Intervention de Pascal Saint-Amans

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 13 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Pascal Saint-amans directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'organisation de coopération et de développement économique ocde

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE :

Je suis devenu plus sceptique après avoir regardé les choses dans le détail.

À mon avis, quand on a une approche du problème par le développement et si l'on prend en compte l'intérêt des pays en voie de développement, on se rend compte que les impôts collectés doivent rester sur le territoire de chacun d'eux et ne pas partir dans des paradis fiscaux.

La solution du country-by-country reporting, c'est-à-dire la déclaration pays par pays, est-elle la bonne ? Je ne le crois pas, car elle est très difficile à mettre en oeuvre. Et, même si on le faisait, elle n'apporterait pas grand-chose d'intéressant.

En effet, la plupart du temps, l'évasion fiscale, les économies d'impôt se négocient, par exemple, par le groupe avec la direction du Trésor dans le meilleur des cas ; je ne parle pas des cas de corruption. Parfois, au niveau de la direction du Trésor, l'incitation fiscale peut même avoir été recommandée par des organisations internationales. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Par conséquent, cette solution n'apporterait rien pour le régime fiscal de l'entreprise.

Prenons le cas quelque peu caricatural, car je ne suis pas sûr qu'il soit si fréquent que cela, des industries extractives qui localisent tous leurs profits dans des paradis fiscaux. Là encore, la solution du country-by-country reporting, la déclaration pays par pays, n'apportera rien.

Mieux vaut développer les capacités des pays en voie de développement. Sur ce point, nous sommes très actifs et un groupe de travail réfléchit à des solutions. Je n'en ai pas fait mention, car vous étiez plutôt axés sur la transparence.

J'ai participé au Conseil du Forum sur l'administration fiscale africaine, ATAF, qui s'est tenu à Cape Town, en Afrique du Sud, du 4 au 6 mars. Ce Conseil est très sceptique sur la solution du country-by-country reporting. Il veut plutôt une aide pour concrètement asseoir les impôts et mettre fin à toutes les incitations fiscales qui vident complètement les bases taxables de ces pays.

Le directeur général des impôts sénégalais, venu à l'OCDE voilà quelques semaines, parlait de cinq points du PIB sénégalais partis en incitations fiscales à l'investissement, ce qui représente des milliards d'euros.

En effet, ces incitations se sont traduites, pour les groupes, par des taux effectifs d'imposition plus bas qui, certes, n'avaient rien d'illégal, mais les investissements n'ont pas été plus importants pour autant. En revanche, le pays a massivement perdu de l'argent dans un environnement opaque, où l'on ne sait plus qui bénéficie de quoi !

Voilà trois semaines, j'ai rencontré en Tunisie cinq ministres du Gouvernement qui préparent la Constitution. Par pitié, nous ont-ils dit, faites-nous un rapport sur les incitations fiscales à l'investissement ! Il y en a partout et on ne collecte plus d'impôt sur les sociétés.

Voilà pourquoi l'OCDE recommande aujourd'hui de mettre fin au système d'incitation fiscale à l'investissement et - cela ne vous étonnera pas de la part des fiscalistes bornés que nous sommes ! - d'avoir une base large et des taux faibles. Telle est l'approche brutale des fiscalistes.

Nous l'avons dit aux Tunisiens : mieux vaut mettre fin à toutes les niches fiscales existantes. Si vous voulez avoir une meilleure incitation, baissez un peu votre taux d'impôt sur les sociétés pour le ramener de 30 % à 25 %.

Pour résoudre les problèmes qui se posent, il existe donc des réponses très concrètes et moins théoriques que la solution du country-by-country reporting, très séduisante en termes d'affichage. Mais, lorsque vous entrez dans le détail - le type de comptabilité, consolidée ou non, la constitution de fictions, car c'est bien de cela qu'il s'agit -, je ne suis pas sûr qu'elle permette d'identifier la racine du mal.

Comme nous avons peu de temps, nous devons agir vite. L'important est donc de traiter la racine du mal : les problèmes de capacité des administrations fiscales, les problèmes de transparence des systèmes fiscaux, qui sont liés aux incitations fiscales à l'investissement, et les problèmes d'applicabilité des prix de transfert. Il faut aussi simplifier les règles ; c'est un gros chantier.

La semaine prochaine se tiendra un Forum mondial sur les prix de transferts. Les pays en voie de développement sont invités à venir nous exposer les problèmes qu'ils rencontrent dans l'application de principes qui sont parfois trop compliqués pour les pays développés eux-mêmes ! Comment simplifier pour sortir des obligations comptables trop lourdes pour les transactions fiscales sans risque et mettre tout l'accent sur les transactions fiscales à risque ?

Enfin, nous avons un certain nombre de projets d'assistance technique dont je ne peux pas encore vous parler car ils ne sont pas validés. Mais il s'agirait de soutenir les administrations fiscales de ces pays, lorsqu'elles effectuent des contrôles d'entreprises multinationales, par l'envoi de personnes qu'on leur enverrait et qui seraient rémunérées pour ces petites missions. C'est plus dans cette direction-là qu'il faut aller.

À l'OCDE, nous avons, comme tout le monde, des ressources limitées et nous sommes très soucieux de dépenser l'argent du contribuable de la façon la plus efficace possible et non en multipliant les initiatives. Aussi, plutôt que d'ouvrir un nouveau chantier dont je ne suis pas sûr qu'il aboutira à une solution efficace - c'est pourquoi j'ai un peu changé d'avis, madame Bricq ! -, l'accent doit être mis sur les prix de transfert et leur simplification, le durcissement de certains de leurs aspects et la prise en compte des besoins des pays en voie de développement. Voilà mon point de vue personnel à ce stade.

Oui, monsieur le rapporteur, nous travaillons sur les trusts, qui sont totalement couverts par le standard d'échange de renseignements. On dit souvent que c'est la fin du secret bancaire, mais c'est aussi la fin du secret fiduciaire.

Un trustee, un gestionnaire de trusts, doit avoir l'information disponible et pouvoir la communiquer à l'administration fiscale du pays qui en fait la demande, lequel doit la communiquer à ses partenaires. Nous y travaillons.

Nous constatons sans surprise que le domaine des trusts est compliqué. En tant que « civilistes », c'est-à-dire provenant d'un pays de droit civil et non de common law, nous avons toujours - je parle en mon nom - des difficultés à comprendre les trusts. En revanche, un farouche partisan de la lutte contre les paradis fiscaux, s'il est britannique ou s'il vient d'un autre pays de common law, vous répondra que le trust n'est pas un problème. C'est aussi normal pour lui que l'usufruit pour nous. En effet, il ne nous viendrait pas à l'idée de dire que les usufruits sont contraires à la transparence fiscale, alors que, pour le Britannique, l'usufruit n'est pas bien !

Néanmoins, je dois le reconnaître, de vraies questions se posent au regard des trusts, car ils sont régis seulement par la common law ; c'est la façon dont le droit est établi. Nous avons de vraies difficultés à identifier certains bénéficiaires, parce qu'ils peuvent être des personnes à naître ou des catégories de personnes n'existant pas encore. Il s'agit donc d'un domaine spécifique.

C'est la raison pour laquelle nous avons, dans le cadre du Forum mondial, lancé une étude supplémentaire sur le niveau des trusts, afin d'augmenter un peu l'exigence en termes de transparence, au moins faire en sorte que les trusts n'échappent pas à la revue détaillée qui est en cours.

Pour certains pays, il était parfois un peu facile de s'abriter derrière la common law ! Mais, dans un pays qui n'est pas régi par la common law, on a du mal à suivre ! Par conséquent, il convient d'être un peu plus précis maintenant et nous voulons des cas concrets. Dans le cadre de la phase 2 du Forum, il sera très important de vérifier si des informations demandées sur des trusts ont pu être communiquées ou non.

Si d'aucuns avaient en tête l'idée d'un registre des trusts - idée assez souvent partagée, mais pas par tout le monde ; il y a donc un problème de consensus sur ce point -, il faut qu'ils sachent que les pays de common law, où sont les trusts, n'y sont absolument pas favorables, et il ne s'agit pas seulement de ceux qui ont eu un business de place offshore comme les États-Unis ou le Royaume-Uni.

Parmi les millions de trusts qui existent au Royaume-Uni, beaucoup servent à la transmission des fortunes entre parents et enfants, et à payer les impôts sur la succession, ainsi qu'à la gestion patrimoniale, hors toute considération de fraude.

Un registre des trusts aurait des coûts considérés comme intolérables. Mais, une fois de plus, je ne porte aucun jugement politique sur ce point ; il s'agit d'un simple constat.

Vous m'avez demandé si la liste française était compatible avec les travaux du Forum ; la réponse est oui. Cette liste se cale sur les travaux du Forum mondial, avec toutefois un petit temps de retard, car des décrets doivent sortir pour prendre en compte le fait que des juridictions passent d'une catégorie à une autre.

La liste française n'est pas isolée. En tant que Gouvernement, peut-être l'est-elle, mais, en tant que politique, vous retrouvez la même chose à la Banque mondiale. Sa politique intéressante, à laquelle nous avons contribué, consiste à cesser d'investir dans un pays si celui-ci n'est pas correct au regard du Forum mondial, c'est-à-dire s'il ne passe pas en phase 2. Le système a été conçu pour répondre aux faiblesses de la liste du 2 avril 2009. Sa force a été de faire craquer la Suisse !

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