Intervention de Daniel Lebègue

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 20 mars 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Daniel Lebègue président de transparence international france

Daniel Lebègue, président de Transparence International France :

La fraude fiscale, c'est le fait pour une personne physique ou morale qui doit payer l'impôt sur le revenu, sur le patrimoine, sur les plus-values, de ne pas l'acquitter. C'est une définition universelle.

Certes, les Suisses avaient introduit une subtilité, mais ils étaient les seuls, et ils y ont renoncé. Selon eux, la fraude implique que l'on s'exonère du paiement de l'impôt de manière volontaire, délibérée, alors que l'on peut plaider la bonne foi pour ce qui concerne l'évasion fiscale : une personne a un compte chez UBS mais, franchement, elle ne le savait pas, elle l'avait oublié, et, d'ailleurs, elle l'a hérité de son grand-père.

Du point de vue de la loi suisse, ce fait n'était pas condamnable. C'est terminé, la Suisse s'est rangée à la position universelle, celle des Nations unies : tout citoyen ou toute personne morale redevable de l'impôt se doit de s'acquitter du paiement de celui-ci.

Il existe évidemment une autre acception de l'évasion fiscale : une personne physique ou morale qui devrait naturellement payer l'impôt choisit son domicile avec pour objectif principal, voire exclusif, de ne pas payer l'impôt. C'est notamment ce que l'on appelle « l'exil fiscal ». Une personne décide de s'installer de manière plus ou moins effective, plus ou moins réelle, en Suisse ou ailleurs - bien souvent, il s'agit de la Suisse ou de la Belgique -, tout en conservant sa nationalité française. Comme elle ne souhaite pas payer l'impôt en France, elle se place en situation d'être considérée, en vertu de la loi et des conventions existantes, comme un citoyen français résidant dans un autre pays. Je ne citerai pas de nom, mais tout le monde en a en tête.

La question que l'on peut se poser, c'est celle de savoir si M. X, célèbre chanteur qui vient de faire son retour sur scène pour la douzième fois, réside réellement dans le canton de Zoug en Suisse. Je ne sais pas, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous connaissez ce canton, mais je puis vous dire, pour y être passé, que l'idée d'y rester plus de deux jours me rend fou. (Sourires.) Y réside-t-il vraiment 180 jours par an ? Et que diable peut-il y faire ? C'est là une forme d'évasion fiscale ou de fuite devant l'impôt.

Le troisième concept est l'optimisation fiscale.

Il s'agit d'un mécanisme légal qui vise à utiliser au mieux les possibilités qu'offrent la réglementation et les conseils avisés de fiscalistes. Où est la frontière entre l'optimisation fiscale et la fraude fiscale ? C'est un art très particulier.

En effet, l'administration fiscale peut considérer que vous êtes allé trop loin, que vous avez franchi la ligne rouge ou jaune dans votre recherche d'optimisation, qui consiste à réduire la charge de l'impôt pour une entreprise en particulier. Dans ce cas, l'administration fiscale pourra engager la procédure de l'abus de droit fiscal, considérant que l'utilisation que vous faites de la législation ou de la jurisprudence est excessive, abusive, et vous pouvez alors subir un redressement fiscal.

Telles sont les définitions retenues.

J'ai parlé des pertes de recettes pour les pays riches, en Europe, en Amérique du Nord, mais vous avez évidemment raison de le souligner, monsieur le rapporteur, l'impact est plus lourd encore pour les pays en développement.

À vrai dire, on fait masse : il y a non seulement la perte de recettes fiscales, mais aussi la fuite de capitaux, et il n'y a plus d'argent ni d'épargne disponible pour financer les dépenses publiques, les investissements, etc. Ces sorties de capitaux correspondent en partie à la fraude fiscale ou à l'évasion fiscale, mais aussi à d'autres phénomènes que Transparence International piste, à savoir le blanchiment, l'argent issu d'activités criminelles et la corruption.

Comme chacun le sait, un responsable, un dirigeant corrompu a généralement pour premier réflexe d'essayer de mettre son argent à l'abri dans un autre pays.

En matière de chiffres, je m'exprimerai avec prudence, car la fourchette est extrêmement large.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur, le chiffre est de 350 milliards de dollars pour la fourchette basse et de 1 500 milliards de dollars pour la fourchette haute, si l'on englobe tous les phénomènes de fuite que j'ai cités, à savoir le blanchiment, la corruption, la fraude fiscale. Ce montant n'est pas officiel, mais il apparaît dans un rapport de la Banque mondiale de 2008 ou de 2009. Il s'agit de sommes absolument considérables.

S'y ajoute cet argent qui, par définition, cherche l'obscurité et sert évidemment de matière première à ce que l'on appelle la finance de l'ombre, le shadow banking, les marchés non régulés ou mal régulés, les marchés de produits dérivés, les hedge funds, une partie du capital-investissement et du capital-risque, bref toute cette partie de la finance qui échappe encore en grande partie à toute régulation et, surtout, à la transparence. On a beaucoup de mal à suivre les volumes échangés sur les marchés dérivés, en tout cas sur les marchés non régulés de produits dérivés.

Ce facteur est de nature à contribuer à la volatilité et à l'instabilité des marchés de capitaux.

Vous m'avez également demandé quels étaient les mauvais élèves. On peut faire deux réponses.

Le mauvais élève caractéristique, c'est celui qui choisit de ne pas être coopératif parce qu'il pense qu'il va en tirer un avantage. On les appelle les free riders, c'est-à-dire...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion