Intervention de Ida Bost

Mission d'information Développement de l'herboristerie — Réunion du 24 mai 2018 à 11h00
Table ronde autour de mme ida bost auteure d'une thèse sur l'histoire des herboristes en france pr pierre champy professeur de pharmacognosie à l'université paris-sud mme agnès le men directrice du conservatoire national des plantes à parfum médicinales aromatiques et industrielles cnpmai

Ida Bost :

Mes travaux de recherche ont pour sujet l'herboristerie en France, qui a eu cette particularité de connaître une forme de reconnaissance étatique à travers la délivrance d'un certificat entre 1803 et 1941. Je regarde l'herboristerie d'aujourd'hui comme le fruit d'une histoire, appelée encore à évoluer.

Je vais focaliser ma présentation sur deux aspects.

D'abord, réduire la question à un jeu d'opposition entre l'herboristerie et la pharmacie serait, à mon sens, passer à côté des enjeux réels.

Certes, la multiplication des tentatives visant à supprimer le certificat d'herboriste, menée par l'Association générale des pharmaciens de France depuis la fin du 19ème siècle, a été l'occasion de développer un argumentaire en forme d'opposition entre les herboristes et les pharmaciens, sur fond de préservation du monopole pharmaceutique. Cependant, la réalité de la pratique - regardée notamment à travers les récits de vie dont nous disposons - montre des passages incessants des acteurs d'un monde à l'autre.

La pharmacie est restée longtemps un métier d'homme alors que l'herboristerie était un métier de femmes. Le certificat d'herboriste, sanctionné à l'issue d'un examen, était financièrement plus accessible que le diplôme de pharmacien.

L'herboristerie a également été un outil d'ascension sociale pour des fils de pharmaciens ou des préparateurs en pharmacie, pour qui passer le certificat permettait de passer du statut d'employé à celui de patron.

Aujourd'hui, ces passages se retrouvent encore dans les écoles d'herboristerie comme dans les formations auxquelles participent des pharmaciens. Des herboristes reconnus, par exemple Gilles Raveneau de l'herboristerie de la place de Clichy ou encore Patrice de Bonneval, sont des pharmaciens.

Le second aspect sur lequel je souhaite insister est que l'enjeu n'est pas aujourd'hui de rétablir l'ancien certificat qui ne correspond plus à la réalité de l'herboristerie.

Au temps du certificat, la législation permettait aux herboristes de vendre en boutique toutes les plantes médicinales indigènes, fraîches ou sèches, sans que la loi ne fixe de cadre précis quant à la possibilité ou non de les mélanger.

Aussi, le statut de l'herboriste n'étant pas clair, fallait-il le considérer comme un homme du soin ou comme un débitant spécialisé sur les plantes ? L'examen lui-même entretenait ce flou. Les épreuves se déroulaient dans les facultés de médecine, encadrées par des médecins et des pharmaciens, mais ne portaient que sur l'aspect botanique des plantes sans aborder leurs propriétés médicinales ou les procédés d'utilisation.

Les herboristes ont tiré parti de ce statut flou et ambigu pour bâtir une pratique qui leur correspondait.

Ainsi l'herboristerie était un métier de femmes, qui l'exerçaient souvent sur le lieu de vie, comme une pratique intermittente et non comme un métier de carrière. Rapportant peu, la vente des plantes s'ajoutait à la vente d'autres objets en tout genre. C'était un métier de soins, avec une image très ambivalente de ces personnes sans savoir académique, perçues à la fois comme un peu sorciers mais aussi guérisseurs, capables de miracles.

Aujourd'hui, à part la présence majoritaire des femmes qui représentent par exemple 84 % des étudiants à l'école des plantes de Paris, le profil socio-économique des herboristes a complètement changé et s'est diversifié.

Il n'existe non plus un mais des métiers de l'herboristerie : des producteurs, qui revendiquent le titre de paysan-herboriste, des vendeurs en boutique, des personnes assurant une transmission de savoirs (formateurs, guides...), des pharmaciens ou soignants ayant recours aux plantes comme méthode complémentaire, et enfin tout l'univers du bien-être.

Tous ont reçu une formation en herboristerie, que ce soit à titre principal ou accessoire à leur profession, comme les infirmières-herboristes ou les diététiciennes-herboristes.

Derrière cette multitude de pratiques, s'est mis en place un réseau. Ainsi, les écoles d'herboristerie sont des lieux d'interconnexion et d'échanges, de même que certaines manifestations comme le congrès des herboristes, la fête des simples, la fête à Milly-la-Forêt. Enfin, quelques personnes clés donnent une identité à la pratique.

Si l'herboristerie ne se résume plus à la vente de plantes médicinales, la plante en l'état, la tisane et plus encore le rapport à la plante restent au coeur de l'herboristerie. Celle-ci renvoie à tout un mode de vie, axé sur le respect de la nature, qui puise sa source dans le mouvement environnemental développé dans les années 1970.

L'herboristerie actuelle se revendique par ailleurs d'une forme de transmission d'un patrimoine, de connaissances, d'une génération à l'autre.

Il ne s'agit pas aujourd'hui de créer l'herboristerie. Celle-ci existe bien. Les acteurs s'installent et s'institutionnalisent. Ils demandent en revanche à être sécurisés dans leurs pratiques, qui sont à la limite de la légalité et de l'illégalité.

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