Intervention de Pascal Saint-Amans

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 13 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Pascal Saint-amans directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'organisation de coopération et de développement économique ocde

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie infiniment de votre invitation, qui va me permettre de vous exposer l'action de l'OCDE en matière de lutte contre l'évasion fiscale, contre la fraude fiscale, et d'amélioration des capacités des administrations fiscales à lever l'impôt comme il doit l'être, en France évidemment, puisque telle est votre préoccupation. Toutefois, notre perspective est plus large, puisque l'OCDE comprend trente-quatre pays, dont la France.

Il n'y a pas si longtemps, j'étais encore en charge du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, qui compte cent sept juridictions membres plus l'Union européenne. Je suis très content et très fier, en tant que Français, de rapporter devant le Sénat au titre de directeur du Centre de politique et d'administration fiscales, ce poste ayant été occupé par un Britannique au cours des trente dernières années.

J'ai pris connaissance de la liste des questions que vous souhaitez examiner ; elles me paraissent tout à fait pertinentes et très intéressantes.

Mon propos liminaire portera sur l'OCDE, qui travaille depuis longtemps sur la fiscalité et met l'accent sur la fiscalité internationale, c'est-à-dire, dans les relations internationales, sur les transactions qui impliquent deux pays et qui posent des problèmes fiscaux.

Le premier problème fiscal qui se pose est de savoir comment éliminer les doubles impositions. En général, les pays ont un droit de taxer à la source et un droit de taxer à la résidence. Ainsi, un revenu qui a sa source dans un pays et qui est perçu par un résident d'un autre pays sera taxé à la source et à la résidence. Cette double imposition économique ou juridique du même revenu n'est favorable ni aux investissements, ni à la mobilité, ni tout simplement à l'équité fiscale.

L'OCDE a donc développé un modèle de convention fiscale et des règles, notamment en matière de prix de transfert, pour éviter les doubles impositions, ce qui favorise les investissements, la croissance, et je passe sur le détail du cercle vertueux qui est ainsi engagé.

Un autre problème concerne le frottement des souverainetés fiscales. Il en résulte des doubles impositions, mais aussi des doubles exonérations, car un revenu peut faire l'objet de qualifications différentes.

Prenons l'exemple d'un revenu considéré comme un revenu d'intérêt parce que l'actif est considéré comme une obligation dans un État. Le revenu versé à un résident d'un autre État sera une charge déductible pour celui qui verse l'intérêt. Mais, dans l'autre État, pour une raison toute simple de qualification juridique, le même revenu sera considéré comme un dividende, lequel sera vraisemblablement exonéré.

Par conséquent, une déduction fiscale d'un côté et une exonération de l'autre peuvent provoquer une double exonération, un avantage fiscal qui n'était absolument pas prévu quand les deux États ont mis en place leur législation. Quant aux conséquences budgétaires qui en résultent, elles peuvent être majeures !

Nous recherchons très activement à identifier les problèmes de cette nature, en termes aussi bien d'arbitrage, lorsque c'est non volontaire, que de planification fiscale agressive de la part d'entreprises qui créent et conçoivent des produits à seule fin de bénéficier d'un avantage fiscal. Ces produits sont illégitimes d'un point de vue fiscal et parfois illégaux.

Le frottement des systèmes fiscaux peut avoir des conséquences encore plus graves et, hélas, plus nocives, par exemple lorsque les États ne coopèrent pas.

Le résident d'un État reçoit des revenus d'un autre État et met à l'abri sa fortune et ses revenus dans un État tiers. Ce dernier ne communique aucune information et organise l'opacité de telle sorte que ni l'État de la source, ni celui de la résidence ne savent où le revenu aboutit. Je parle aussi bien de personnes physiques que, dans certains cas, de groupes de sociétés ou de sociétés qui abritent leurs profits dans des juridictions leur offrant « zéro fiscalité ». Il ne peut y avoir de taxation dans cet État intermédiaire, cet État d'abri.

Le revenu en question devrait, en vertu des règles internationales, être taxé soit dans l'État de la source, soit dans l'État de la résidence. Mais aucun des deux États ne dispose de l'information nécessaire puisque la juridiction, qualifiée souvent de « paradis fiscal », ne la partage pas, même si elle a organisé en interne la collecte de l'information.

Vous avez un trou noir des juridictions qui refusent de collecter l'information, qui n'imposent aucune obligation, ni de déclaration ni de tenue de comptabilité. Elles n'ont donc naturellement aucun accès à l'information, ni aucun moyen d'échanger celle-ci.

Ce n'est pas au législateur français que je vais expliquer ce qu'est une souveraineté fiscale ! Elle est aussi ancienne que l'émergence des États modernes aux XIVe et XVe siècle par le consentement à l'impôt. Je vous renvoie au livre de Bernard Guenée sur l'émergence des États à la fin du féodalisme.

Dans les relations internationales, on constate une intrication entre la souveraineté fiscale et la souveraineté constitution de l'État. C'est ce frottement des souverainetés qui peut créer de très grandes opportunités pour les contribuables.

Dans ce domaine, l'OCDE police les relations entre les États par le biais de modèles de convention fiscale d'un côté, de prix de transfert de l'autre, afin d'éviter les doubles impositions et aussi - cet axe a fait l'objet d'une priorité au cours des dernières années - de lutter contre le manque de coopération pour ne pas permettre aux acteurs, personnes physiques comme sociétés, de bénéficier des doubles exemptions.

J'en viens très brièvement à ce qui a été fait, car le plus important est que je réponde à vos questions.

Des standards en matière d'échange de renseignements ont été développés et sont énoncés dans un article du modèle de convention fiscale de l'OCDE.

Les conventions fiscales sont des instruments bilatéraux qui relèvent du « droit dur », alors que le modèle de convention relève du « droit mou ». Il est recommandé de négocier une convention fiscale à partir de ce modèle-là. À ce jour, plus de 3 000 conventions fiscales bilatérales ont été conclues sur la base du modèle de convention fiscale de l'OCDE.

Il existe un autre modèle, celui de l'ONU. Il diffère légèrement sur les droits de taxer à la source. En revanche, en matière d'échange de renseignements, il est identique, puisque l'ONU a incorporé notre règle, l'article 26.

Il est prévu, dans cet article, des possibilités de coopération très larges.

Le minimum minimorum est l'échange à la demande. C'est le cas d'un pays qui a besoin d'obtenir de son partenaire des « renseignements vraisemblablement pertinents » - c'est le terme juridique précis de l'article 26 du modèle de convention fiscale - pour l'assiette ou l'administration de ses propres impôts.

Est aussi prévue dans cet article la possibilité pour un pays de faire de l'échange spontané. Par exemple, si l'administration fiscale française trouve une transaction susceptible d'intéresser l'administration fiscale américaine, elle enverra spontanément l'information à cette dernière.

Il existe encore un échange automatique de renseignements. Il consiste à envoyer de façon systématique et automatisée les informations collectées auprès des tiers déclarants. Cela se pratique aujourd'hui en France. Trente-huit pays échangent ainsi automatiquement des renseignements.

Il se trouve qu'une partie des salaires versés en France par des employeurs français le sont à des non-résidents venus pour une mission ou un travail. Il est possible d'envoyer automatiquement l'information aux États de résidence de ces employés.

Il en est de même pour ceux qui touchent une retraite versée par la France et qui partent vivre en Espagne, au Portugal, en Italie, au Maroc ou dans leur pays d'origine. La France peut échanger automatiquement les listings avec les pays de résidence des personnes concernées.

Je mets quelque peu l'accent sur l'échange automatique de renseignements, car il prend de l'importance et je souhaite qu'il en prenne encore dans les mois et les années qui viennent. Le standard technologique, technique, qu'est le système d'information permettant d'échanger ces renseignements a été développé pour rendre cet échange efficace.

Cela pose de nombreux problèmes très concrets qui, heureusement, ne sont pas de votre ressort et qui sont très ennuyeux. Par exemple, avec quel type de langage informatique reconnaître une information ? Un TIN ou Tax Identification Number est-il nécessaire ? Il s'agit d'un numéro d'identification fiscale qui permet au pays de recouvrer assez facilement l'information et de la croiser avec ses propres bases de données. Un corpus a ainsi été développé.

Toujours en matière d'échange de renseignements, le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales a été mis en place. Il suit le G20 dans sa lutte contre les paradis fiscaux et a pour objet principal de mettre fin au secret bancaire en Suisse, à Singapour, à Hong Kong, au Luxembourg, en Autriche, en Belgique, à Jersey. Je pourrais énumérer ainsi une cinquantaine d'autres pays !

Tous ces pays ont pris l'engagement de mettre fin au secret bancaire. Le Forum mondial étant là non pour se payer de mots, mais pour vérifier ce qui se passe en pratique. Un processus d'examen par les pairs a été mis en place pour vérifier ce qui se fait dans le cadre légal et réglementaire.

Un pays exige-t-il des trustees, c'est-à-dire des agents fiduciaires, qu'ils tiennent à jour l'information relative aux bénéficiaires des trusts ? Une société offshore a-t-elle l'obligation de tenir une comptabilité aux normes ? La réponse est oui, sinon c'est un problème pour le pays. L'administration peut-elle accéder à ces informations-là ? Enfin existe-t-il des instruments juridiques pour échanger les renseignements avec tous les partenaires susceptibles d'en faire la demande ? C'est l'évaluation de ce cadre juridique et réglementaire de la juridiction qui fait l'objet de l'examen de phase 1.

Vient ensuite l'examen de phase 2. Le Forum mondial s'apprête à en lancer massivement l'exercice à compter du second semestre 2012. Comment le pays échange-t-il en pratique les informations ? Je vais vous donner un exemple très concret qui vous intéresse au plus haut point.

En France, la ministre du budget a indiqué que la Suisse n'avait pas répondu à environ cent vingt demandes envoyées à ce pays et que le nombre de réponses obtenues était très inférieur à celui des demandes envoyées.

Une fois que l'examen de la Suisse par les pairs sera achevé, le Forum mondial cherchera qui a raison et qui a tort d'après la communauté internationale, puisque les rapports sont validés par consensus entre les cent huit pays. Le secrétariat du Forum mondial, accompagné de deux pays qui auront été chargés de l'examen de la Suisse, demandera au pays de lui fournir les requêtes reçues d'échange de renseignements, anonymisées bien sûr, puisque le secret fiscal ne permet pas d'obtenir les noms. On saura alors si les demandes répondent bien au standard minimal qui est l'échange de renseignements à la demande.

Pour conclure sur l'activité de l'OCDE, après ce premier volet relatif à la lutte contre l'absence de transparence et en faveur de l'échange de renseignements, j'en viens au second volet, qui concerne la lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale, ou la lutte contre les schémas fiscaux agressifs. C'est un domaine important. Nous disposons de plusieurs instruments.

Le premier est le Forum sur l'administration fiscale - Forum on Tax Administration ou FTA -, dont nous assurons le secrétariat. Il regroupe plus d'une quarantaine de pays, maintenant que de nouveaux pays nous ont récemment rejoints, et est composé de directeurs généraux des impôts. Pour la France, il s'agit du directeur adjoint chargé de la fiscalité à la direction générale des finances publiques, M. Jean-Marc Fenet. La présidence est assurée par le Commissioner of Internal Revenue, Douglas H. Shulman, commissaire de l'IRS, c'est-à-dire le directeur général des impôts pour les États-Unis.

Ce groupe, qui a un niveau de représentation élevé, échange les meilleures pratiques et va même parfois un peu plus loin sur la façon de mettre en place un réseau destiné à mieux lutter contre la fraude offshore. Ce premier instrument est important et crée une vraie dynamique du fait du niveau de représentation de ses membres.

Le second instrument est le Comité des affaires fiscales de l'OCDE, chargé, comme son nom l'indique, des affaires fiscales. L'un des groupes de travail est chargé de la planification fiscale agressive : Aggressive Tax Planning, c'est-à-dire des schémas fiscaux agressifs.

Participent à ce groupe, non pas tous les pays de l'OCDE, mais une vingtaine de pays sur une base volontaire qui envoient des inspecteurs des impôts. Ils tiennent deux réunions par an et échangent des informations sur les schémas fiscaux agressifs qu'ils trouvent. Certains de ces schémas sont légaux, d'autres sont illégaux, mais tous s'inscrivent dans la zone grise et sont un peu agressifs, c'est-à-dire qu'ils testent le droit. Parfois, ça passe, parfois ça ne passe pas !

Le recensement de ces schémas fiscaux est anonymisé car, là encore, le nom des sociétés est protégé par le secret fiscal. Il existe aujourd'hui environ trois cent cinquante schémas ainsi répertoriés sur un site sécurisé, lequel n'est évidemment pas en libre accès pour la profession des avocats fiscalistes ; cela pourrait en effet poser un problème !

Nous analysons les schémas anonymisés qui nous sont envoyés par ces inspecteurs des impôts. Par exemple, en effectuant un contrôle dans une société similaire, dans tel domaine d'activité, un collègue espagnol découvre un prêt ayant telles caractéristiques et se traduisant par un avantage fiscal qui est dû ou indu, mais qui, en tout cas, pose un problème en termes budgétaires. Allons-nous retrouver ce schéma-là aux États-Unis ou dans d'autres pays ?

Grâce à ce répertoire très intéressant et aux rapports transversaux qui sont établis sur cette base, il est possible de produire des analyses, elles-mêmes transversales, sur des typologies de fraude.

Par exemple, comment s'organisent les High Net Worth Individuals ? Il s'agit d'une expression anglo-saxonne très contournée pour qualifier les personnes à haute valeur nette, en un mot les riches, comme on le dit de façon plus brutale, c'est-à-dire ceux qui possèdent un haut patrimoine ou des hauts revenus. Quel schéma utilisent-ils ?

Des analyses portent également sur la façon dont les banques utilisent les pertes, notamment après 2008, pour les optimiser, essayer de les passer à des entreprises qui paient de l'impôt sur les sociétés, puisqu'une perte a une valeur potentielle élevée ?

La semaine dernière a été publié un nouveau rapport sur les dispositifs hybrides, ces instruments financiers dont la qualification diffère d'un pays à l'autre. Au début de mon propos, j'ai pris l'exemple de l'obligation considérée dans un autre pays comme une action. Les produits sont conçus en fonction des législations qui sont différentes.

Il existe aussi des entités hybrides, c'est-à-dire des sociétés qui ont une double qualification, qui permettent de ramasser des avantages fiscaux, dont certains sont dus et parfaitement légaux, mais dont d'autres ne le sont pas ou s'inscrivent dans une zone grise, ce qui nécessite un débat avec l'administration fiscale pour, parfois, que le juge tranche.

Ce rôle actif est unique, car aucune organisation internationale autre que l'OCDE ne promeut la lutte contre les schémas fiscaux agressifs.

Enfin, à la fin des années quatre-vingt-dix, nous avons, à la demande du G7, lancé des travaux sur les pratiques fiscales dommageables. Je parle au passé, car les travaux se sont un peu effilochés au fil du temps, mais ils ont aussi atteint leur objectif et le comportement des États a changé de nature.

En 1996, au Sommet du G7 à Lyon, avec le soutien des pays européens, le président des États Unis de l'époque, Bill Clinton, a demandé à l'OCDE un rapport sur les pratiques fiscales dommageables. Il jugeait l'évasion fiscale trop importante et donc la collecte d'impôts insuffisante. Il voulait financer une réforme de la protection sociale aux États-Unis pour instaurer une couverture sociale, projet que reprendra le président Obama par la suite.

Le rapport de l'OCDE identifiait quatre critères : les régimes cantonnés, les régimes avec avantage fiscal, les régimes peu transparents et les régimes sans échanges de renseignements.

Sur la base de ces critères, l'OCDE a conduit un travail d'identification et de démantèlement des régimes fiscaux considérés comme dérogatoires, car faits pour attirer les investissements internationaux sans pénaliser les recettes fiscales du pays.

Ainsi, les docks de Dublin en Irlande, les centres de coordination en Belgique ou encore les brevets en France visés par l'article 39 terdecies du code général des impôts, étaient soumis à des régimes identifiés par ce groupe comme étant dérogatoires, régimes que les États ont démantelés.

Face à l'obligation de mettre fin au cantonnement, les Irlandais ont réagi en fixant un taux global d'impôt sur les sociétés à 12,5 %. Ainsi, il n'y avait plus de problème vis-à-vis de la communauté internationale, où le consensus est la règle. Tous les pays doivent être d'accord sur ce qui doit ou non se faire.

Le groupe existe encore. Un certain nombre de régimes sont actuellement revus. Mais le temps a passé et le plus important maintenant est de s'interroger sur la nature du problème : le prix de transfert ? L'existence de régimes à faible fiscalité pratiqués dans certains pays ?

J'ai l'impression qu'il y a une plus grande faculté d'acceptation de la part de la communauté internationale - et je ne parle pas en tant que Français ni dans une perspective française -, et le fait pour un pays de choisir sa fiscalité devient presque consensuel.

Mais quelles sont les conséquences sur les autres pays et comment limiter l'évasion fiscale et éviter que ne partent dans une juridiction à faible fiscalité des profits qui devraient être taxés dans l'État où ils sont générés ? Toute la question est de savoir quelle règle fiscale appliquer pour déterminer le montant des profits dans un État.

Tel est le périmètre d'action de l'OCDE dans ces domaines-là. Je la résumerai en deux volets.

Le premier consiste à assurer la plus grande transparence possible. Sur ce point, nous avons un fort soutien du G20, qui a d'ores et déjà annoncé qu'il voulait passer à l'étape supérieure, à savoir l'échange automatique de renseignements. Je vous renvoie au communiqué publié à la suite de la réunion des ministres des finances du G20 de février dernier.

Le second volet consiste à combattre la planification fiscale agressive, donc tous les régimes fiscaux agressifs, pour permettre aux administrations fiscales, en des temps budgétaires que vous savez bien difficiles, de collecter l'impôt, tout l'impôt qui est dû !

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