Intervention de André-Claude Lacoste

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. André-Claude Lacoste président de l'autorité de sûreté nucléaire

André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

En ce qui concerne votre première question, il faut savoir que les incidents qui surviennent dans les centrales sont cotés suivant une échelle graduée de zéro à huit. Pour les coter le plus rapidement possible, nous utilisons l'échelle INES, de l'anglais International Nuclear Event Scale, qui est une échelle de communication et non une échelle technique. Nous ne pouvons pas attendre trois mois pour classer ex-post un incident.

À Fukushima, par exemple, les Japonais ont systématiquement classé l'importance de l'événement avec retard, en le qualifiant d'abord de niveau 4, puis de niveau 6, pour finir au niveau 7, ce qui n'est pas justifié. L'ASN avait annoncé deux ou trois jours après l'accident qu'elle estimait son importance supérieure à celle de Three Mile Island et inférieure à celle de Tchernobyl et que, si l'accident se produisait en France, elle le classerait au niveau 6. Si vous déclarez d'emblée l'importance de l'événement, vous êtes plus à l'aise pour communiquer.

Les exploitants nous proposent un classement de l'incident, nous vérifions ce qu'il en est et arrêtons, in fine, son niveau.

Chaque année, en France, environ 140 incidents de niveau 1 affectent les installations nucléaires et quelques-uns les transports. Tout incident de niveau 1 fait l'objet d'une inspection de notre part. Sur les 1 000 inspections que j'évoquais, 20 à 25 % sont inopinées, d'autres sont thématiques, certaines sont réactives, consécutives à la survenue d'un incident, d'autres encore sont des inspections de revue, au cours desquelles une nuée d'inspecteurs est déployée sur un site pour l'étudier de fond en comble. Une inspection réactive peut nous amener à reclasser après coup un incident à un niveau supérieur. Je précise que la façon dont nous appliquons l'échelle INES, qui est à nos yeux fondée, est considérée à l'étranger comme « rude ».

S'agissant des provisions, nous avons été choqués par deux épisodes récents. D'une part, quand le Gouvernement a buté pour trouver des provisions conformes à la loi, il a publié un décret permettant de contourner l'esprit de la loi. C'est typiquement le cas des actions de RTE.

D'autre part, certaines situations me paraissent rigoureusement contraires à la loi : c'est ainsi qu'une partie des provisions pour le démantèlement du CEA s'est transformée en créances sur l'État. Nous sommes nombreux à ne pas avoir une très haute opinion de la valeur d'une créance sur l'État dans un tel domaine. Historiquement, le démantèlement d'une installation nucléaire s'est déjà trouvé en grand péril faute d'un financement qui devait être assuré directement par l'État.

C'est cet aspect de la question qui nous fait peur. Le démantèlement est un sujet important et de longue haleine. Lorsque débute un démantèlement, il faut être sûr de pouvoir le mener jusqu'à son terme. Si on l'émiette en épisodes correspondants aux financements, on se met dans une situation à la fois inefficace et pendable.

L'épisode concernant les actions de RTE me paraît moins grave que celui des créances sur l'État, mais tous deux sont une façon de contourner l'esprit de la loi.

M. le président. RTE est une valeur sûre !

Certes, mais ce n'est pas du tout l'esprit de la loi - j'ai participé à son élaboration en tant que fonctionnaire - qui prévoit des actifs dédiés. J'ajoute que les créances croisées entre exploitants nucléaires sont actuellement admises comme provisions, ce qui est également contraire à l'esprit de la loi.

En ce qui concerne l'évaluation préliminaire du coût des mesures que nous avons imposées à EDF, nous rendrons une décision d'ici au 30 juin. J'ai le sentiment - j'emploie à dessein un terme d'ordre qualitatif - qu'une évaluation de quelque 10 milliards d'euros est le bon ordre de grandeur. Je ne peux pas vous garantir qu'elle ne s'élèvera pas à 8 milliards d'euros ou à 12 milliards d'euros.

En ce qui concerne l'Europe, nous avons déjà eu cette discussion, monsieur le président, en une autre occasion. L'une des difficultés d'un contrôle européen en matière de sûreté nucléaire tient au fait que les installations nucléaires sont à la fois techniques et politiques. Certains pays, certains partis, sont contre le nucléaire. À ma connaissance, il n'existe pas de pays ou de parti contre l'industrie chimique ou métallurgique. Dans un certain nombre de cas, le nucléaire est donc considéré comme devant entraîner la nécessité d'une prise de position politique « pour » ou « contre ».

À ce titre, le nucléaire s'apparente aux organismes génétiquement modifiés. La comparaison est très frappante. En ce qui concerne les OGM, il a été pris le parti de donner à l'Union européenne le pouvoir d'autoriser les semences. Il est fascinant d'observer que, dès que la décision prise à Bruxelles ne convient pas à un pays, il s'attache à prendre des mesures réglementaires pour la contourner, voire la heurter, pour employer un terme plus « rude ».

S'agissant des installations nucléaires, nous pourrions nous trouver confrontés à des situations de ce genre, un pays considérant que faire tourner ou continuer à faire tourner une centrale nucléaire peut justifier de ne pas obéir à une injonction de Bruxelles. C'est le scénario que j'ai en tête. Il faut néanmoins favoriser autant que possible l'harmonisation et la cohérence à l'échelle européenne.

À la suite de la décision du Conseil européen, un cahier des charges unique a été approuvé par l'ENSREG, European Nuclear Safety Regulators Group, et par la Commission. Dix-sept rapports nationaux ont été élaborés, dans leur majorité de façon sérieuse - quinze pays de l'Union européenne, la Suisse et l'Ukraine -, et un processus de revue par les pairs, ou peer review, est en cours. Cette revue par les pairs, qui mobilise quelque 200 experts, est pilotée par l'un des commissaires de l'Autorité de sûreté nucléaire française, Philippe Jamet, qui fut directeur de la sûreté nucléaire à l'AIEA, et est donc féru de relations internationales.

Cette revue par les pairs analyse les rapports nationaux par sujet : les agressions naturelles, la perte de fonction de sûreté, la gestion de crise. Elle comporte une visite de centrale dans chaque pays et doit aboutir à un rapport sur les stress tests, présenté à l'ENSREG le 25 avril, qui doit servir de base au rapport que la Commission transmettra au Conseil européen.

Un processus d'harmonisation est donc en cours. Il a pour objectif de formuler quelques recommandations, quatre ou cinq idées que le Conseil européen recommanderait aux différents pays de creuser. Nous sommes très porteurs du concept de « noyau dur ». C'est typiquement un sujet qu'il serait intéressant que chaque pays essaie d'appliquer sur son territoire. Le processus d'harmonisation engagé n'est pas extrême, il avance au cas par cas, mais va, selon moi, dans le bon sens.

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