Actuellement conseiller industriel à la Fédération des industries ferroviaires, j'ai pendant 7 ans dirigé la société Valdunes, qui fabrique des roues et essieux ferroviaires. Elle est donc un consommateur d'acier important. Elle faisait partie du groupe Ascométal, il y a de nombreuses années.
Permettez-moi de vous présenter la Fédération des industries ferroviaires. Elle est présidée par M. Louis Nègre, l'un de vos anciens collègues. Le délégué général est M. Jean-Pierre Audoux qui n'a pas pu être présent aujourd'hui. La Fédération des industries ferroviaires regroupe environ 300 entreprises en France. Le ferroviaire représente 4 milliards d'euros de chiffres d'affaires en France. C'est un secteur qui est à la fois important et stratégique, mais en même temps qui n'est pas un poids lourd économique par rapport à d'autres secteurs comme l'aéronautique, l'automobile. Il faut en être conscient. Le nombre d'emplois est cependant conséquent.
Les opérateurs - SNCF, RATP,... - ne font pas partie de la Fédération, qui a un caractère industriel. Les membres sont les constructeurs - Alstom, Bombardier, Siemens - les équipementiers, tous les fournisseurs et sous-traitants de la filière. Il y a également des clusters régionaux qui regroupent un certain nombre d'adhérents - environ le même nombre - dans les Hauts-de-France l'AIF, Mécateam, Neopolia et autres. Le ferroviaire est très largement concentré dans les Hauts-de-France. Les chiffres varient, mais on estime entre 40 et 50 % la part de l'activité ferroviaire réalisée dans cette région. Ce n'est pas un hasard. Le ferroviaire s'est installé dans les zones sidérurgiques.
Beaucoup d'entreprises dans le domaine ferroviaire sont de très petites entreprises et plutôt des TPE et des PME. Nous manquons d'ETI. C'est un constat général en France, par rapport à l'Allemagne notamment. Au final, il y a quelques grands groupes et un faisceau de très petites entreprises.
L'acier joue un rôle assez crucial dans le ferroviaire. Les principales applications sont les suivantes : le rail est probablement le premier consommateur d'acier. La roue et les essieux sont d'autres consommateurs importants pour les aciers spéciaux, et les aciers dits « longs ». Enfin, les caisses des voitures et des wagons utilisent l'acier, tout comme un nombre important de composants : moteurs, roulement à billes, boîte de roulement, ... De très nombreuses pièces en acier sont présentes dans le ferroviaire.
Notre particularité est le haut degré de besoins techniques de qualité et de sécurité. Cela amène à dire qu'aujourd'hui en France, nous avons un vrai problème de source pour les aciers spéciaux. L'actualité fait que l'on parle de British Steel et d'Ascoval : pour le rail, British Steel coule son acier en Angleterre, puis l'envoie à Hayange où il est laminé pour produire les rails. British Steel vient se déclarer en cessation de paiements en Angleterre. Ascoval était l'une des parties d'Ascométal capable de fabriquer ces aciers spéciaux. Au-delà de l'aspect médiatique et de ressources humaines pour les 280 personnes qui y travaillent, il y a une dimension stratégique : être capable de produire ces aciers spéciaux. Aujourd'hui, environ 350 000 tonnes de rails sont fabriqués en Angleterre, soit 1 400 tonnes par jour, qui transitent par le tunnel sous la Manche pour être laminées à Hayange. British Steel essaye de maintenir ses engagements et de reprendre la partie française en dépit de ses difficultés anglaises. C'est un sujet complexe, qui illustre les difficultés de la filière en France.
Mon deuxième focus concerne Valdunes. Pour les roues et les essieux, Valdunes fournissait Ascométal. Valdunes était à l'origine Creusot Loire puis Usinor, à l'époque où la sidérurgie allait jusqu'à la partie aval et produisait les produits finaux : roues, essieux, rails. Valdunes a été séparée de l'entité-mère, mais est restée très proche d'Ascométal : l'un de ses deux sites industriels est à Dunkerque dans l'usine des Dunes d'Ascométal, l'autre à Valenciennes - Trith-Saint-Léger. La déconfiture d'Ascométal a été un choc important pour la société. Il y a une dépendance réelle. Le repreneur d'Ascométal - le groupe Schmolz + Bickenbach - qui a repris les autres sites d'Ascométal hors Ascoval, ne souhaite pas continuer à produire de l'acier pour le ferroviaire, sauf pour une partie essieux. Aujourd'hui, une société comme Valdunes consomme 50 000 tonnes par an d'aciers très spéciaux et est obligée de s'approvisionner dans d'autres pays européens et en Chine. C'est dommageable économiquement pour la vision européenne. D'autre part, nous avons perdu l'avantage concurrentiel d'une sidérurgie française autrefois puissante avec un très haut niveau de qualité et un retour d'expérience.
Il n'y a pas aujourd'hui de problème de source, même pour les aciers spéciaux. En revanche, il n'existe que seulement une dizaine ou quinzaine d'aciéristes au monde capables de produire les aciers ayant les qualités nécessaires. Certains sont localisés dans des pays asiatiques ou en Russie : ce ne sont pas forcément des marchés ouverts et qui échangent régulièrement avec nos industries. Ce sont également des pays qui ont tendance à ne pas exporter lorsque leur marché intérieur se porte bien, et au contraire exportent à n'importe quel prix lorsque leur marché intérieur ralentit. C'est une difficulté de sourcing. Enfin, dans le secteur ferroviaire, peut-être plus que dans d'autres, on rencontre des qualifications et des normes très rigoureuses. Pour qualifier une nouvelle source d'acier, pour vendre des roues ou des rails, il faut un délai entre un et deux ans. Cela n'est pas neutre sur un certain nombre de produits stratégiques, lorsqu'il faut changer de source.