Intervention de Jérôme Fournel

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 13 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jérôme Fournel directeur général des douanes et droits indirects et jean-paul balzamo sous-directeur des affaires juridiques du contentieux des contrôles et de la lutte contre la fraude à la direction générale des douanes et droits indirects

Jérôme Fournel, directeur général des douanes et droits indirects :

qui peut être un service de l'État, afin d'essayer d'arriver à démontrer que cet argent provient effectivement d'une opération de blanchiment et d'une infraction sous-jacente. Mais ce n'est pas si simple que cela ! Nous pourrons revenir sur cette question, qui concerne d'autres sujets.

Aujourd'hui, un certain nombre de valeurs sont en dehors du champ de la réglementation, ce qui soulève des problèmes.

La réglementation communautaire tend à privilégier le premier point touché de l'Union européenne sur l'ensemble du trajet. Les parcours peuvent être fractionnés, notamment en avion : la personne entre sur le territoire communautaire, par exemple à Madrid, puis effectue un saut de puce en avion pour aller jusqu'au bout de son trajet. En réalité, la réglementation communautaire, en imposant le premier point touché, complique les choses. Nous avons d'ailleurs eu une discussion à cet égard avec l'Union européenne.

Le deuxième point porte sur les sujets de fiscalité, les prix de transfert et la fraude liée au fonctionnement économique des échanges de marchandises, et de la fiscalité sous-jacente.

Très clairement - cela fait partie des questions que vous vous posez après avoir auditionné M. Babusiaux -, quid de la fraude à la TVA, et comment limiter cette fraude ?

Pour notre part, nous faisons un double constat : la fraude intracommunautaire, aujourd'hui, est une fraude extrêmement lourde et importante en termes de coût pour les finances publiques ; toutes les enquêtes le démontrent, même s'il est difficile d'arriver à des chiffres très précis.

En revanche, sur l'extracommunautaire, la fraude est relativement limitée, même si l'on en trouve. Pourquoi est-elle limitée ? Parce que, en réalité, nous constatons une réconciliation systématique d'un mouvement de TVA avec un flux physique à travers la déclaration de douane et le contrôle de la marchandise.

Par conséquent, il faut savoir ce que l'on veut : si c'est accroître la fraude en matière de TVA, transférons, découpons le processus entre l'assiette et le recouvrement et attribuons-le à deux administrations différentes, ce qui irait à l'encontre de ce qui s'est fait partout ailleurs au cours des dernières années en matière de réconciliation de l'assiette et du recouvrement, y compris au sein de la direction générale des finances publiques.

Ensuite, une fois que ce découpage aura eu lieu, il faudra investir pour créer des systèmes qui réconcilient les informations, ce qui entraînera mécaniquement une perte de capacité de contrôle sur les flux des sociétés fictives qui se créeront et qui chercheront à échapper à la TVA ou à obtenir une déduction de TVA à laquelle ils n'ont pas droit.

Sur un tel sujet, il faut faire extrêmement attention, et indépendamment d'autres aspects sur lesquels nous pourrons aussi revenir, de nature plus économique et qui ne me paraissent pas justifier un transfert, il ne me semble pas raisonnable, objectivement, d'envisager un tel transfert, sauf à prendre des risques extrêmement importants en termes de recouvrement de la TVA extracommunautaire.

Or, quand on voit la difficulté que nous avons, sur de l'intracommunautaire, à assurer le lien entre les systèmes d'information, à obtenir l'enregistrement des acteurs économiques sur un marché comme le CO2, imaginez ce que cela pourrait donner si jamais le dispositif comportait des faiblesses, avec des sociétés hors de l'Union européenne et des capacités de contrôle d'enregistrement beaucoup plus faibles. Je crois que nous ne serions pas du tout gagnants.

Nous pourrons revenir ultérieurement sur le sujet des prix de transfert, mais je ne veux pas monopoliser la parole par mon introduction, et je conclurai en évoquant les évolutions qui nous sembleraient pertinentes.

Au fond, on peut imaginer trois types d'évolutions sur ces sujets afin d'améliorer le dispositif.

Le premier concerne aujourd'hui la lutte contre le blanchiment, car notre dispositif est extrêmement éclaté à l'échelle de l'État. En réalité, nous avons une multiplicité d'acteurs : TRACFIN - traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins - traite les déclarations de soupçon ; la direction générale des douanes et droits indirects fait un certain nombre d'enquêtes, soit judiciaires soit administratives, en sus du traitement des manquements à l'obligation déclarative et des déclarations de capitaux ; des entités comme l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière, ou OCRGDF, procède aussi à de l'enquête à travers un office central ; la direction générale du Trésor traite les sujets diplomatiques autour du groupe d'action financière, le GAFI, et de la relation au système bancaire ; je citerai enfin la direction générale des finances publiques, etc.

Ce n'est pas un problème si chaque acteur a un métier clair et identifié, ce qui est en partie vrai : TRACFIN fait de la déclaration de soupçon, et il est tout à fait pertinent en la matière ; la direction générale du Trésor s'occupe de la relation aux banques et de l'aspect diplomatique.

Il manque, en revanche, de mon point de vue, un étage dans le système, un étage que ne joue pas le conseil, trop divers, trop éclaté, des acteurs publics et privés et dont la mise en place est en cours. Cet étage, qui ne serait pas un outil de réflexion permanente et ne serait pas immense, puisqu'il comprendrait une vingtaine ou une trentaine de personnes, aurait pour mission, non pas de faire les enquêtes lui-même - les différents services sont là pour effectuer les déclarations de soupçon et les enquêtes -, mais de réfléchir, piloter, animer la conception des actions que l'on mène en matière de lutte contre le blanchiment et l'évasion des capitaux.

Il en est de même, d'ailleurs, pour le gel des avoirs en France, par exemple de dictateurs étrangers, pour une pratique qui n'est pas du blanchiment en tant que tel, bien qu'on puisse la considérer comme une autre forme de blanchiment.

En réalité, notre dispositif de suivi, notre conception et notre connaissance exacte des avoirs détenus, si l'on veut bien se donner la peine de regarder les choses en face, sont relativement faibles. Nous disposons de ce que les banques vont nous donner à un moment donné, mais il n'existe pas une conception et une animation globale du système ; à mon sens, c'est un manque si l'on veut être plus efficace à l'avenir.

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