Intervention de Pierre Champy

Mission d'information Développement de l'herboristerie — Réunion du 24 mai 2018 à 11h00
Table ronde autour de mme ida bost auteure d'une thèse sur l'histoire des herboristes en france pr pierre champy professeur de pharmacognosie à l'université paris-sud mme agnès le men directrice du conservatoire national des plantes à parfum médicinales aromatiques et industrielles cnpmai

Pierre Champy :

J'enseigne la chimie végétale et la phytothérapie en faculté de pharmacie et suis co-responsable d'un diplôme interuniversitaire de phytothérapie à destination des professionnels de santé. J'effectue également des missions d'expertise pour l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation).

L'herboristerie recouvre des activités multiples de production (culture, cueillette, vente directe) ou de commerce avec notamment la vente de produits de santé mais aussi de plantes en vrac ou de préparations de plantes, ce qui forme un ensemble de produits sous des statuts et des normes règlementaires extrêmement variables.

La frontière est fine entre les conseils prodigués par les herboristes et un éventuel exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, c'est-à-dire entre l'indication thérapeutique que l'on trouve sur un médicament et l'allégation de santé pouvant figurer sur un complément alimentaire ou un aliment. Cette instabilité juridique explique une demande de sécurisation des pratiques des herboristes, qui oscillent entre la santé et le bien-être.

Actuellement, il n'existe pas de formation unifiée ni de diplôme défini pour la pratique de l'herboristerie.

Les plantes inscrites à la pharmacopée française font partie du monopole pharmaceutique, institué pour des raisons sanitaires et non économiques. La liste de ces plantes est divisée en deux parties :

- la liste A comporte 365 plantes utilisées traditionnellement (ou drogues végétales), employées dans des préparations de phytothérapie ou d'homéopathie. Certaines présentent une forte toxicité. Une libéralisation de la vente de l'ensemble de ces plantes en dehors du circuit pharmaceutique me semblerait donc difficile, à titre personnel ;

- la liste B correspond à des plantes utilisées par le passé en thérapeutique mais abandonnées à cause de leur toxicité ou du doute sur leur efficacité au fil des avancées des connaissances scientifiques ; les effets indésirables sont donc supérieurs aux bénéfices attendus.

Le décret n° 2008-841 du 22 août 2008 a permis la sortie de 148 plantes végétales du monopole pharmaceutique. Ce décret précise la forme traditionnelle d'emploi de ces plantes pour laquelle la sécurité de leur utilisation est assurée.

Les plantes médicinales rejoignent les exigences de qualité du circuit pharmaceutique. Celles hors monopole à visée alimentaire relèvent d'exigences différentes.

La France importe environ 18 000 tonnes de plantes en l'état ou sèches, principalement depuis la Chine et l'Inde. La DGCCRF s'est intéressée à la qualité de certaines classes de produits à base de plantes médicinales, cette analyse ayant montré des dysfonctionnements assez inquiétants.

En ce qui concerne les mélanges de plantes, une monographie « mélange de plantes pour tisanes » inscrite à la pharmacopée française définit quelles plantes peuvent être associées entre elles par le pharmacien en l'absence d'ordonnance ; certaines plantes en sont donc exclues et l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) définit les exigences en termes de bonnes pratiques de préparation.

Hors du circuit pharmaceutique, les mélanges de plantes en vrac ne sont pas interdits et ont le statut de produit alimentaire. Un enregistrement comme complément alimentaire est possible si la dose consommée par le patient est définie. Cette pratique se développe, dans les officines ou en dehors, pour contourner les restrictions règlementaires.

Se développent également hors des officines des associations de préparations de plantes (extraits, huiles essentielles), dont les frontières sont parfois floues avec le statut de médicament par fonction ou par présentation, ce qui conduit à des requalifications de produits par l'ANSM ou les tribunaux.

Les statuts des produits à base de plantes, en vente libre, sont d'une grande diversité. Il s'agit principalement, en dehors des plantes en vrac, de compléments alimentaires, mais on trouve également des dispositifs médicaux et des produits cosmétiques, ainsi que des huiles essentielles.

Les organismes de tutelle pour ces produits relèvent soit du ministère en charge de la santé, soit du ministère en charge de la consommation.

Un arrêté du 24 juin 2014 a établi une liste des plantes autorisées à entrer dans la composition des compléments alimentaires : parmi les 540 espèces qui y figurent, 60 % environ sont des plantes alimentaires ou médicinales hors monopole pharmaceutique et environ 25 % sont des plantes médicinales relevant de ce monopole pharmaceutique ; le reste sont des plantes ayant des usages médicinaux dans d'autres traditions que la nôtre ou encore quelques plantes de la liste B de la pharmacopée. L'arrêté de 2014 ne représente qu'une liste partielle de ce qui circule réellement.

Une liste commune de plantes utilisées dans les compléments alimentaires est en projet entre la France, la Belgique et l'Italie, dite « liste Belfrit », qui comporte 1 028 plantes.

Les exigences en termes de sécurité et de qualité des produits restent insuffisantes, notamment en termes d'étiquetage. Pour un grand nombre de compléments alimentaires, la question du statut de médicament par fonction ou par présentation se pose. Or, la plupart des produits de phytothérapie sont vendus sous la forme de compléments alimentaires en dehors des officines, par des non professionnels de santé et souvent sans conseil, comme c'est le cas en grande surface.

Des dispositifs de vigilance s'appliquent aux produits à base de plantes, dès lors qu'un usage traditionnel n'est pas forcément un gage de sécurité et qu'un certain nombre d'interactions médicamenteuses sont à prendre en compte.

L'ANSES est l'autorité compétente en matière de nutrivigilance (compléments alimentaires) et l'ANSM pour la cosmétologie et la matériovigilance (dispositifs médicaux).

L'ANSM, l'Agence européenne du médicament et l'OMS publient des référentiels pour l'emploi des plantes médicinales et des huiles essentielles. Toutefois, beaucoup de personnes qui vendent ces plantes ou huiles essentielles ne les connaissent pas et se fondent sur des ouvrages spécialisés qui ne sont pas forcément pertinents.

Il existe un fort besoin de formation pour les personnes autres que les pharmaciens délivrant des produits à base de plantes, afin qu'elles puissent délivrer un conseil efficace et adapté, apte à garantir la sécurité du consommateur, en tenant compte des données scientifiques. Au-delà de la plante en vrac hors monopole, cette formation doit concerner l'ensemble des produits vendus de manière courante hors du cadre pharmaceutique. Il semble important de donner un socle universitaire à ces formations, dans une interface indispensable avec les formations en santé.

Plusieurs questions restent ainsi en suspens. Quelles plantes peuvent être commercialisées ? Quelles sont les conditions d'exercice des herboristes, leur formation et leur place au sein du réseau de soin ?

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