Intervention de Jérôme Duchange

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 22 mai 2019 à 14h15
Table ronde sur la filière aval en présence de la fédération française du bâtiment de la fédération des industries ferroviaires et de siemens gamesa

Jérôme Duchange, Conseiller Industriel de la Fédération des Industries Ferroviaires (FIF) :

Nous n'avons pas de statistiques exactes sur la consommation d'acier pour le ferroviaire. Une estimation rapide serait de 400 000 tonnes, ce qui fait à peu près 2 % du marché sidérurgique en France. Cela reste marginal par rapport aux grands volumes nécessaires pour d'autres secteurs d'activité.

En revanche, nous avons besoin d'aciers très spéciaux. Si une roue d'un train produite il y a vingt ans casse aujourd'hui, on doit pouvoir indiquer la manière dont elle a été produite, sur quelle machine, avec quelle température, de quelle coulée vient l'acier ou avec quelle ferraille elle a été faite. Il y a un besoin de traçabilité complète et totale dans tous les produits pour des motifs liés à la sécurité.

Le ferroviaire en France représente environ 30 000 emplois. C'est un secteur de taille intermédiaire. Au fur et à mesure des années, les emplois ont tendance à s'éroder et leur pérennité va dépendre de plusieurs facteurs. Une menace évidente est liée à la concurrence des entreprises chinoises dont la taille n'est pas comparable avec celle des entreprises européennes. La plus grande entreprise - CRRC (China Railway Rolling Stock Corporation) - représente la taille combinée de la SNCF, de Siemens, la RATP et la Deutsche Bahn et emploie 6 millions de personnes en Chine.

Le France reste la troisième puissance mondiale du secteur avec des champions français : Alstom, Bombardier, même Siemens peut être considérée comme partiellement français. Mais notre avancée technologique a tendance à se réduire compte-tenu des transferts de technologie vers la Chine, et des coûts de production très nettement inférieurs aux nôtres. Nous avons encore des cartes à jouer, grâce à l'avance technique et technologique, mais il faut continuer à se battre. La tendance est à développer l'ingénierie en France et à produire de plus en plus localement. La plupart des acteurs publics réclament des parts de production locale de plus en plus importantes. Aux États-Unis, le mégacontrat entre Alstom et Amtrack pour des trains à grande vitesse dont les roues seront produites avec de l'acier américain, impose que 40 % de l'acier soit américain. Les roues et les essieux vont être forgés en France avant d'être renvoyés aux Etats-Unis. Pour le contrat d'Alstom en Inde, une vingtaine de rames pilotes va être produite en France puis les 800 autres seront fabriquées en Inde.

Les modèles économiques sont en train de changer. Certaines actions de l'Europe commencent à prendre forme, mais elles sont assez timides par rapport à ce que l'on voit dans d'autres pays. Les appels d'offres ne sont pas harmonisées entre les différents pays européens.

Enfin, je pense que les industriels français sont très respectueux des normes et réglementations sociales, environnementales, de qualité. Pour avoir vu des industries équivalentes dans d'autres pays européens, la France est plus exigeante, y compris par rapport à l'Allemagne, qui a une réputation de rigueur absolue. De manière imagée, lorsque l'inspection du travail vous impose un chariot élévateur au-delà de deux marches d'échelle et que vous voyiez un salarié italien en train de repeindre la façade de son usine à 10 mètres de haut sur une simple échelle, vous vous dites que la concurrence ne peut être équitable.

Afin d'être pérenne, ce secteur, resté très traditionnel, doit se réinventer. La concurrence de la SNCF va remettre les cartes sur la table. Le marché fondamental du ferroviaire doit rester porteur, à cause de l'environnement, de l'augmentation de la population, avec une prévision de croissance mondiale de l'ordre de 2,7 % et de 2 % en Europe. En France, nous avons un relais de croissance important avec le Grand Paris et la rénovation du réseau ferroviaire. Le rail représente 50 % de la consommation d'acier du ferroviaire. Ces besoins devraient profiter à la sidérurgie française, ce qui n'est pas assuré.

Aujourd'hui, dans le monde, lorsque quelqu'un achète un train, il demande à ce qu'on lui prouve que la part de production locale atteint bien un certain pourcentage. Quand des trains sont livrés en France, on suppose qu'un train Alstom a été produit en France. Or, si on le démonte, on se rend compte que la réalité est différente. Il ne s'agit pas de critiquer Alstom mais de prendre en compte les faits tels qu'ils sont.

Il y a de vrais défis. L'échec de la fusion entre Siemens et Alstom a conduit à un affaiblissement de notre industrie. Il y a de vrais besoins de consolidation en Europe. Être capable de créer un vrai réseau d'ETI en France renforcerait le secteur. Les aciers spéciaux français constituent un atout et un avantage concurrentiel. Aujourd'hui, il y a moins de sources et moins de ressources pour investir.

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