Intervention de Daniel Lebègue

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 20 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Daniel Lebègue président de transparence international france

Daniel Lebègue, président de Transparence International France :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis venu accompagné de Marina Yung, chargée d'études juridiques au sein de l'association Transparence International France, qui est la section française d'une ONG très présente à l'échelle internationale puisqu'elle opère dans 110 pays dans le monde pour oeuvrer à la lutte contre la corruption, le blanchiment, la délinquance financière et, pour dire les choses de manière peut-être plus positive, afin de promouvoir de bonnes pratiques de transparence, d'intégrité dans la vie publique et dans le monde des entreprises et de la finance.

Quel bilan peut-on dresser de l'action qui a été conduite depuis 2008 - je vous dirai pourquoi je choisis cette date - à l'échelon international et dans notre pays afin de renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale internationales ?

Pourquoi prendre l'année 2008 comme référence ? Parce que c'est au printemps de 2008 que s'est tenu à Londres le sommet du G20, au lendemain de la crise financière. Le plan d'action très complet fixé à ce moment-là par le G20 tournait autour de la lutte contre la fraude fiscale internationale, le blanchiment, avec des objectifs très ambitieux.

Le G20 a donc écrit sa feuille de route en la matière au début de 2008. À l'époque, notre ONG, comme d'autres d'ailleurs, a salué les objectifs et le plan d'action du G20, c'est-à-dire la méthode qu'il avait définie et rendue publique, parce que ces objectifs et ce plan d'action nous paraissaient correspondre à l'ampleur du sujet à traiter.

Je rappelle les objectifs que s'est donnés le G20 en avril 2008.

Premièrement, développer, renforcer la coopération et l'échange d'informations entre pays à des fins de lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment.

Le G20 dit que cet objectif - c'est un point très important pour nous - de coopérer pour lutter contre la fraude et le blanchiment d'argent issu d'activités délictueuses ou criminelles prime sur le secret bancaire, même si nous reconnaissons la légitimité de ce dernier, chacun d'entre nous ayant droit, comme client, au secret de la part de sa banque.

L'emporte néanmoins sur le secret bancaire l'objectif de se donner les moyens, sur le plan national et international, de combattre des délits, et même des crimes dans le cas du blanchiment.

Le G20 a donné ensuite une feuille de route, préconisé une démarche. Nous allons, avec l'aide de l'OCDE, dresser les listes des États et des territoires non coopératifs - liste « noire » - ou insuffisamment coopératifs - liste « grise ».

Dans la réunion du printemps 2008, le G20 rend publiques, pour la première fois depuis des décennies, deux listes : 38 États ou territoires sont jugés insuffisamment coopératifs, 4 États sont jugés non coopératifs, soit au total 42 États ou territoires montrés du doigt par la communauté internationale comme ne jouant pas ou jouant de manière incomplète le jeu de la coopération et de l'assistance mutuelle.

Troisièmement, le G20 charge l'OCDE et le Forum mondial de définir les critères à remplir pour être jugé coopératif ou non coopératif, et de contrôler l'application des conventions d'assistance mutuelle signées entre États.

Dernier point, qui n'est pas le moins important, le G20 annonce solennellement qu'il sanctionnera les États et les territoires qui refuseront de pratiquer l'échange d'informations, l'assistance mutuelle et la coopération en matière de lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment.

Voilà donc le communiqué du G20 d'avril 2008.

C'est un acte extrêmement fort. Je suis ces questions depuis presque quarante ans dans les différentes responsabilités que j'ai assumées successivement, notamment au ministère de l'économie et des finances, au Trésor, et je peux dire que jamais la communauté internationale n'avait manifesté, affirmé, affiché une telle volonté commune d'agir ensemble contre la fraude fiscale, le blanchiment, ni, surtout, n'en avait défini les moyens, ceux-ci nous paraissant, en 2008, adéquats, adaptés aux problèmes à traiter.

Cinq ans après ou presque, quelle appréciation peut-on porter sur ce qui a été fait au niveau international ?

Sur cette appréciation, les avis divergent fortement.

Je citerai, d'un côté, le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria. L'an dernier, il rapporte devant le G20 sur le chemin parcouru, les progrès accomplis, et il a cette phrase : « La bataille pour la transparence fiscale est en passe d'être gagnée. » Pour affirmer cela, il cite un certain nombre de chiffres, dont je tiens à vous faire part.

Depuis 2008, 776 conventions fiscales nouvelles ont été signées à l'échelle du monde. L'OCDE a évalué un peu plus de 500 de ces conventions, en se posant la question de savoir si elles étaient bien conformes aux critères de coopération qu'elle avait définis.

Le principal critère qu'utilise l'OCDE, je le rappelle, c'est le fait, pour un État, d'avoir signé au moins 12 conventions d'échange d'informations fiscales avec d'autres États. Si ce critère est critiqué par certains comme trop simple et insuffisant, c'est, pour l'instant, le principal qu'utilise l'OCDE.

Il y a six mois, Angel Gurria vient dire aux dirigeants du G20 que l'OCDE a évalué 520 conventions nouvelles et que 80 % d'entre elles sont conformes à ses standards. Le secrétaire général de l'OCDE ajoute que le processus d'évaluation de l'action de la politique conduite par les États se met en place - ce que l'on appelle la revue par les pairs, peer review en anglais.

Par ailleurs, Angel Gurria, qui se targue peut-être de résultats qui ne découlent pas exclusivement ou principalement de cette dynamique qui s'est enclenchée, affirme que, au cours des trois dernières années, l'action de l'OCDE et du G20 a permis de récupérer 14 milliards d'euros de recettes fiscales dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale internationale, dont, précise-t-il, 1,8 milliard s'agissant de l'Allemagne, 1,4 milliard s'agissant des États-Unis, 1 milliard s'agissant de la France, pour citer les trois pays qui ont obtenu les taux de récupération les plus importants en chiffres absolus ; il ajoute que 100 000 contribuables ont, depuis 2008, déclaré à l'administration fiscale des actifs ou des avoirs qu'ils détenaient à l'étranger.

Voilà le côté pile, ou lumineux, de la médaille.

À l'inverse, les grandes ONG qui s'intéressent à ce sujet, dont les principales sont Oxfam, Tax Justice Network, Transparency International, le Comité catholique contre la faim et pour le développement, le CCFD, participent ensemble à une plate-forme plus large que l'on appelle la plate-forme « Paradis judiciaires et fiscaux ».

Ces ONG, avec des nuances, portent une appréciation beaucoup moins positive, c'est le moins que l'on puisse dire, et considèrent que, quatre ou cinq ans après le sommet de Londres, l'action du G20 et de l'OCDE a débouché sur un bilan très maigre.

Sans doute de nombreuses conventions fiscales ont-elles été signées et, si l'on en juge par les résultats chiffrés, selon l'OCDE, les recouvrements obtenus seraient de 14 milliards d'euros.

Cela étant, par comparaison, je vais vous communiquer les évaluations - je ne le ferai pas sous serment, monsieur le président, mais je vais donner mes sources - qui sont faites du phénomène de la fraude fiscale internationale dans trois grands pays, pour donner un ordre de grandeur.

Le Budget Office du Congrès des États-Unis, selon les dernières évaluations de 2008, a estimé, dans des rapports qui sont publics, à 100 milliards de dollars par an la perte de recettes résultant de la fraude et de l'évasion fiscales pour le Trésor américain.

Pour l'Europe, il n'y a pas de statistiques officielles dans les grands pays, mais, par chance, si je puis dire, à la fin de l'année 2008, les ministres français et allemand des finances de l'époque ont donné une conférence de presse commune, au cours de laquelle ils ont livré une estimation que je vous communique.

M. Steinbrück, alors ministre allemand des finances, a évalué à 30 milliards d'euros par an la perte de recettes pour l'Allemagne résultant de la fraude et de l'évasion fiscales, et enchaînant sur la réponse de son collègue, M. Eric Woerth, alors ministre du budget, a indiqué que, pour la France, même si l'on ne disposait pas de statistiques extrêmement précises, son évaluation était voisine du chiffre cité, à savoir 25 milliards à 30 milliards d'euros.

Les deux ministres sont allés un peu plus loin dans le chiffrage du phénomène puisqu'ils ont, l'un comme l'autre, indiqué que les deux tiers de cette perte de recettes étaient imputables à des entreprises et un tiers à des particuliers, au titre de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Dernière indication, et je n'irai pas plus loin parce que les statistiques nous manquent malheureusement, le ministre français a indiqué qu'une part significative des pertes de recettes fiscales provenant des entreprises étaient imputables à la TVA et au phénomène bien connu de fraude, ou de « carrousel », international à la TVA.

Évidemment, quand on rapproche les chiffres donnés par l'OCDE - 1 milliard d'euros récupérés par la France, 1,8 milliard d'euros par l'Allemagne, 1,4 milliard d'euros par les États-Unis -, des chiffres correspondant aux pertes de recettes fiscales annuelles pour les Trésors nationaux des trois pays, on peut noter le résultat global, certes - 14 milliards d'euros, ce n'est pas rien -, mais on est obligé de constater qu'il est très loin des pertes de recettes générées par la fraude ou l'évasion fiscales.

Deuxième point souligné par les ONG, et confirmé par l'OCDE : même si un grand nombre de nouvelles conventions fiscales ont été signées depuis 2008, il n'est pas possible, pour l'instant, d'évaluer le respect des engagements qui ont été pris par les États dans le cadre de ces conventions. L'OCDE dit - on peut le comprendre - qu'il est trop tôt pour livrer une estimation. Nous pensons pouvoir commencer à le faire d'ici à la fin de 2012.

Le nouveau ministre du budget, Valérie Pécresse, dans une conférence de presse donnée en janvier dernier, nous a déjà fourni quelques éléments intéressants et, à vrai dire, pas très rassurants. Au cours des huit premiers mois de l'année 2011, nous dit-elle - nous n'avons pas encore de chiffres pour l'ensemble de l'année -, la France, c'est-à-dire l'administration fiscale ou les magistrats qui enquêtent, a adressé 230 demandes d'informations à des pays tiers avec lesquels nous avons signé des conventions ; 30 % seulement de ces demandes ont reçu une réponse. Dans le cas de la Suisse, les chiffres sont de 80 demandes de renseignements, 20 % ayant donné lieu à réponse.

Malheureusement, ajoute notre ministre du budget, très rares sont les cas dans lesquels a été obtenue, dans les réponses fournies par nos partenaires, une information que nous n'avions pas sur l'identité réelle des personnes. En d'autres termes, on nous répond mais, pour dire les choses d'une manière claire et directe, on ne répond pas à la question posée : M. X, résident et contribuable français dispose-t-il d'un compte en banque en Suisse ? Pourriez-vous nous en indiquer le montant, la nature des avoirs ? Si je comprends bien ce qu'a dit la ministre, dans neuf cas sur dix, on n'a pas obtenu de réponse, tout particulièrement de la part de la Suisse.

C'est ce constat qui a conduit notre gouvernement à durcir le dispositif : Mme Pécresse a annoncé en janvier que le délai de poursuite en matière de fraude fiscale internationale a été porté de trois à dix ans. Je rappelle que ce délai est de vingt ans aux États-Unis et de trente ans au Royaume-Uni.

Notre police fiscale, la cellule spécialisée de Bercy, est autorisée - encore faut-il qu'elle en ait la possibilité matérielle - à enquêter dans les pays signataires de conventions fiscales avec la France ; c'est ce qu'on appelle le droit de suite.

Mme Pécresse a annoncé également, ce dont nous nous réjouissons, que la France n'entrerait pas dans le dispositif dit « Rubik » proposé par la Suisse.

Donc, un certain nombre de mesures additionnelles ont été annoncées récemment, qui vont dans le sens d'un durcissement du système de poursuites, de sanctions, de manière à rendre plus effectif, si je puis dire, l'objectif que la France s'est fixé avec tous les autres pays du G20. Je le rappelle, aucun pays ne s'est désolidarisé de cet objectif, que ce soit la Chine, l'Inde, l'Arabie Saoudite, l'Afrique du Sud ou quelque autre État.

L'objectif commun est de lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment et de contribuer, ce faisant, à améliorer le recouvrement des recettes fiscales et à réduire les déficits publics.

Telle est, par conséquent, la deuxième objection des ONG : il existe des conventions mais, franchement, nous ne sommes pas certains que cela change grand-chose en matière d'échange effectif d'informations.

Troisièmement, les ONG - c'est également la position de la nôtre, Transparency International -, ont regretté l'étiolement, pour ne pas dire l'évanouissement, des listes d'États et de territoires non coopératifs ou insuffisamment coopératifs, puisque, vous le savez, sur la liste de l'OCDE, il n'y a pratiquement plus personne ou presque, à part le Guatemala et Nauru.

Cette liste s'est réduite comme peau de chagrin. Or nous considérons pour notre part que le fait d'établir une liste et de la rendre publique est un moyen d'action extrêmement puissant, à vrai dire le plus puissant de tous, comme le montre la sensibilité des autorités helvétiques et des banques suisses dès lors qu'on désigne leur pays parmi les États non coopératifs ou insuffisamment coopératifs.

C'est pourquoi, pour notre part, nous souhaitons que la liste des États non coopératifs soit mise à jour régulièrement, à partir des examens de l'OCDE et du Forum mondial, et qu'elle demeure aussi longtemps que son existence sera justifiée.

Enfin, nous rappelons que le G20 a annoncé son intention de sanctionner des États, des territoires et, évidemment, des sociétés et des personnes. Toute une grille de sanctions a été définie voilà déjà dix ans par l'OCDE. On sait de manière assez précise, grâce à une carte-mode d'emploi, ce que l'on pourrait faire à l'encontre de ceux qui ne jouent pas le jeu de la coopération : les sanctions fiscales ou non fiscales.

Voilà la position des principales ONG qui établissent un bilan relativement sévère ou négatif sur ce qui a été fait depuis 2008.

Pour terminer, je voudrais vous dire un mot de la position de Transparency International, et surtout des propositions que nous faisons, parce qu'il ne suffit pas d'affirmer des objectifs ou des positions de principe ; ce qui est essentiel, c'est ce que l'on fait pour atteindre les objectifs que l'on se fixe.

Pour notre part, nous avons une position plus nuancée que celle d'Oxfam, du CCFD et de Tax Justice Network. Nous considérons que la dynamique internationale qui a été initiée en 2008 sous l'égide de l'OCDE et du Forum mondial n'est pas négligeable.

D'abord, pour ceux qui s'intéressent à cette matière austère, je rappellerai que les rapports du Forum mondial comprennent dorénavant un état des lieux relativement précis et complet des législations et des pratiques de quasiment tous les pays du monde. On sait à peu près comment se fait, ou ne se fait pas, la lutte contre la fraude aux Bahamas ou à Bahreïn. Tout cela figure maintenant dans des documents officiels de référence de l'OCDE et du Forum mondial.

Ensuite, a été mis en place, dans une certaine limite, le processus d'évaluation des différents pays par leurs pairs. À ce propos, il y a du freinage, car certains pays sont plus réticents que d'autres. Pourquoi ne pas le dire, le plus réticent de tous est la Chine, qui n'aime pas l'idée que des pays étrangers évaluent sa politique, et a fortiori, que l'on demande leur avis à des acteurs de la société civile, à des ONG, des experts, des entreprises. La Chine a un peu une position de principe sur ces questions. Elle n'est pas un modèle en termes de transparence et d'action coopérative. Il reste que le Forum mondial avance, trimestre après trimestre, dans son examen. Dont acte.

Tout cela est positif. La dynamique qui s'est mise en place devrait se renforcer dans les années à venir. Mais ayant dit cela, nous relevons que l'essentiel du travail reste à faire. Sur quels points ?

En premier lieu, il existe des tentatives, principalement de la part de la Suisse, mais aussi de quelques autres pays, pour faire barrage à ce mouvement vers plus de transparence, de coopération, d'échange d'informations, et en clair, pour défendre le secret bancaire. C'est le sens de la proposition qui a été formulée par la Suisse l'an dernier, dite « Rubik » : si vous renoncez à nous demander des informations, nous sommes prêts, nous, banques suisses, autorités suisses, à prélever un impôt forfaitaire sur les comptes de vos résidents qui ont des avoirs, des comptes en Suisse, et à reverser à chacun de vos pays le produit de cette taxation forfaitaire.

Deux pays ont accepté d'entrer dans cette logique et ont signé une convention, non ratifiée pour l'instant : le Royaume-Uni et l'Allemagne.

En Allemagne, on sait que le Bundestag et le Bundesrat ne ratifieront pas le projet de convention Suisse-Allemagne pour des raisons de principe. Ils y sont totalement opposés, notamment dans la Chambre Haute. Quant au Royaume-Uni, on ne sait pas encore très bien sa position : en contrepartie d'un chèque que le Trésor britannique recevrait chaque année - de quel montant et pour quelle durée ? - de la part des autorités suisses, est-il prêt à jeter par-dessus bord le principe de l'échange d'informations et de la levée du secret bancaire ? On ne sait pas encore. Ce n'est pas décidé. En tout cas, c'est vraiment une priorité que de faire barrage à ce retour en force du secret bancaire.

Je le répète, la recherche de crimes et de délits doit primer sur le secret bancaire. C'est un principe fondamental de tout État de droit ; c'est aussi simple que cela.

Comment faire ? Deux méthodes nous paraissent adaptées pour parvenir à ce résultat.

La première, c'est la méthode dite de l'Union européenne, explicitée dans la directive européenne sur la fiscalité de l'épargne de 2005.

L'Union européenne - moins trois pays qui n'avaient pas adhéré, le Luxembourg, l'Autriche et, à l'époque, la Belgique ; celle-ci a, depuis, donné son accord -, a prévu l'échange automatique d'informations à des fins de lutte contre la fraude fiscale entre ses membres. C'est très simple.

Prenons l'exemple de la Belgique. Considérons des non-résidents belges, mais résidents d'autres pays européens, qui détiennent des comptes ou des avoirs ou des biens immobiliers ou autres en Belgique ; l'administration fiscale belge, les banques belges, les notaires belges ont évidemment une connaissance précise de ces avoirs, de ces comptes. Ils les déclarent, et la Belgique informe de manière automatique, sans qu'on ne lui demande rien, l'administration française, l'administration allemande, l'administration britannique, des comptes et avoirs détenus par des résidents de ces pays en Belgique. C'est le système dit de l'échange automatique d'informations, qui nous paraît le meilleur de tous. C'est la coopération pleine et loyale entre partenaires de bonne foi.

Le deuxième système, plus détourné mais plus brutal, plus violent dans son application, est le système américain défini par la loi américaine, dit FATCA. Dans le cas des États-Unis, c'est très simple sur le plan des principes, étant entendu que les États-Unis appliquent ce principe avec beaucoup de rigueur à l'encontre des particuliers, des investisseurs, des épargnants américains qui ont des comptes et des avoirs à l'étranger, mais l'appliquent très peu ou pas du tout à l'encontre des entreprises.

Donc, dans le système américain, c'est très simple. Dès lors que l'administration fiscale américaine, en l'occurrence l'International Revenue Service, a des doutes ou des soupçons sur le fait que M. Smith ou Mme Pearl détient des comptes au Luxembourg, en Suisse, aux Bahamas ou ailleurs, elle interroge le pays et, si elle a l'information, la banque où ces comptes sont détenus. La banque étrangère se voit présenter l'alternative suivante : soit vous jouez le jeu et vous donnez la liste complète des citoyens américains qui détiennent des avoirs, des comptes chez vous, soit, dans le cas contraire, vous vous rendez coupable d'un délit vis-à-vis de la justice américaine, et moi, État américain, j'ai le pouvoir souverain de vous autoriser ou non à travailler sur le territoire des États-Unis. Autrement dit : vous êtes Union Bank of Switzerland, vous faites 40 % de vos revenus aux États-Unis, ou bien vous me communiquez la liste de tous vos clients américains, ou bien je vous interdis d'opérations aux États-Unis. Là, je peux vous dire que ça marche ! (Sourires.) UBS, évidemment, a mis les pouces et a fourni les informations qui lui étaient demandées, compte tenu de la gravité de l'enjeu.

Les banquiers suisses, qui sont gens avisés mais parfois un peu lents à réagir, au bout de deux ans, se sont dit que cette menace valait à l'encontre d'une banque internationale comme UBS ou le Crédit suisse, qui opèrent aux États-Unis, mais que, en revanche, les petites banques locales suisses, elles, ne risquaient rien car elles n'ont pas d'activité aux États-Unis. Aussi, deux ans après, les grandes banques suisses ont commencé, non pas de manière systématique- je ne voudrais pas laisser croire que tout le monde fraude en Suisse, même si cela se fait - à conseiller à des clients de transférer leur compte sur de petites banques, pour être hors d'atteinte de l'administration américaine. Quelle a été la réaction de l'administration américaine ? « Puisque vous utilisez la monnaie des États-Unis dans vos opérations, je peux vous interdire de travailler en dollar américain. C'est mon droit souverain de le faire. » Je peux vous dire que les banquiers suisses sont restés les bras ballants.

Donc, deux méthodes fonctionnent.

La première me semble meilleure parce qu'elle repose sur la coopération, la bonne foi, la bonne volonté : c'est la méthode européenne. Les administrations fiscales échangent les informations de manière automatique et répondent loyalement et complètement aux investigations des magistrats de pays partenaires qui mènent des enquêtes.

La seconde, la méthode américaine, que je viens d'indiquer, est évidemment plus facile pour un grand pays comme les États-Unis.

Avant d'achever mon propos, je voudrais juste évoquer brièvement deux points très importants.

Il faut casser les boîtes noires. Pour nous, Transparence International France, c'est le problème principal. Les boîtes noires, ce sont les structures juridiques du type trust, fiducie, fondation, Anstalt, qui permettent à des personnes ou à des sociétés de se dissimuler à l'abri d'une structure intermédiaire, de telle sorte que l'on ne sait plus qui est propriétaire, bénéficiaire ultime. On sait simplement qu'un trust existe au Luxembourg, aux Bahamas...

Comment faire pour ouvrir les boîtes noires ?

Nous avons mis une proposition sur la table dès 2008. À l'époque, on nous a dit que notre système était bien compliqué. Dans le monde entier, pour toutes les sociétés, il existe un registre du commerce : leurs dirigeants et leurs actionnaires sont connus. Nous proposons, de la même façon, de créer un registre des trusts et fiducies. Dans tous les pays, on enregistrerait les trusts, avec les noms de leurs gestionnaires et de leurs propriétaires. À partir de là, on pourrait échanger des informations.

C'est, mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif que vous venez d'adopter pour la France avec l'article 14 de la loi de finances rectificative pour 2011, qui institue l'obligation pour les trustees, les gestionnaires de trust, qu'ils soient en France ou à l'étranger, de déclarer l'existence du trust au fisc français, dès lors qu'un des protagonistes est français ou résident français ou bien que l'un des biens détenus est en France. Autrement dit, la France vient d'adopter le registre des trusts, et nous nous en félicitons. Nous appelons évidemment à une extension de ce mécanisme à tous les pays, européens et hors d'Europe.

Je terminerai en évoquant une question qu'on n'a pas commencé à traiter, ni en France, ni en Europe, ni aux États-Unis, celle l'usage, parfois extensif, voire abusif, que les multinationales font de l'instrument dit du « prix de transfert », c'est-à-dire le prix auquel elles facturent des prestations ou services entre sociétés du même groupe. Elles fixent un prix de convenance de manière à « loger » l'essentiel de leurs revenus dans des pays où il n'existe qu'une fiscalité très basse, voire pas de fiscalité du tout. C'est un phénomène important, même s'il n'est pas systématique.

Tout le monde a été frappé - au point que ce sujet est maintenant au coeur de la campagne électorale - lorsque l'INSEE a annoncé qu'en 2010 les sociétés du CAC 40 avaient acquitté, à l'échelle mondiale, un impôt au taux effectif de 8 %, alors que les PME avaient été, elles, effectivement imposées à 28 %.

Le phénomène est encore plus massif aux États-Unis, où le gouvernement Bush a multiplié les facilités de ce type au bénéfice, notamment, des grandes sociétés du secteur de l'énergie.

Comment y faire face ? Nous avons une deuxième proposition : demander aux multinationales, aux grandes banques, aux grands acteurs de la finance de déclarer, pays par pays, leur activité, leurs revenus et les impôts qu'ils acquittent dans chacun des pays où ils travaillent. Il y a des multinationales, des grandes banques respectables qui sont présentes dans 50, 80, 120, 150 paradis fiscaux. On aimerait simplement savoir pourquoi et connaître les avantages elles peuvent en retirer. C'est un devoir de transparence. Ce sujet figure aussi à l'agenda du G20.

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