Intervention de Jérôme Fournel

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 13 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jérôme Fournel directeur général des douanes et droits indirects et jean-paul balzamo sous-directeur des affaires juridiques du contentieux des contrôles et de la lutte contre la fraude à la direction générale des douanes et droits indirects

Jérôme Fournel, directeur général des douanes et droits indirects :

Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vais essayer de brosser un bref tableau du sujet qui, à vrai dire, est multiple et peut être abordé sous différents angles. Mon propos recoupera sans doute un certain nombre de questions qui ont été posées, mais mon objectif, dans un premier temps, est une première présentation de la situation. Nous répondrons ensuite aux interrogations des membres de la commission d'enquête.

Si je veux présenter le plus simplement possible la façon dont la douane travaille sur ces questions, je dirai que trois angles d'entrée peuvent l'illustrer.

Le premier de ces angles, la liste n'est pas exhaustive, est l'évasion des capitaux. Il est appréhendé au regard de ce que l'on appelle les obligations déclaratives quant au transfert de sommes et valeurs liquides, qui répondent à deux réglementations, l'une communautaire et l'autre nationale, et imposent, lorsqu'on franchit une frontière avec plus de 10 000 euros en liquide - cette somme était de 7 500 euros auparavant -, de faire une déclaration préliminaire à la douane.

Aujourd'hui, pour vous donner un ordre de grandeur en termes de déclarations de capitaux sortants, sur près de 2 milliards d'euros, si je prends les trois dernières années - ce chiffre varie de 1,8 milliard à 2,7 milliards d'euros suivant les années -, environ 25 000 déclarations de capitaux sont faites à la douane.

On déplore évidemment des manquements à l'obligation déclarative, lorsque cette formalité n'est pas remplie et que la douane découvre un individu en possession de sommes ou valeurs supérieures à 10 000 euros. Aujourd'hui, entre 1 300 et 1 400 manquements à l'obligation déclarative font l'objet d'une constatation annuellement, pour une centaine de millions d'euros environ. En réalité, ce résultat est variable d'une année à l'autre : il était plutôt de 80 millions d'euros en 2011 alors qu'il atteignait presque 190 millions d'euros en 2009. Voilà les ordres de grandeur.

Il faut bien être conscient que cette notion de manquement à une obligation déclarative est différente de celle de blanchiment. Il peut s'agir d'un manquement sous-jacent à un blanchiment, qu'il s'agisse de fraude fiscale, de fraude douanière, de trafic illicite ou autres, comme le trafic de stupéfiants, mais c'est une notion qui est différente. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Historiquement, ce dispositif résulte, notamment en France, de ce qui reste, après transformation, du contrôle des changes à l'époque à laquelle la douane en était chargée. Le contrôle des changes a été démantelé, mais il est resté une obligation déclarative qui s'est transformée, dans une logique qui s'apparente à de l'anti-blanchiment, même si la notion est légèrement différente, plutôt qu'au contrôle des changes.

Le deuxième type d'actions que nous menons a trait aux transactions économiques et aux enjeux fiscaux qui y sont liés.

Sont visées les questions de valorisation en douane des importations et des exportations, avec la problématique liée à la façon dont on est capable d'apprécier la valeur en douane, notamment la relation entre la valeur en douane et le prix de transfert au sein des groupes.

Sont également visés tous les cas de fraude à la TVA et les régimes particuliers qui ont été mis en place pour aider les entreprises à limiter le coût de portage de trésorerie en matière de TVA - je pense notamment au régime 42 (régime qui permet à l'importateur d'obtenir l'exonération à la TVA lorsque les marchandises importées sont destinées à être transportées dans un autre Etat membre. La TVA est acquittée dans l'Etat de destination, de mise à la consommation), ainsi que des fraudes douanières diverses : c'est le deuxième angle d'attaque.

Le troisième angle d'entrée sur l'évasion de capitaux et ce type de fraudes est celui des enquêtes. Nous avons principalement deux services spécialisés en douanes qui font ce type d'enquêtes.

En premier lieu, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, à travers une division d'enquête, la quatrième division, située au sein de la direction des enquêtes douanières, est chargée de tout ce qui concerne les fraudes financières, notamment le blanchiment. Cette division d'enquêteurs spécialisés traite environ 100 à 200 enquêtes par an.

En second lieu, la douane judiciaire intervient, quant à elle, dans le cadre d'enquêtes judiciaires sous le contrôle du parquet. À peu près 80 enquêtes ont un rapport avec du blanchiment de droit commun, des infractions qui peuvent être liées ou non aux stupéfiants, et environ 70 enquêtes, soit un nombre assez proche, portent principalement sur des escroqueries à la TVA.

Le service national de douane judiciaire, le SNDJ, est intervenu sur plusieurs affaires fortement médiatisées au cours des dernières années.

Il est intervenu comme service judiciaire, parfois en co-saisine avec d'autres services. Je citerai les affaires HSBC, du Liechtenstein ou UBS : la douane judiciaire était le service judiciaire qui traitait, sous le contrôle des parquets, ce type d'affaires au sein de l'État.

Son action a en outre porté sur nombre d'affaires sur lesquelles il intervient toujours aujourd'hui : ce sont les affaires dites d'escroquerie à la TVA sur le marché des droits carbone, le marché CO2 : plus de 24 affaires judiciaires sont aujourd'hui sous enquête par le SNDJ sur ce champ. Ce rôle est donc très important, puisque à la fois sur le marché CO2 et sur d'autres marchés, de l'électricité et autres, des enquêtes sont en cours.

Tels sont, grosso modo, les trois grands champs d'intervention. Quand on essaie d'entrer dans ces champs, on voit, d'une part, que notre action est multiple, mais, d'autre part, que l'efficacité de celle-ci sur ces différents champs se heurte à un certain nombre de limites qu'il faut reconnaître.

Je citerai le manquement à l'obligation déclarative de capitaux, qui recouvre un certain nombre de choses. Cette notion répond parfois à une logique de blanchiment, parfois à une logique de transfert de fonds à des fins d'évasion fiscale, parfois à une logique de rapatriement de fonds au sein d'une communauté étrangère : nous avons travaillé, par exemple, sur un certain nombre d'affaires mettant en cause les communautés asiatiques ou africaines et dans lesquelles avaient lieu des rapatriements de fonds, parfois dans des logiques dites de « tontine », c'est-à-dire qu'un projet est financé par un ensemble de personnes provenant de la même communauté, parfois dans des logiques de rapatriement des sommes d'argent dans le pays d'origine, la famille y étant restée, à la suite d'affaires réalisées en France.

J'évoquerai maintenant les difficultés rencontrées sur ce champ.

La première difficulté liée aujourd'hui aux manquements à l'obligation déclarative tient à ce que l'évolution de la retenue et de la garde à vue a modifié la qualification juridique qui avait cours.

Traditionnellement, lors d'un manquement à l'obligation déclarative, on pouvait très rapidement se retrouver sur du délit de blanchiment douanier et, par conséquent, sur une infraction douanière - c'est l'article 415 -, ce qui permettait de placer les personnes en retenue.

En réalité, dans le nouveau régime de la garde à vue et de la retenue tel qu'il est issu de la récente réforme, il faut encourir une peine de prison suffisante, c'est-à-dire d'au moins un an, et sur ce type d'infractions, ce n'est plus le cas. Par conséquent, il faut être capable de faire le lien immédiatement avec un délit de blanchiment pour placer la personne en retenue.

Par conséquent, sur ces sujets, nous nous heurtons à une limite assez significative.

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