Intervention de Pascal Saint-Amans

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 13 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Pascal Saint-amans directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'organisation de coopération et de développement économique ocde

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE :

Concernant les « pratiques fiscales dommageables », traduction française de Harmful Tax Practices, les critères permettant de déterminer si les pratiques des pays sont dommageables ont été établis par l'OCDE en 1998 ; ils datent donc d'une quinzaine d'années.

L'Union européenne a également travaillé sur cette question en 1997, avec le groupe Monti, du nom du commissaire de l'époque.

À l'époque, je commençais ma carrière à la direction de la législation fiscale. C'est le G7 qui a demandé à l'OCDE de travailler sur cette question, l'Union européenne se joignant rapidement à ses travaux.

L'OCDE a déterminé quatre critères.

Le premier est une très faible taxation : pas d'imposition ou une imposition nominale.

Le deuxième critère est le cantonnement d'un régime, Ring Fencing en anglais, c'est-à-dire l'image de la clôture qui encercle pour protéger. En d'autres termes, un pays qui veut attirer des capitaux mobiles internationalement baisse sa fiscalité, non pour ses propres entreprises, mais seulement pour les entreprises étrangères dans un périmètre limité. Le cantonnement est jugé nocif.

Le troisième critère est le manque de transparence. Je citerai comme exemple de l'époque les rulings, c'est-à-dire les rescrits accordés dans le secret du cabinet du directeur général des impôts local à une société et non sur la place publique et sans critères publics. L'objectif était de réduire l'assiette taxable en assurant que le bénéfice réalisé par le centre de coordination ou le quartier général d'un groupe dans un pays ne s'élèverait qu'à 1 % du volume total d'activité.

Enfin, le quatrième critère, lié au précédent, est l'absence d'échange effectif de renseignements. Autrement dit, en faisant mes petites affaires en secret dans mon coin sans informer personne, je vide l'assiette taxable de mes partenaires. Comme je me garde bien de le leur dire, leurs apparences comptables ne correspondent pas à la réalité et ils ne peuvent pas redresser la situation.

L'Union européenne a élaboré une page entière de critères très semblables, car ce sont à peu près les mêmes personnes qui y ont travaillé dans les administrations et qui les ont validés. Elle avait toutefois une approche un peu plus large. En effet, elle incluait toutes les activités, mis à part les personnes physiques, avec un accent sur les activités mobiles internationales, alors que l'OCDE se limitait au secteur financier et à quelques autres secteurs.

Ce qui est intéressant, c'est que ces mécanismes ont produit leurs effets au début des années deux mille, et je constate aujourd'hui qu'un débat est ouvert au sein de l'Union européenne. J'aurais du mal à vous dire ce qui se passe dans les groupes de travail, car, n'y étant pas associés, nous n'avons pas l'information. Ce sera à vous de trouver.

Ce que j'en retiens, c'est qu'aucun progrès majeur n'a été fait et c'est un peu la même chose à l'OCDE. La pratique des États ayant été de ne pas cantonner, on a baissé la fiscalité de façon globale. Au niveau international, j'ai une fois de plus l'impression que le fait d'avoir une fiscalité faible est le choix d'un État.

Décider de se financer par fiscalité indirecte plutôt que par fiscalité directe est le choix souverain des Irlandais. Vous avez noté à quel point ils étaient sensibles à cette question au moment du débat sur le financement par le Fonds monétaire international.

Les sensibilités liées à la souveraineté des États sont très fortes - c'est un état de fait que je décris et non un jugement politique que je porte - et je constate qu'au niveau de l'OCDE il n'y a aucun consensus - loin s'en faut ! - sur l'obligation d'avoir un minimum d'imposition ; je ne parle pas de l'Union européenne.

Sur le volet des régimes fiscaux dommageables, j'ai évoqué les critères anciens, les travaux qui ont produit leurs effets. Il faut aussi mentionner les frustrations qu'éprouvent de très nombreux gouvernements de pays développés et de pays en voie de développement, en raison du nombre de plus en plus grand de profits qui partent dans des juridictions à faible fiscalité.

En tant que nouveau directeur du Centre de politique et d'administration fiscales, l'un de mes défis est d'analyser la situation juridiquement, économiquement, et d'apporter une réponse à ces frustrations-là. Le problème n'est pas simple, sinon nous l'aurions déjà traité ! Il l'est d'autant moins qu'il est le résultat d'un cumul d'éléments.

Il existe des régimes fiscaux très favorables pour certains types d'activités. Je pense aux incorporels, c'est-à-dire les marques, les brevets, qui sont aujourd'hui assez massivement localisés - je n'ai pas les chiffres, pardonnez-moi, mais vous pourrez les trouver assez facilement - en Suisse, à Singapour, où l'on taxe très peu ce type d'actifs.

Souvenez-vous - c'était dans la presse - de l'affaire Colgate-Palmolive et du départ de la Recherche et Développement pour Genève. La richesse est désormais créée là-bas, ce qui engendre une frustration.

Comme je vous l'ai indiqué, le phénomène dépasse largement le cadre de la France. Alors quelles sont les bonnes règles à appliquer ? Quelle est la bonne analyse de la situation ? Il existe un ensemble de facteurs.

En matière de prix de transfert, quelles sont les bonnes règles ? Comment attribuer, partager les profits des groupes multinationaux qui, par définition, sont internationaux et donc actifs dans de nombreux territoires en même temps ?

Il faut se garder des réponses hâtives ou simplistes. Ainsi pourrait-on être tenté d'appliquer une méthode proportionnelle. Certes, il faudrait une clé de répartition, mais on pourrait dire : avec x % de chiffre d'affaires réalisé en ventes dans tel pays, on répartira les profits à l'échelon du groupe dans les différents pays.

Ce n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît, car cela pénaliserait les plus petits pays, notamment les pays en voie de développement. Ces derniers sont très tentés par cette solution toute simple, très souvent reprise par les ONG. En réalité, c'est une fausse bonne solution et même une mauvaise solution.

Les règles qui régissent actuellement les prix de transfert sont très compliquées. Alors pourquoi ne pas agir comme pour des transactions avec un tiers indépendant, avec qui je négocierais un prix de marché ? J'attribue des prix à mes transactions et chaque pays taxe ce qui lui revient. C'est oublier que, dans la plupart des groupes maintenant, il n'y a plus rien de comparables avec ce que serait un prix de marché.

Alors quelles sont les bonnes méthodes pour y parvenir ? L'un de mes chantiers prioritaires en tant que nouveau directeur est d'avancer très vite sur ce point, par consensus puisque c'est ainsi que travaille l'OCDE.

Mais, au-delà de l'OCDE, qu'en pensent l'Inde, le Brésil, la Chine, l'Indonésie et les grandes économies, ainsi que les pays en voie de développement dont il faut aussi préserver les intérêts ?

Après les prix de transfert, il y a la coopération. Dans ce domaine, des progrès énormes ont été accomplis.

J'en arrive aux schémas fiscaux agressifs. Qu'est-ce qui est accepté ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Comment assurer une meilleure « conformité » ? Le terme français est moins bon que le terme anglais de compliance. Comment s'assurer que les entreprises déclarent correctement ce qu'elles doivent et là où il faut qu'elles le fassent ?

Tous ces facteurs sont complexes et doivent être traités de façon urgente. Faute d'y parvenir d'une façon multilatérale coordonnée, les États réagiront de façon unilatérale et prévoiront des régimes anti-abus ou de type article 209 B du code général des impôts français ! Si ces régimes sont mal coordonnés, on aboutira à un système qui, du point de vue économique, ne sera pas optimal. On aura un recul d'investissements qui auraient pu se faire sans aubaine fiscale. Par conséquent, il faut vraiment agir de façon multilatérale, et tel est le travail de l'OCDE.

S'agissant de la transparence pays par pays, il est important que le groupe de travail associe des personnes en charge du développement et des fiscalistes de pays en voie de développement et de pays développés.

Comment améliorer la transparence des entreprises multinationales ? Là encore, la tentation est grande - c'est d'ailleurs une proposition qui est faite - de tenir des comptes pays par pays, afin de voir ce que paient les entreprises dans chacun d'eux. Voilà deux ou trois ans, lors d'un colloque avec M. Lebègue, j'ai même déclaré publiquement que j'étais plutôt favorable à cette approche.

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