La dangerosité des drogues était l'intitulé du rapport commandé à Bernard Roques en 1997. J'avais d'ailleurs participé à sa rédaction et je pense que les données en sont toujours d'actualité, même s'il est très discutable. On avait eu trois mois pour le rédiger : c'était un peu rapide et beaucoup de données neuropsychologiques sont probablement aujourd'hui dépassées mais la classification serait la même : il existe des drogues extrêmement dangereuses en matière d'addictivité ou de toxicité somatique, de la toxicité cérébrale et de la dangerosité sociale.
L'alcool demeure la pire de toutes les drogues. Pour ce qui est de l'addictivité, c'est le tabac. Pour ce qui est des chiffres de santé publique, l'alcool provoque 60.000 morts par an, le tabac représente 45.000 morts par an en France. Ces deux produits demeurent donc les produits phares parmi les drogues les plus dangereuses. On trouve ensuite l'héroïne et les opiacés, qui sont extrêmement accrocheurs et qui, en fonction de leurs conditions d'utilisation dans un monde prohibitionniste, sont également extrêmement dangereux.
Les excitants et la cocaïne se situent un peu en dessous ; ces produits ne donnent pas lieu à dépendance physique comme l'héroïne mais à des dépendances beaucoup plus variables.
Le cannabis est une drogue beaucoup moins dangereuse que les autres. C'est une des raisons pour lesquelles les jeunes en consomment. En outre, il pousse partout et est très difficile à éradiquer.
Le jeu se situe probablement au même niveau. Il serait en cause dans plus de 10 % des suicides effectifs. Cela en fait un problème de santé publique non négligeable ; c'est pourquoi il convient de ranger les addictions sans drogue aux côtés des addictions avec drogue.
Comment soigne-t-on les gens ? Il faut que l'on puisse réaliser dans les centres de soins et de prévention des addictions ce que les nord-américains appellent des approches multimodales et mettre une palette d'outils à la disposition du patient en fonction de son état et de l'évolution de celui-ci. Ce peut être des psychothérapies plus ou moins « technologiques », des thérapies cognitivo-comportementales, des thérapies psychanalytiques, des médications de l'addiction, comme les produits de substitution pour les opiacées ou des produits antagonistes qui empêchent l'action d'une drogue et qui finissent par faire perdre l'intérêt pour celle-ci -Nalorex pour l'héroïne...
Ce peut également être des traitements des troubles psychiatriques associés qui ne sont pas toujours dramatiques, comme les états anxio-dépressifs, bipolaires...
Il faut pour ce faire des services sociaux efficaces, que ce soit pour les toxicomanes -qu'il faut réinsérer, à qui il faut réapprendre à vivre au quotidien- ou pour les joueurs à qui il faut réapprendre à faire un budget, ce qu'est un plan de surendettement, une tutelle, une curatelle ou une protection des biens. Il faut prendre en charge l'entourage quand il en existe encore : parents, conjoints, enfants des joueurs, familles.
On peut recourir en parallèle à des groupes comme « Narcotiques anonymes », « Alcooliques anonymes » ou « Joueurs anonymes » qui ne sont pas concurrents des autres formes de prise en charge, sauf en ce qui concerne les traitements de substitution, car ces groupes sont assez dogmatiques dans leur définition de l'abstinence.
On a donc toute une panoplie, avec des hospitalisations, des séjours de rupture, parfois des séjours en postcure qu'il va falloir utiliser pour chaque addiction, même pour les joueurs, que l'on hospitalise ou à qui l'on donne des médicaments, tout comme pour une autre addiction.
Ce qui fait que le traitement va être efficace, c'est la qualité relationnelle avec la personne, le fait qu'elle aura été reçue dans une ambiance sympathique, par les gens qui ne la jugent pas et qui sont prêts à entendre ce qu'elle a à dire. C'est là la vraie base de la thérapie. C'est une erreur, que de vouloir comparer telle forme de thérapie à telle autre : on sait depuis 1936 que le succès d'une psychothérapie n'est jamais dû à sa théorie de rattachement. Ce n'est pas le fait d'être psychanalyste, comportementaliste ou biologiste qui fait que cela fonctionne mais la qualité du thérapeute lui-même !
Il existe de bons thérapeutes parmi les psychanalystes ou les comportementalistes. Il faut savoir qui sont les bons et qui sont les mauvais ! Ce qui est compliqué pour les chercheurs, c'est le fait que l'essentiel du traitement va être déterminé par des facteurs non spécifiques : l'ambiance, l'ouverture d'esprit du thérapeute, l'humeur dans laquelle il se trouve le jour où il reçoit la personne, des choses impalpables très difficiles à objectiver dans une recherche. A Marmottan, on essaye de faire en sorte que l'ambiance soit chaleureuse et on s'interdit de juger les personnes.