Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 mars 2021 à 14h00
Institutions européennes — Session d'hiver de l'assemblée parlementaire de l'organisation pour la sécurité et la coopération en europe du 24 au 26 février 2021 : communication de m. pascal allizard premier vice-président de la délégation française

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le Président, merci d'avoir accepté le principe de cette présentation. La délégation sénatoriale de l'AP-OSCE est rattachée administrativement à la commission des affaires européennes et il m'a semblé naturel de renouer avec cet usage de rendre compte devant vous de notre mandat.

L'OSCE regroupe 57 États d'Amérique, d'Europe et d'Asie et l'AP-OSCE 323 parlementaires issus des Parlements de ces 57 États membres. L'OSCE est issue de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe qui a abouti à l'Acte final d'Helsinki signé le 1er août 1975.

Quelques mots sur l'institution : l'acte d'Helsinki ne comporte que peu de dispositions concrètes. Il est avant tout une énumération de principes et d'intentions : égalité souveraine, respect des droits inhérents à la souveraineté, non-recours à la menace ou à l'emploi de la force, inviolabilité des frontières, intégrité territoriale des États, règlement pacifique des différends, non-intervention dans les affaires intérieures, respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction, égalité de droits des peuples et droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, coopération entre les États, exécution de bonne foi des obligations assumées conformément au droit international.

Les États participants déclarent leur résolution de tenir dûment compte des dispositions de l'Acte final de la Conférence et de les appliquer. Toutefois, l'Acte final n'a pas la force d'un traité obligeant ses signataires. Pourtant, il a participé indirectement à l'issue de la Guerre froide. En effet, les Soviétiques ont signé l'Acte parce qu'à leurs yeux, il figeait une fois de plus les frontières issues de Yalta et les Occidentaux ont espéré de leur côté que des rencontres annuelles seraient l'occasion de dénoncer les manquements aux Droits de l'Homme perpétrés de l'autre côté du Rideau de Fer. Les Soviétiques n'avaient probablement pas imaginé que le seul fait d'égrener tous les ans la liste des prisonniers politiques et de ceux qu'on allait appeler les « dissidents » aurait un tel impact sur l'opinion publique des deux côtés du Mur. La suite est connue.

Ainsi les pères fondateurs ont essentiellement confié à l'OSCE la sécurité de l'Europe et la coopération entre les différents pays qui composent notre vieux continent. Ce sont les deux missions principales de l'organisation. Malgré les conflits et les tensions existant entre les États membres, nous cherchons à ne pas trop nous en écarter, sinon nous prendrions le risque de perdre notre « raison d'être » ou tout simplement notre « raison sociale ». Pourtant on peut observer une inflexion depuis deux décennies : les questions de sécurité et les enjeux politico-militaires semblent passer au second plan, tandis que prennent le dessus la promotion des droits de l'Homme, des libertés fondamentales, de l'égalité des genres et quelque peu aussi de la coopération économique et environnementale.

L'AP-OSCE se réunit en plénière trois fois par an, en hiver, en été et à l'automne. Elle est dotée de trois commissions générales : affaires politiques, affaires économiques, démocratie et Droits de l'Homme. Celles-ci se réunissent lors des réunions statutaires, mais elles peuvent aussi se réunir à tout autre moment à l'initiative de leurs présidents. Des commissions ad hoc sont également constituées et peuvent organiser des missions sur le terrain. Actuellement il existe deux commissions ad hoc : migrations, dont j'ai pu être quelque temps vice-président, et terrorisme. Enfin il existe un groupe de travail informel sur les Routes de la Soie.

L'organe dirigeant, le Bureau, est composé du Président, des vice-présidents, du Trésorier et des membres du bureau des trois commissions générales ainsi que du Président émérite, c'est-à-dire l'immédiat prédécesseur du président en titre. Les représentants spéciaux sont nommés à la discrétion du Président et sont invités au bureau si leur sujet doit être évoqué lors de la réunion. Le Bureau de l'AP-OSCE se réunit une ou deux fois par an à Copenhague en tant que de besoin, et, chaque année, il se réunit dans le pays exerçant la présidence, lors de la réunion du Conseil ministériel. C'est là que se décident les grandes orientations. J'ai l'honneur d'être vice-président de l'AP-OSCE depuis 2018.

Depuis mars 2020, l'AP-OSCE a renoncé à toute réunion physique en raison du contexte sanitaire, mais elle a en revanche organisé régulièrement et sans difficulté l'ensemble des réunions statutaires par visio-conférence. De même, les trois commissions permanentes ainsi que toutes les commissions ad hoc ont organisé des webinaires si bien qu'aucune des réunions prévues en 2020 n'a été annulée à ce jour, permettant ainsi un fonctionnement quasi normal de l'institution. En outre, la présidence de l'AP-OSCE a lancé avec succès des webinaires consacrés à des sujets d'actualité touchant en particulier aux conséquences de l'épidémie sur les droits de l'Homme et l'État de droit, sujet qui préoccupe aussi notre commission. À côté de ces activités statutaires, l'AP-OSCE participe régulièrement à des missions d'observation électorales, comme peuvent le faire également les membres de l'APCE. Nous avons dû renoncer à l'observation des élections américaines de novembre en raison de la crise sanitaire. Début avril, les élections législatives bulgares feront l'objet d'une mission d'observation que je présiderai.

La délégation du Sénat à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE compte 5 membres qui s'ajoutent aux 8 membres de l'Assemblée nationale pour former la délégation française à l'AP-OSCE. La présidente est une députée, Sereine Mauborgne. Les présidences suivent une alternance entre majorité et opposition, ainsi qu'entre assemblées.

Lors de la dernière réunion statutaire de l'AP-OSCE, le constat a été fait d'un recul du multilatéralisme. Les 26 et 27 février dernier, l'AP-OSCE s'est réunie en visioconférence pour sa 20e session d'hiver et nous avons débattu des conflits actuels en Europe, de la crise ukrainienne, de la situation au Nagorny-Karabakh, de la sécurité économique et environnementale, des Droits de l'Homme et des conséquences de l'actuelle pandémie.

Lors des débats, il a ainsi surtout été question du nécessaire retour au multilatéralisme. La crise du multilatéralisme que nous traversons déjà depuis plusieurs années est préoccupante. Le multilatéralisme à vocation universelle a connu une ascension continue jusque vers la fin du 20è siècle, puis il a décliné et, curieusement, ce déclin va de pair avec la montée de l'insécurité internationale que nous connaissons.

Dans la première moitié du XXe siècle, les Nations Unies ont vu le jour après la guerre mondiale et la Charte des Nations Unies est devenue une norme fondamentale reconnue des relations d'État à État. C'est sur la base d'un système international avec l'ONU comme noyau central et un ordre international fondé sur le droit international et s'appuyant sur le fonctionnement efficace des institutions multilatérales, que des progrès considérables ont été accomplis dans le domaine de la gouvernance mondiale. Nous nous en écartons désormais, même en Europe.

Premièrement, les États-Unis, jusqu'à une date récente, nous ont montré qu'ils tournaient le dos au multilatéralisme en se retirant de certaines instances multilatérales et de certains traités et en relâchant les liens qui les attachent à notre continent, mais cette crise du multilatéralisme est loin de tenir à la seule politique américaine. Nous verrons quelle inflexion l'administration Biden donnera à sa politique internationale.

Dès 2014, la Russie annexait la Crimée au mépris du droit international et menait une guerre en Ukraine en pleine Europe. La Turquie, pourtant membre de l'OTAN, menace d'autres membres de l'OTAN. Enfin, la Chine qui, quant à elle, prêche le multilatéralisme, développe en attendant - et de manière subreptice - ses propres instances parallèles. Qui peut encore croire que les Routes de la Soie - la fameuse « Belt and Road Initiative » - constituent une enceinte multilatérale quand, en réalité, elles permettent à Pékin de conclure des accords bilatéraux avec chaque pays pour développer son influence internationale ? Dans notre rapport sur les Routes de la soie fait au nom de la commission des affaires étrangères, Gisèle Jourda et moi avions utilisé à ce sujet le terme de « bilatéralisme de masse ». La Chine a même enfoncé un coin dans l'Union européenne avec son format 17+1, sans que l'Union européenne ne réagisse ni remette en cause la signature du traité sur les investissements.

Cette crise du multilatéralisme s'installe avec un hégémon libéral américain en retrait et un hégémon autoritaire chinois en pleine ascension. Aux États-Unis, le retour progressif à l'isolationnisme peut être analysé comme une tendance lourde de moyen terme depuis l'appel du Président Barack Obama en 2015 à « en finir avec les guerres sans fin », renforcé par la volonté politique du Président Donald Trump. La présidence démocrate pourrait peut-être renverser la vapeur. D'ailleurs, le Président Biden n'a-t-il pas déjà annoncé que les États-Unis reviendraient dans l'Accord de Paris ? C'est un symbole. Ira-t-il au-delà du symbole ?

Quant à la diplomatie européenne, elle cherche à s'affirmer au service de la « méthode multilatéraliste ». Mais on voit qu'elle a du mal à imposer son modèle démocratique, concurrencée par des alternatives autoritaires à travers la planète entière, prise entre la montée du national populisme, les ingérences étrangères, et l'affaissement plus général de l'idéal de la démocratie représentative. En outre, l'UE n'est pas une puissance au sens étatique et régalien du terme, d'autant qu'elle jugule elle-même les aspirations régaliennes de ses propres États membres.

Il est clair que l'UE peine à se projeter comme un acteur international capable de mettre en oeuvre une politique étrangère, ambition dont la crédibilité nécessiterait une capacité à user de la force. L'UE apparaît tout au plus comme un « soft power » qui veille en paroles à l'équilibre des puissances dans les régions déstabilisées. Elle s'engage parfois dans des « opérations de désescalades des tensions » par communiqués, résolutions et même sanctions diplomatiques et commerciales. À l'OSCE, il est difficile voire impossible de parler de la politique de l'UE : très vite, nos partenaires nous rétorquent que ce sont des questions qui ne concernent qu' « une fraction des États membres de l'OSCE ».

Le poids des conflits gelés et des autres contentieux empêche un climat serein à l'OSCE. Ce qui perturbe le bon fonctionnement de l'Institution, c'est l'impossible résolution des « conflits gelés » et l'impossible apaisement des tensions entre États membres issues pour l'essentiel de la Russie, de la Turquie et de l'Azerbaïdjan.

Quand on regarde la carte politique de la « Grande Europe », celle de l'Atlantique à l'Oural, on s'aperçoit qu'en son centre, du Nord au Sud, et même jusqu'à la rive Sud de la Méditerranée, elle est traversée par une grande ligne de faille : une zone de tensions plus ou moins vives. On peut les prendre dans l'ordre en commençant par le Nord.

L'enclave russe de Kaliningrad est la tête de pont de la Russie sur la Mer baltique. Elle est devenue, avec 225 000 militaires, une de premières bases militaires et un des premiers arsenaux russes, considérée comme un avant-poste de la menace russe contre l'Occident. Je l'ai vue de mes propres yeux en avion. C'est proprement effrayant tant est dense la concentration de soldats et d'armes.

La « cyber-guerre » menée par la Russie contre les États baltes déstabilise aussi régulièrement les systèmes informatiques.

La Biélorussie, alliée de la Russie - en particulier pour les exercices militaires qui s'y déroulent face à la Pologne - est actuellement déstabilisée par l'agitation née des irrégularités de la dernière élection présidentielle.

L'Ukraine est, depuis l'annexion de la Crimée, le principal sujet traité par l'Assemblée parlementaire de l'OSCE. L'Ukraine est désormais menacée d'être privée des revenus des gazoducs transportant le gaz russe d'Est en Ouest si le projet Nordstream 2 est achevé.

La Transnistrie - « conflit gelé » et territoire que la Russie cherche à détacher totalement de la Moldavie - est également un formidable arsenal russe, car même s'il est obsolète, il s'y trouve encore des armes chimiques.

L'Abkhazie et l'Ossétie du Sud en Géorgie sont également considérées comme des « conflits gelés ». Ces deux territoires séparatistes de la Géorgie sont occupés par la Russie qui déplace constamment la ligne de démarcation à son profit.

Le Nagorny-Karabakh en Azerbaïdjan est longtemps resté un « conflit gelé », mais la guerre de 2020 entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan a prouvé que les conflits gelés peuvent s'enflammer à tout moment. Depuis le cessez-le-feu du 9 novembre 2020, la Russie est en charge de la sécurité du Nagorny-Karabakh et occupe le territoire avec l'accord tacite mais contraint de la Turquie qui a participé indirectement à cette guerre en déplaçant des djihadistes irakiens et syriens vers l'Azerbaïdjan avant l'intervention.

La problématique de la partition de Chypre reste un point de crispation qui vient de connaître une nouvelle acuité avec la découverte d'hydrocarbures dans ses eaux territoriales et les prétentions de la Turquie sur ces matières premières. La tension permanente qui existe entre la Turquie et la Grèce s'en trouve renforcée.

Enfin la déstabilisation de la Syrie par le djihad a permis à la Russie de devenir un acteur de premier plan au Proche Orient, puisqu'elle a désormais deux bases en Syrie, et permis à la Turquie d'avancer ses pions dans cette région confuse et explosive.

Cette ligne de faille du Nord au Sud où l'on mène des guerres sans le dire ouvertement n'est plus du tout maîtrisée par les puissances occidentales européennes et sert de ballons d'essais pour la Russie et la Turquie qui, ainsi, mesurent le degré de tolérance ou d'apathie de l'Occident et testent jusqu'où elles peuvent aller sans provoquer une déflagration continentale.

Cette situation conflictuelle grave qui n'est pas prise à bras le corps par le clan occidental ni par l'UE fournit à l'Assemblée parlementaire de l'OSCE d'interminables débats entre tour à tour les Russes, les Polonais, les Baltes, les Ukrainiens, et les Moldaves, les Turcs, les Grecs et, les Chypriotes, les Russes et les Géorgiens, les Azerbaïdjanais et les Arméniens.

L'OSCE et son Assemblée parlementaire apparaissent comme des forums où s'expose souvent sans fard la réalité des conflits armés qui traversent l'Europe : véritables guerres qui ne disent pas leur nom et dont on mesure mieux la gravité dans ces enceintes, du fait sans doute de l'absence complète de compréhension entre les protagonistes et de l'impossibilité de tout consensus.

Parallèlement, on mesure parfaitement à l'OSCE un consensus plus facile qui s'installe au contraire sur une nouvelle acception de l'État de droit, l'hostilité à la laïcité, les droits de l'Homme, le dé-colonialisme, la parité et la théorie du genre...

En cela l'OSCE, et a fortiori son assemblée parlementaire, reflète mieux que beaucoup d'enceintes internationales la réalité de notre monde contemporain. C'est un de ses mérites.

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