Intervention de Jérôme Fournel

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 13 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Jérôme Fournel directeur général des douanes et droits indirects et jean-paul balzamo sous-directeur des affaires juridiques du contentieux des contrôles et de la lutte contre la fraude à la direction générale des douanes et droits indirects

Jérôme Fournel, directeur général des douanes et droits indirects :

et à des redressements de plusieurs dizaines de millions d'euros : 50 millions d'euros plus précisément.

Certes, il s'agissait d'une enquête judiciaire faite sous le contrôle du parquet par la douane judiciaire, mais l'intérêt du Trésor public était également très fort dans le recouvrement de ces sommes.

Cette enquête a fait appel à l'ensemble de la coopération internationale, y compris européenne, puisque Europol est monté très fortement en puissance sur cette affaire, et que des agents des douanes travaillent au sein d'Europol ; non seulement cela a eu des déclinaisons dans d'autres pays de l'Union européenne, mais parallèlement, cela nous a aidé à réaliser derrière des commissions rogatoires internationales qui se sont déroulées en Israël, au Liban, à Hong Kong, avec chaque fois de bons résultats, c'est-à-dire des retours positifs de la part des autorités de ces pays, et même des saisies d'avoirs criminels, puisque, en l'occurrence, plus de 20 millions d'euros, outre des immeubles et des voitures, ont été saisis, y compris à l'étranger et hors de l'Union européenne.

Par conséquent, sur ces sujets, nous marquons des points. Mais ce n'est qu'une partie de la fraude.

La deuxième question à laquelle je vais essayer de répondre est très difficile. Il s'agit des prix de transfert et de la valorisation en douane.

Un groupe de travail travaille actuellement sur ces sujets, comme tous ceux - ils sont nombreux - qui ont été mis en place à cet effet, qu'il s'agisse des groupes de l'OMC, de l'OMD, de l'OCDE, des groupes internes, notamment avec le MEDEF, afin d'essayer d'avancer sur une différence qui n'est pas aujourd'hui totalement réconciliable entre la valeur en douane d'un côté et les prix de transfert.

La difficulté provient du fait que deux logiques un peu différentes sur ces questions s'affrontent.

L'une des deux logiques, qui est une valorisation au titre de la valeur en douane, tend à retenir la valeur la plus complète possible, y compris en incorporant dans la valeur en douane la totalité des coûts de commission, de courtage, de transport, voire les coûts de recherche et développement qui existent - ce sont des réglementations internationales ou communautaires. Le prix de transfert, lui, est un prix de cession interne à un groupe et sur lequel il est possible de s'appuyer pour trouver la valeur en douane, puisque l'on cherche un prix de transaction et que, d'une certaine manière, il peut correspondre au prix de transfert.

On s'aperçoit, dans la réalité du fonctionnement des groupes que, en réalité, le même groupe qui vend à deux pays, à deux marchés distincts ou à deux sociétés différentes à l'intérieur de son propre groupe, pratique des prix de transfert différents. Le prix de transfert peut être calculé dans une optique de partage des coûts ou de répartition des bénéfices entre les sociétés d'un même groupe. Ce qui n'est pas la logique de la valeur en douane.

Normalement, même si l'on peut parfois avoir un doute sur l'évaluation de la valeur en douane et chercher à la cerner, ce qui n'est pas simple, il n'y a en revanche qu'une valeur en douane et pour la définir, nous demandons que le contrôle d'une maison mère ou entre les deux sociétés, l'exportatrice et l'importatrice, ne joue aucune influence sur la valorisation.

Nous souhaitons justement identifier la valeur indépendamment de toute logique de contrôle ou de groupe, et les travaux qui ont été menés sur la réconciliation possible entre valeur en douane et prix de transfert - des colloques entiers y sont consacrés, et je veux vous épargner de tels développements - ne sont jamais arrivés à converger complètement.

Le sujet n'est pas que français. Pour prendre un exemple, je crois que c'est l'Inde qui avait adopté une politique extrêmement allante en disant qu'elle voulait voir non plus deux valeurs, mais une seule. Simplement, après avoir dit cela, ce pays a en réalité retenu une logique d'évaluation extrêmement normative : c'est, grosso modo, le prix de vente en Inde, plus 10 % à 15 %, et il est impossible d'en bouger ; voilà le format selon lequel devront s'établir les déclarations.

Même en faisant cela, ils ne sont pas arrivés totalement à obtenir une réconciliation des deux logiques, parce qu'elles sont différentes et que la valeur en douane répond aujourd'hui à un certain nombre de cadres institutionnels de l'Organisation mondiale du commerce et de l'Organisation mondiale des douanes qui ne sont pas si simples à modifier. Pour cela, il faudrait obtenir l'accord d'un certain nombre d'États en parvenant à faire converger leur point de vue là-dessus.

La question de fond, d'ailleurs, est la suivante : est-il souhaitable de faire converger la valeur en douane et le prix de transfert, qui est lui-même utilisé, manipulé pour des raisons d'optimisation des entreprises ? Faut-il faire l'inverse, c'est-à-dire considérer que le prix de transfert ne peut être autre chose que la valeur en douane déclarée ? Évidemment, ce genre de paroles, lorsqu'on ose les prononcer, fait bondir du côté des entreprises.

Le sujet n'est pas simple. Ce qui est clair, c'est que, dans un certain nombre de cas, des enquêtes ont été menées à partir de la divergence que l'on peut observer - c'était le sens de la question posée, mais il fallait que je fasse le détour par le sujet plus général - entre des prix de transfert et des valeurs en douane, ou des valeurs en douane s'appuyant sur des prix de transfert déclarés par les entreprises, mais qui paraissaient anormaux.

La réalité m'oblige à le dire, il est extrêmement compliqué de remonter et d'identifier les fraudes à partir de là parce qu'il faut entrer dans la comptabilité des filiales et des entreprises. Ce que nous visualisons, nous, ce sont des phénomènes fréquents de minoration de valeurs dans la déclaration en douane, mais presque indépendamment du prix de transfert qui peut exister.

Ce phénomène de minoration de valeurs pour minimiser les droits de douane est très classique, sachant que, sur ces sujets, nous faisons parfois des recoupements avec la direction générale des finances publiques, et que l'on peut aboutir à des situations paradoxales. En effet, du point de vue douanier, ce que cherchent les entreprises, c'est la minoration de valeur, y compris à l'export, en sortie, pour l'entrée future dans un autre pays qui a éventuellement des droits de douane élevés. Du côté de la TVA, c'est le contraire : d'une certaine manière, il est intéressant d'augmenter sa valeur pour récupérer le plus de TVA.

En résumé, il existe des stratégies d'optimisation de la fraude. Nous avons travaillé avec la DGFIP sur certaines de ces pratiques, mais elles sont extrêmement difficiles à enrayer.

La troisième question porte sur les nouvelles fraudes et les fraudes sur internet.

Oui, nous avons mis en place des dispositifs de lutte contre la fraude sur internet, qui visaient, non pas seulement la fraude fiscale, mais la fraude en général, que ce soit le trafic de stupéfiants, de cigarettes et la contrefaçon.

Nous avons monté, par exemple, une cellule « cyberdouane » au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ; nous avons développé un certain nombre d'enquêtes, pour assurer la veille de centaines de sites sur ces sujets chaque année. Il s'agit d'un dispositif assez massif.

Ces questions soulèvent deux ou trois problématiques.

La première résulte des difficultés liées à la matérialisation de la fraude, d'où les droits qui nous ont été octroyés, notamment par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, tout récemment, de pratiquer des « coups d'achat », en matière de produits stupéfiants et de contrefaçons, pour pouvoir identifier le vendeur et ses pratiques, afin d'être à même, à partir de là, de matérialiser l'infraction et de la traiter, y compris judiciairement.

D'autres difficultés tiennent à l'anonymat, qui joue dans les deux sens. Cela signifie que, lorsque nous effectuons des achats, nous avons, nous aussi, besoin de nous « anonymiser » ; si c'est M. Balzamo qui achète systématiquement, il va commencer à être connu, certes comme redoutable agent des douanes, mais ce ne sera pas forcément efficace. Inversement, nous voyons de plus en plus de vendeurs entrer dans la logique de comptes bancaires « anonymisés », de cartes anonymes, qui soulèvent des questions quant à la possibilité de retirer l'information. C'est la raison pour laquelle nous développons un partenariat avec des acteurs de l'internet comme PayPal, pour aller chercher et croiser l'information, l'objectif étant d'obtenir de l'information directe, et pour remonter jusqu'aux comptes, aux adresses IP, etc. des vendeurs.

L'autre difficulté, nous le constatons notamment sur la fraude au CO2, est liée à l'utilisation des outils informatiques, qui sont aujourd'hui des démultiplicateurs des fraudes fiscales et de la capacité à optimiser et multiplier les profits tirés d'une opération, y compris de blanchiment, de recyclage ou autres. En l'occurrence, sur l'une des fraudes au CO2, à un moment donné, nous sommes tombés sur ce type d'outils. C'est d'ailleurs à partir de là que nous avons pu tirer une partie de la pelote, si vous me permettez cette expression, autrement dit faire avancer l'enquête.

Le troisième problème, qui est d'une nature un peu différente mais qu'il faut tout de même signaler, tient au fait qu'un certain nombre de réseaux qui se sont constitués sont des réseaux cryptés d'« anonymisation » totale de l'internet, notamment le réseau TOR. Derrière ces réseaux, on trouve des sites du type de celui qui porte le joli nom de « Route de la soie ». Croyez-moi, on y trouve absolument tout à acheter et à vendre ! Il s'agit, là aussi, de sujets difficiles à traiter.

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