Intervention de François Brouat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er mars 2023 à 9h30
Audition de Mm. François Brouat président du collège des directeurs des écoles nationales supérieures d'architecture ensa et olivier celnik élu au conseil national de l'ordre des architectes d'île-de-france

François Brouat, président du collège des écoles nationales supérieures d'architecture :

Je vous remercie de votre invitation qui nous donne l'occasion d'évoquer avec vous des sujets qui nous tiennent à coeur. Notre pays compte 20 écoles nationales supérieures d'architecture, établissements publics sous la tutelle du ministère de la culture, ainsi que 2 écoles qui délivrent le diplôme d'État d'architecte - l'École spéciale d'architecture de Paris, seule école privée qui possède cette habilitation, et l'INSA de Strasbourg pour des raisons historiques.

Ces écoles accueillent 20 000 étudiants. Alors qu'il y a 40 000 architectes, 3 300 étudiants entrent chaque année dans les écoles d'architecture. Nous délivrons 2 500 diplômes d'État d'architecte chaque année et 1 500 habilitations à la maîtrise d'oeuvre. Ce réseau d'écoles comprend 1 736 enseignants et 723 agents administratifs.

Il y a six écoles en Île-de-France qui forment à peu près 40 % des architectes français. La carte des écoles d'Île-de-France a été profondément rénovée en 2000 pour supprimer un certain nombre d'écoles, les regrouper et disposer d'un paysage plus pertinent et plus efficace en région parisienne. Deux régions seulement sont dépourvues d'écoles d'architecture : la région Centre-Val de Loire et la région Bourgogne-Franche-Comté. Lorsqu'aucune école d'architecture n'est présente dans une région, les territoires sont en conséquence peu nourris par des architectes. Se pose alors des difficultés sur la qualité des constructions et de l'aménagement.

En outre-mer, une seule région est pourvue d'une école d'architecture : La Réunion. Elle ne propose qu'une formation à l'architecture pilotée depuis l'École nationale supérieure d'architecture de Montpellier. Il ne s'agit donc pas d'une école de plein exercice. Il est assez regrettable qu'aucune formation à l'architecture ne soit dispensée aux Antilles où un dispositif universitaire très complet est en place.

Les écoles d'architecture ont subi depuis une trentaine d'années une transformation très importante : d'écoles professionnelles, elles sont devenues des établissements de type universitaire qui accueillent des équipes de recherche, lesquelles ont développé des enseignements académiques indispensables à la formation des architectes. Comme l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur français, elles sont évaluées régulièrement par le Haut commissariat de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Cette évaluation est un préalable nécessaire à l'accréditation par l'État de nos établissements et de la délivrance de diplômes reconnus. Placées sous la double tutelle du ministère de la culture et du ministère de l'enseignement supérieur, nos écoles ont adopté le système licence-master-doctorat (LMD) en 2006, comme l'ensemble des universités européennes. Ainsi, la qualification de nos étudiants est reconnue au niveau des différents niveaux d'études. Les collaborations entre établissements et les passages d'un établissement à un autre sont facilités. Elles délivrent des diplômes qui valent grades universitaires jusqu'au doctorat.

Toutes les écoles d'architecture, de façon plus ou moins intégrée, participent au mouvement de regroupement universitaire à l'oeuvre depuis quelques années en France. Quatre d'entre elles sont des établissements expérimentaux, composantes d'université. D'autres sont simplement associées. Les regroupements universitaires de grandes écoles, d'universités et de centres de recherche sont de nature très diverse. Certains sont très intégrés, d'autres plus fédéraux, d'autres, de simples associations. Ce mouvement est stratégique. En tant qu'ancrage dans le paysage de l'enseignement supérieur de notre pays, ces regroupements ont permis beaucoup de collaborations, notamment au niveau de la recherche, des participations de nos établissements aux écoles doctorales, et des approches pluridisciplinaires. Il a ainsi été possible de développer des doubles diplômes ou des formations conjointes avec des écoles d'ingénieurs, de design ou avec des masters spécialisés des universités. Ainsi, l'offre de formation a été développée et adaptée à une réalité complexe et multiple. En plus de cet aspect universitaire, les écoles d'architecture dispensent toujours une formation professionnalisante qui forme à la profession réglementée d'architecte, laquelle ne peut s'exercer qu'avec des diplômes agréés par l'État.

L'habilitation à la maîtrise d'oeuvre en nom propre (HMONP) est obligatoire pour pouvoir signer les permis de construire, s'inscrire à l'Ordre des architectes et porter le titre d'architecte. Depuis la réforme de 2006, les écoles d'architecte dispensent cette formation, en collaboration avec l'Ordre des architectes. Nous délivrons une partie théorique et une partie pratique (mise en situation professionnelle de plusieurs mois). Cette double nature académique et professionnelle des ENSA constitue une vraie richesse.

La réforme de 2018 a été décidée à la suite d'un rapport conjoint de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et de l'Inspection générale de l'enseignement supérieur et de la recherche de 2014, consacré à la question du développement de la recherche dans les ENSA. La réforme de 2018 avait pour but de rapprocher nos établissements avec l'enseignement supérieur, notamment en termes de fonctionnement. Elle comportait deux volets essentiels.

Le premier volet concernait le statut de nos établissements. Il s'agit d'établissements publics administratifs sous tutelle du ministère de la culture. Il n'a pas été décidé de les transformer en établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Notre gouvernance a été rénovée et se rapproche des établissements universitaires, notamment par la composition de notre conseil d'administration, lequel inclut des personnalités extérieures, des membres de droit, des personnalités qualifiées, des élus, des enseignants, des étudiants et des personnes administratives. D'autres instances consultatives ont également été installées, telles que le comité pédagogique et scientifique, la commission de la formation et de la vie étudiante et la commission de la recherche. Elles possèdent des compétences sur des sujets qui constituent le fond de la mission de nos établissements : la pédagogie, la recherche et la vie étudiante.

Le second volet de la réforme portait sur le statut des enseignants-chercheurs. Même si nos écoles effectuent de la recherche depuis les années 1970, c'est la première fois qu'a été reconnue dans le statut de nos enseignants la qualité de chercheur. La recherche fait désormais officiellement partie intégrante de leur mission générale de formation, comme dans tous les établissements d'enseignement supérieur. Ce nouveau statut a permis un rapprochement avec les corps enseignants de l'université, notamment les professeurs, maîtres de conférences et intervenants extérieurs.

Le mode de recrutement de ces enseignants-chercheurs a également été profondément modifié. Les enseignants-chercheurs font désormais l'objet d'une qualification par les pairs grâce à la mise en place d'un Conseil national des enseignants des écoles d'architecture. Les concours et le recrutement sont désormais organisés par les écoles elles-mêmes. Cette liberté du recrutement constitue l'un des fondements de l'autonomie des établissements universitaires.

Pour mettre en oeuvre cette réforme, le ministère avait imaginé un système de décharge pour alléger les charges d'enseignement des professeurs et décompter la recherche dans leur service. Un certain nombre de postes d'enseignants devait être créé. Les évaluations estimaient nécessaires la création de 150 postes enseignants, soit par création nette, soit par transformation de postes de contractuels ou de vacataire en postes de titulaire. L'objectif consistait également à atteindre 80 % d'enseignants permanents (titulaires et associés) dans nos établissements et 20 % de contractuels et vacataires, soit la proportion de l'enseignement supérieur général. Le ministère de la culture avait passé un accord avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour pourvoir ces postes. En réalité, seul une cinquantaine de postes a été créée jusqu'à présent. Ce n'est pas négligeable, mais ce nombre est largement insuffisant.

Avant la réforme, les écoles étaient déjà sous-encadrées de façon structurelle. Les missions nouvelles qui résultent de la réforme nécessitent un travail supplémentaire de notre part assez considérable. Or, les dotations budgétaires nécessaires n'ont pas suivi.

Nous avons ainsi alerté le ministère à la fin de l'année 2019 et demandé le soutien du ministre Franck Riester pour remplir ces objectifs. Le ministère a pris deux initiatives. D'une part, il a confié à l'IGAC le soin de réaliser un bilan de la mise en oeuvre de la réforme. Ce rapport a été rendu en décembre 2021. D'autre part, l'IGAC et l'Inspection de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) ont publié, également en décembre 2021, un rapport conjoint relatif aux conditions de l'enseignement et au déroulement de la formation. Il traite de l'adaptation de notre pédagogie et du contenu de nos formations aux évolutions très profondes de la profession.

Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet du premier rapport que je vous ai cité, celui de l'IGAC. Il effectue un constat des difficultés de mise en oeuvre de la réforme. Sur cette base, nous avons beaucoup travaillé avec le ministère sur de nouvelles dispositions réglementaires, qui devraient être publiées au mois d'avril. Elles devraient permettre d'améliorer la situation. Il est néanmoins dommage d'avoir eu à attendre 2023 pour les obtenir, alors que ces points étaient inhérents à la réforme de 2018. Je pense que la crise actuelle trouve très largement son origine dans la lassitude ressentie par les enseignants et les étudiants.

La revalorisation des traitements des enseignants titulaires et contractuels doit connaître des avancées. La loi de finances initiale pour 2023 prévoit un rapprochement de toutes les conditions de rémunération et notamment la création d'un régime indemnitaire pour rapprocher le statut des enseignants-chercheurs des écoles d'architecture de celui des professeurs et maître de conférences de l'université. Ces derniers ne sont pas parmi les Européens les mieux rémunérés. Nous attendons des mesures techniques comme la possibilité pour les enseignants d'avoir des heures complémentaires. En effet, nous souhaitons développer la formation continue des architectes, préalable indispensable dont nous ne disposions pas jusqu'alors. Nous souffrons toujours d'une véritable tension en matière de ressources humaines, car il n'y a pas eu de créations de postes d'enseignants ou de cadres administratifs et techniques en nombre suffisant dans les années récentes.

J'en viens maintenant au second rapport, celui rédigé conjointement par l'IGAC et l'IGESR. Il rappelle les évolutions très positives de la structuration et de la diversification de l'enseignement supérieur de l'architecture, ainsi que la nécessité de travailler sur les rythmes des emplois du temps des étudiants. Nous avons trouvé légèrement abusive la campagne de presse qui laissait à penser que les étudiants en architecture étaient maltraités, car il nous semble qu'une forme de pression s'exerce sur les étudiants dans l'ensemble de l'enseignement supérieur, comme le suggèrent les tensions sur l'emploi et sur l'insertion des étudiants. Chacune des écoles travaille beaucoup sur la question de la refonte des emplois du temps pour diminuer les tensions et éventuellement donner plus d'autonomie et de responsabilités aux étudiants.

La stagnation de notre offre de formation constitue un problème majeur et persistant face à une explosion de la demande. Un numerus clausus important a été mis en place depuis une vingtaine d'années dans les écoles d'architecture. La plupart accueillent sur Parcoursup entre 100 et 150 nouveaux étudiants chaque année et reçoivent des milliers de candidatures. Dans mon école, ce sont 3 000 candidats pour 130 postes. Toutefois, les candidats se présentent probablement dans plusieurs écoles.

Alors que les effectifs de l'enseignement supérieur ont augmenté de 20 à 25 % depuis 15 ans, les effectifs des écoles d'architecture demeurent inchangés à quelques centaines près depuis 2000. Cette situation ne s'explique pas par un besoin moindre en architectes. Elle découle de la décision prise en 2000 de définir des capacités d'accueil maximales de chacune de nos 20 écoles. Depuis, aucune réflexion et aucun projet de développement n'ont eu lieu. Nos écoles sont indispensables pour répondre aux enjeux de construction de la ville de demain et de l'aménagement du territoire. Elles doivent faire évoluer leur pédagogie et le savoir qui y est dispensé. La nation a besoin d'architectes. Il est donc nécessaire de travailler avec nos ministères de tutelle.

En outre, ce second rapport n'envisage qu'une augmentation de 0,5 % des effectifs sous forme de succursales des établissements existants. La réponse ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux et nous sommes en train de réfléchir à des propositions à adresser au ministère. En effet, les tailles des écoles sont relativement différentes. Sept ou huit écoles ont moins de 1 000 étudiants. Nous pensons qu'elles pourraient passer de 600 à 1 000 étudiants d'ici cinq ans.

Pour conclure, j'indiquerai que les mutations de notre environnement économique et professionnel, le réchauffement climatique et la transition écologique constituent des défis majeurs pour l'ensemble de la filière de l'architecture. La fin de l'artificialisation des sols, le réemploi de matériaux, l'usage des matériaux décarbonés et biosourcés, l'intervention sur l'existant, les modalités de conception et d'aménagement de nos villes et de nos territoires doivent être totalement repensés à l'aune de ces impératifs écologiques. Il est essentiel pour nos concitoyens que nous parvenions à relever correctement ces défis. Il en va de la qualité de nos logements, de nos espaces de travail, de nos espaces de loisirs, de nos équipements, et de nos espaces publics. Bref, la qualité de nos villes, de nos territoires et de nos paysages en dépend. C'est bien la question du vivre ensemble dans un environnement durable qui est posée. J'ai le sentiment que cette prise de conscience dans nos écoles est complète. J'ai observé un changement absolument considérable depuis quatre ou cinq ans. Les étudiants ont pris conscience de ces sujets depuis davantage de temps encore. Je dirige depuis huit ans l'école de Paris Belleville, j'ai remarqué un changement très profond de la part des enseignants dans la manière d'envisager l'architecture, nos logements et nos villes.

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