse-Bergé-Niel en 2010. Nous voulons nous servir de la brutalité de M. Bolloré - il y a évidemment une brutalité dans le traitement fait à Canal+, Europe 1, etc. - pour dénoncer cette concentration qui n'a que trop duré et dont tout le monde voit les effets néfastes.
Pendant très longtemps, même les syndicats amis du SNJ-CGT nous ont répondu qu'ils savaient que la concentration, ce n'était pas très bien, mais qu'il n'y avait que ces milliardaires et ces grands groupes pour sauver l'emploi de journaliste dans la crise patente provoquée par la révolution numérique dans le secteur de la presse écrite.
Or, en 2021, la démonstration est faite. En réalité, la concentration se traduit par moins d'emplois de journalistes. La concentration, c'est une précarité extrême dans une profession qui vit très mal à tous les niveaux. Elle comporte, en effet, plus de 25 % de précaires, et le salaire moyen n'y a pas évolué en vingt ans. Un journaliste en contrat à durée indéterminée (CDI) gagne en moyenne 3 000 euros par mois, comme il y a vingt ans. Ce sont les moyennes de la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP). Vous pouvez les vérifier.
La concentration est donc néfaste pour l'emploi, et la concentration est bien sûr néfaste pour la qualité de l'information.
En tant que journalistes, nous sommes pris en tenaille, car nous sommes confrontés à la défiance très forte de la population, qui prend parfois des formes violentes. Notre image est profondément dégradée.
Il existe une régulation, et des lois, notamment la loi de 1986. Mais, quand nous voyons ce qu'il se passe, ce qui se rachète et comment cela se passe, nous constatons qu'il faut changer ces lois et les renforcer.
J'en viens aux solutions. J'évoquerai quatre points. Il faut tout d'abord revenir, sans les copier et moyennant sans doute des adaptations, à l'esprit des ordonnances de 1944, selon lesquelles une personne ne pouvait pas posséder plus d'un média.
Il faut également reprendre ce qui était l'une des propositions fortes de M. Bayrou lors de l'élection présidentielle de 2007 : des groupes vivant des commandes de l'État ne peuvent pas posséder de médias. Dans la plupart des grandes démocraties occidentales, il existe de grands groupes de médias, mais l'on n'y voit pas de groupes spécialisés dans l'armement posséder des médias. C'est ce mélange des genres qu'il faut arrêter.
Il faut aussi revoir la structuration de la régulation des médias. Comme l'ensemble des syndicats de journalistes, le SNJ-CGT estime que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) doit être profondément revu et démocratisé.
Il faut également revoir l'ensemble des aides à la presse et à l'information. Nous sommes un pays où la presse est sursubventionnée. Je ne regrette pas le montant donné à la presse et aux médias, qui s'élève, selon les sources, à plus de 6 milliards d'euros par an pour l'audiovisuel public, l'Agence France-Presse (AFP) et les aides à la presse. Mais il faut que ce montant soit considérablement revu, et que le budget de l'audiovisuel public soit augmenté.
L'audiovisuel public est dans une mauvaise situation, alors qu'il fait un excellent travail, y compris sur le plan des audiences, comme en témoigne l'exemple de France Inter.
Il faut aussi revoir les aides à la presse, qui s'élèvent à environ 1,2 ou 1,3 milliard d'euros par an, dont plus de 400 millions d'aides directes, qui vont en priorité aux milliardaires qui possèdent la presse. Cela doit évidemment être terminé ! Les aides doivent être réorientées pour permettre à de nouveaux médias d'éclore. Je pense en particulier à la presse locale. En effet, nous parlons de Bolloré, mais il faut mentionner aussi la concentration dans la presse quotidienne régionale à laquelle nous assistons depuis vingt ans. Il n'existe plus désormais qu'un seul journal dans les métropoles, et les journaux se ressemblent tous considérablement. Je prends l'exemple du groupe Est Bourgogne Rhône Alpes (EBRA), dont le bureau d'informations générales situé à Paris fournit l'information nationale et internationale à tous ses titres de presse de l'est de la France.
Il faut également conditionner les aides au respect du code du travail et de la convention collective des journalistes, qui sont battus en brèche dans nombre d'entreprises de presse par ces mêmes milliardaires, qui sont des cost-killers au quotidien. Nous le vivons dans mon entreprise. Bolloré n'est pas seulement brutal ; il peut agir différemment selon les entreprises. Nous pourrons revenir sur la notion d'interventionnisme dans l'éditorial.
Enfin, nous proposons une dernière solution que connaît bien M. Assouline. Nous avons perdu, pour l'instant, cette bataille contre la concentration. Cela fait longtemps. Nous voulons nous servir de votre travail pendant la campagne présidentielle pour interpeller l'ensemble des candidats sur ce sujet.
Il y a, d'un côté, la concentration, la structuration capitalistique des médias, et, de l'autre, l'indépendance des journalistes et des rédactions. Or celle-ci ne passera, selon nous, que par la reconnaissance juridique de l'équipe rédactionnelle, qui avait été d'ailleurs proposée par M. Bloche ainsi que par la sénatrice Nathalie Goulet.
Il faut aussi faire le bilan de la loi Bloche de novembre 2016 sur les chartes déontologiques. Sans critiquer la volonté de M. Bloche, cette loi est trop faible par rapport à ce qui nous arrive au quotidien dans les entreprises de presse.
Il faut également une plus grande transparence sur les aides, et que nous soyons intégrés dans la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).