Intervention de Olivier Celnik

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 1er mars 2023 à 9h30
Audition de Mm. François Brouat président du collège des directeurs des écoles nationales supérieures d'architecture ensa et olivier celnik élu au conseil national de l'ordre des architectes d'île-de-france

Olivier Celnik, élu au Conseil national de l'Ordre des architectes :

Je vous présente les salutations de notre présidente Christine Leconte qui vous prie de l'excuser pour son absence. Elle m'a chargé de la représenter. Je suis élu au Conseil national de l'Ordre des architectes. Je m'y occupe des écoles d'architecture et de l'évolution du tableau. Enfin, je suis enseignant en école d'architecture et enseignant contractuel depuis une trentaine d'années. J'ai commencé à enseigner sur les sujets du numérique, lesquels sont des outils, mais également les témoins des nouveaux modes d'évolution et des modes de collaboration, notamment au sein des équipes de maîtrise d'oeuvre. J'ai pu m'occuper, dès son origine, de la mise en place puis de la direction du cycle HMONP, lequel établit le lien avec la profession. Je m'occupe désormais d'un nouveau cursus : le master d'architecte en apprentissage à l'école d'architecture Paris-Val de seine.

Nous sommes 30 000 architectes inscrits à l'Ordre des architectes en France. Ce chiffre est stable depuis 1984. Le Conseil national coordonne les 17 conseils régionaux et nous sommes environ 300 élus au total au sein de ces différents conseils placés sous la tutelle du ministère de la culture. Nous sommes les professionnels en charge de l'aménagement de l'espace et du cadre bâti, les seuls que la loi sur l'architecture de 1977 autorise à porter le titre d'architecte. Cette loi est fondamentale en ce qu'elle proclame que l'architecture est une expression de la culture et qu'elle est d'intérêt public. Les architectes inscrits à l'ordre, diplômés par le Gouvernement (DPLG) pour les plus anciens, et diplômés d'État et habilités à exercer la maîtrise d'ouvrage en leur nom propre, pour ceux qui ont été diplômés plus récemment, disposent d'une assurance apportant une garantie décennale et ont une obligation de formation continue de trois journées par an. La majorité des architectes n'exerce plus aujourd'hui en libéral. Il s'agit d'un important changement d'état d'esprit, lequel s'observe également dans les écoles. Néanmoins, 80 % des agences emploient cinq personnes maximum. 9 000 entreprises d'architecture sont répertoriées, elles emploient 39 000 salariés. Nous constatons un intérêt accru des agences d'architecture pour les sujets de recherche et développement, comme en témoignent la hausse de la demande de crédits d'impôt, l'accueil régulier de doctorants dans le cadre de conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) et la multiplication des projets d'expérimentation.

En France, il y a 0,4 architecte pour 1 000 habitants, contre une moyenne de 1,1 pour l'ensemble de l'Union européenne. Nous sommes très loin de l'Italie (2,6), du Portugal (2,2), du Danemark (1,8) et de l'Allemagne (1,3). L'enquête Archigraphie indique que la Creuse compte 15 architectes et la Haute-Marne 13 architectes. Certaines zones sont désertifiées, ce qui n'est pas sans difficulté pour garantir des interventions sur tout le territoire et un appui à l'ensemble des maires. Nous tentons d'établir des liens avec les deux régions qui ne disposent pas d'école d'architecture. Par ailleurs, un tiers des architectes sont concentrés en Île-de-France.

L'Ordre assure des missions de service public pour la promotion de l'architecture, la diffusion de la culture architecturale, la formation des architectes, les liens avec les écoles et la formation continue. Le rapport de décembre 2021 sur les conditions de l'enseignement et la formation dans les écoles nationales supérieures d'architecture comportait beaucoup de propositions auxquelles nous adhérons. Nous souscrivons par ailleurs aux récents propos de la ministre de la culture, qui a déclaré que les 20 000 étudiants sont les bâtisseurs de demain et que les écoles forment un vivier incroyable d'étudiants.

Le lancement récent du palmarès national RESEDA, qui vise à récompenser les projets de fin d'études les plus écoresponsables, montre bien que nous n'avons jamais eu autant besoin d'architecture. Les projets primés ont trait à une multiplicité de domaines : les constructions neuves, l'intervention sur l'existant, l'aménagement urbain, la revalorisation des territoires ruraux et l'architecture conceptuelle et innovante.

En outre, l'Ordre a entrepris il y a quelque temps, un travail interne pour bâtir un référentiel métier. Il s'agit d'identifier les activités des architectes, exclusives, emblématiques, connexes ou annexes, et les compétences nécessaires associées. Nous participons à plusieurs groupes de travail aux côtés des écoles : un groupe de travail sur les référentiels de compétences et la refonte des programmes en fiches RNCP ; le plan d'investissement métiers et compétences d'avenir sur l'évolution des métiers et des pratiques ; l'Observatoire de l'économie de l'architecture.

L'Ordre a développé, depuis la réforme LMD, des liens accrus et nouveaux avec les écoles. De mon temps, les écoles ne considéraient pas le monde professionnel, l'ordre, les syndicats et les agences. Aujourd'hui, nous sommes présents dans les conseils d'administration des écoles et dans les jurys d'HMONP. Un membre de l'Ordre est membre titulaire de droit de ces jurys. Dans les grandes régions qui comptent de nombreuses écoles d'architecture - l'Ile-de-France qui en a sept, Auvergne-Rhône-Alpes qui en compte quatre, l'Ordre organise régulièrement des réunions avec les écoles de leur territoire pour harmoniser les réflexions. L'Ordre encourage également les initiatives de formation continue des écoles d'architecture et souhaite s'appuyer sur les écoles pour pouvoir former de façon continue les professionnels.

Nous pouvons signaler que désormais quatre membres du Conseil national de l'Ordre, à commencer par notre présidente, sont eux-mêmes enseignants. De nombreux enseignants sont présents dans les conseils régionaux.

J'en viens maintenant aux enjeux liés au contenu de la formation. Le métier d'architecte connait des mutations rapides et profondes. Il nécessite des compétences de créativité et surtout une maîtrise de la complexité du monde de la construction et une réelle vision d'ensemble, parce que les architectes ont vocation à être les interlocuteurs privilégiés de l'ensemble des partenaires intervenant dans ce domaine. Les écoles n'ont peut-être pas toujours conscience des mutations rapides que connaît notre métier. Les attentes de la société d'aujourd'hui vis-à-vis des architectes sont multiples, que ce soit en termes de qualité de logement, d'adaptation des normes et du bâti, de rénovation et de réhabilitation, d'objectifs de développement durable. Les demandes sont de plus en plus techniques ; les architectes doivent savoir se montrer innovants. Les technologies numériques tiennent une place croissante dans l'exercice du métier.

De plus, 40 % des diplômés n'exercent plus en agence d'architecture ou comme architectes libéraux. Les architectes travaillent dans de très nombreux endroits où ils peuvent diffuser notre culture : les collectivités territoriales, les CAUE, les mairies, chez des maîtres d'ouvrage, des bailleurs sociaux ou des promoteurs. Nous pensons qu'il est nécessaire de tenir compte de ces évolutions du métier et de renforcer l'enseignement autour des questions de rénovation du bâti existant, de transition écologique et numérique, de recours aux biomatériaux et aux matériaux biocourcés, de développement de l'économie circulaire, d'amélioration de l'expression écrite et orale.

Nous constatons et déplorons également le numerus clausus évoqué précédemment par M. Brouat : une place disponible en école d'architecture pour 20 demandes. Dans le même temps, les places en école d'ingénieurs ont très fortement augmenté. Si l'on comptait une place en école d'architecte pour quatre en école d'ingénieur en 1990, on ne compte plus qu'une place en école d'architecte pour onze en école d'ingénieur aujourd'hui.

Le numerus clausus se situe également en sortie d'école. Tous les étudiants ne peuvent pas s'inscrire à l'HMO facilement. De ce fait, nous avons un fort contingent d'architectes qui sont seulement diplômés d'État. Ils ne peuvent pas s'inscrire à l'Ordre et porter le titre. Ils ne peuvent exprimer leur connaissance et culture en tant qu'architectes. D'après Archigraphie, presque un étudiant diplômé d'État en architecture sur deux ne s'inscrit pas à l'HMO.

L'évolution des modalités pédagogiques a permis de rapprocher les étudiants architectes du monde professionnel. Il est indispensable de poursuivre dans cette voie, avec des années de césure et des stages longs pour comprendre les différentes facettes des mondes professionnels. Trois écoles ont mis en place des procédures de master en apprentissage. Ainsi, les étudiants sont pendant trois jours en agence et deux jours à l'école. Une apprentie est notamment présente dans mon agence.

Je souhaiterais vous faire part de deux sujets d'inquiétude néanmoins.

D'une part, je m'inquiète de la possible diminution du nombre de praticiens dans les écoles d'architecture : la réforme demande désormais que 70 % des titularisations reviennent à des personnes possédant un doctorat ou une habilitation à diriger des recherches. Nous craignons que les praticiens soient moins nombreux qu'auparavant et que nous perdions le lien entre les écoles et le monde professionnel. Si le statut des enseignants contractuels et vacataires s'est amélioré, il reste néanmoins encore précaire.

D'autre part, je suis préoccupé par le manque de moyens alloués aux écoles d'architecture : le mouvement parti de Rouen il y a quelques semaines dénonçant les conditions de fonctionnement de l'école se propage dans plusieurs autres écoles. Le rapport IGAC signalait un budget de 8 500 euros par an et par étudiant en école d'architecture quand l'État engage 10 500 euros en moyenne à l'université et 15 500 euros dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Ce manque de moyens avait été signalé dans une tribune récente en décembre 2022 par les directeurs des écoles d'architecture qui appelaient à un investissement massif dans l'enseignement de l'architecture, afin de former les futurs acteurs de la transition. Nous sommes en phase avec eux.

À l'heure des évolutions de la société et de la transition environnementale, de nouvelles activités se présentent aux architectes. Ce sont des défis du siècle et les écoles doivent s'en emparer. Il est nécessaire de renforcer les sujets de réhabilitation, de rénovation énergétique, d'éco matériaux, de construction de la ville sur la ville. Rappelons que 80 % de la ville de 2050 est déjà présente. Les écoles commencent à aborder ce tournant dans la profession. Nous allons davantage travailler sur l'existant, le rénover, en faire des extensions, des restructurations, des réversions. La création de bâtiments neufs se poursuivra, mais dans une moindre mesure. Seront en jeu des sujets de décarbonation, de zéro artificialisation des sols, d'aménagement du territoire et de respect du patrimoine bâti.

Afin de garantir une meilleure prise en compte du patrimoine existant, nous avons proposé aux maires lors de leur dernier salon que chacun d'entre eux soit accompagné par un architecte. Nous avons intitulé cette initiative « Un maire, un architecte ». Le but est de donner à chaque maire une vision globale de son territoire et de l'aider à établir des diagnostics d'adaptation d'évolution de son patrimoine pour ensuite prendre les mesures nécessaires. Nous suivons également les politiques nationales « Petites villes de demain » et « Action en coeur de ville » qui se concentrent sur les villes petites et moyennes, et pas seulement sur les métropoles. En outre, nous pensons que les architectes peuvent accompagner les maires pour porter une réflexion sur la manière de résoudre au mieux les défis de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) pour 2050. De plus en plus d'architectes sont donc nécessaires. Le mouvement n'est pas encore vraiment amorcé. Le plaidoyer que nous avons publié un an avant les élections présente l'architecture comme une solution pour l'habitat, les villes les territoires avec quelques mots d'ordre :

- renforcer les territoires pour permettre un développement mieux équilibré ;

- passer d'une politique du logement à une politique de l'habitat ;

- réparer la ville en donnant la priorité à la réhabilitation ;

- changer nos pratiques face au changement climatique ;

- décarboner la construction en développant de nouvelles filières de matériaux.

Je terminerai par une citation présente dans le rapport IGAC de Joseph Belmont, directeur de l'architecture à la fin des années 70 : « Il y a trop d'architectes pour faire ce qu'ils font, mais pas assez pour faire ce qu'ils doivent faire. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion