Intervention de Franck Lacroix

Commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité — Réunion du 3 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Franck Lacroix président de dalkia

Franck Lacroix, président de Dalkia :

Monsieur le rapporteur, votre première question impose de présenter l'activité de Dalkia. Qui sont ses clients et quelle est sa situation financière ?

Dalkia est une filiale à 66 % de Veolia Environnement et à 34 % de EDF.

En tant que créateur d'économies d'énergie, notre métier est de nous positionner dans les territoires, afin de répondre aux enjeux cruciaux du XXIe siècle, à savoir le renchérissement des énergies fossiles, l'urbanisation et la lutte contre les gaz à effet de serre. Nous apportons notre savoir-faire, notre expérience et notre maîtrise technique dans quarante pays. Pour ce faire, notre groupe comprend 52 700 salariés collaborateurs.

Notre taille nous permet d'accéder dans les meilleures conditions à des technologies souvent coûteuses, à des ressources complexes à mobiliser, comme la biomasse, et de mener des efforts soutenus en matière de recherche et de développement.

L'efficacité énergétique est notre coeur de métier. Des chiffres clés de deux natures caractérisent notre action : en 2011, nous avons fait économiser à nos clients 14,7 térawattheures, tous domaines d'énergies confondus, bien que ce soit essentiellement en énergie thermique, et nous avons évité l'émission d'un peu plus de 6,6 millions de tonnes de CO2.

Cette activité est complémentaire de celle de producteur d'énergie, même si Dalkia n'est en ce secteur qu'un acteur sur le territoire.

J'en viens à la situation financière de Dalkia.

Grâce à notre profitabilité récurrente nette proche de 2 % de notre chiffre d'affaires, nous affichons une structure financière solide. Notre endettement financier net s'élève à 2,370 milliards d'euros ; il est un peu inférieur à nos fonds propres, qui s'établissent à 2,415 milliards d'euros ; il représente à peu près quatre fois notre capacité d'autofinancement.

Le fonds de roulement dont nous avons besoin est de 778 millions d'euros, ce qui correspond, pour nous, à quarante jours d'activité, laquelle a atteint 7,1 milliards d'euros l'année dernière.

Ces performances résultent de trois activités centrales complémentaires de notre groupe.

Nous gérons et développons des réseaux urbains, soit actuellement dans le monde 837 réseaux de chaleur et de froid. Nous sommes producteur et distributeur local d'énergie thermique dans les villes.

Nous gérons des utilités industrielles, nous faisons un peu la même chose pour des plaques ou des clients industriels. Nous desservons un peu plus de 4 600 sites de cette nature dans le monde. Notre vocation est de leur fournir la vapeur, l'air comprimé, notamment, dont ils ont besoin pour produire.

Une activité complémentaire s'ajoute aux deux que je viens de décrire : elle concerne l'efficacité énergétique du bâtiment. Sur un peu plus de 123 000 installations gérées à travers le monde, elle consiste à optimiser le fonctionnement des installations énergétiques qui consomment de l'énergie pour délivrer à nos clients les services dont ils ont besoin, par exemple de la chaleur. Elle vise essentiellement des logements, des bâtiments publics et du tertiaire.

Dès maintenant, nombre de solutions existent pour diminuer l'empreinte carbone des espaces urbanisés, notamment en s'attaquant aux différentes formes d'énergies, et pas seulement à l'électricité.

En France, l'activité liée aux transports étant mise de côté, 70 % de l'énergie finale consommée doit être transformée sous forme thermique pour être utile à nos clients.

Pour établir le lien entre la chaleur et l'électricité, il faut comprendre que nous sommes un acteur majeur de la cogénération. Celle-ci, développée en France comme à l'international, nous permet de produire de manière simultanée chaleur et électricité. L'intérêt de cette technologie tient à son efficacité énergétique.

Il existe deux moyens pour produire un mégawattheure d'électricité et de chaleur : ou bien le recours à deux installations séparées, indépendantes, ce qui induit un rendement global, ou bien l'utilisation d'un seul équipement. Dans ce dernier cas, par rapport à la situation de référence, en utilisant les best available technologies, on parvient à économiser au moins 10 % d'énergie primaire. C'est une façon de délivrer de l'électricité en profitant d'un puits de chaleur situé à proximité et d'optimiser l'efficacité énergétique. Cet avantage est considérable.

De surcroît, l'électricité est produite de manière locale. Une cogénération ne souffre pas d'une production centralisée qui devrait ensuite être diffusée par des réseaux de transport, car la chaleur ne se transporte pas aussi bien que l'électricité. De ce fait, en France, des centaines d'installations qui lui sont dédiées sont réparties sur le territoire. Ainsi sont évités les coûts liés aux contraintes de transport et aux déperditions au cours du transport.

En France, nous produisons à peu près 2 000 mégawatts électriques par le biais de la cogénération, soit presque l'équivalent de deux tranches nucléaires ou de 1 000 éoliennes. Dans notre pays, la puissance installée en cogénération est de l'ordre de plus de 4 500 mégawatts, soit 2,5 fois ce que gère Dalkia.

Bien sûr, les réseaux de chaleur dont je parlais bénéficient largement des cogénérations, puisqu'ils constituent un puits thermique privilégié.

La France, comme l'Europe en général, doit « assumer » l'intérêt de la cogénération et ne pas perdre les capacités de production électrique et thermique existantes, qui constituent des atouts, en mettant en place un dispositif qui lui permette de prolonger la vie des installations actuelles tout en combinant l'efficacité énergétique résultant de la cogénération et l'énergie renouvelable.

Que la cogénération fonctionne au gaz ou avec de l'énergie renouvelable, elle a un impact sur l'efficacité énergique, mais dans le deuxième cas de figure, elle a également des conséquences sur les émissions de CO2. Dalkia intervient dans ce domaine. Voilà quelques mois, dans le sud-ouest de la France, nous avons commencé l'installation de la plus grosse centrale de cogénération, de 60 mégawatts électriques, qui valorise chaque année un peu plus de 400 000 tonnes de biomasse. Voilà quelques semaines, nous avons démarré une cogénération destinée à alimenter le réseau de chaleur de la ville de Limoges et à valoriser également une quantité significative de biomasse. Nous sommes en train de faire de même à Orléans, Tours, Angers, notamment. Ainsi, nous produisons un peu plus de 5,5 térawattheures d'électricité. Le groupe dans son ensemble produit environ 14,2 térawattheures électriques.

La production électrique représente 20 % de l'activité de Dalkia en France, le reste concernant plutôt des activités multi-techniques ou encore centrées sur la chaleur. La production électrique avec cogénération correspond à 2 000 mégawatts. Il existe aussi des groupes de production de pointe, qui peuvent produire de l'électricité en cas de forte demande, des groupes de secours et des installations gérées chez nos clients. Il s'agit de faire face à une rupture d'alimentation pour assurer la continuité du service électrique chez ces derniers.

Monsieur le rapporteur, vous vous demandez s'il y a contradiction entre la recherche de l'efficacité énergétique et le statut de filiale d'un fournisseur d'énergie. Absolument pas !

On le constate dans le domaine de la chaleur. Nous sommes à la fois producteur local et leader en matière d'efficacité énergétique. Notre présence dans le domaine de l'efficacité énergétique nous permet à nous, fournisseur d'énergie, à la fois d'être le plus performant possible en matière de production d'énergie et d'optimiser la demande de nos clients finaux, notamment en réduisant la demande de pointe, qui est toujours la plus coûteuse à satisfaire. L'efficacité passe par la capacité à produire mieux, à jouer sur les profils de consommation pour produire plus intelligemment, à optimiser les investissements et les fonctionnements.

Nous pouvons aussi apporter une prestation à plus forte valeur ajoutée aux clients finaux, non pas simplement fournir de l'énergie, mais offrir une prestation plus complète de services énergétiques. La nuance est fondamentale.

Dans les années à venir, le Réseau de transport d'électricité prévoit à la fois un fort développement de l'efficacité énergétique et le maintien de la croissance de la consommation électrique, certes modérée, de 0,6 % par an. Cette consommation s'établissait à 480 térawattheures en 2009 et devrait atteindre 523 térawattheures en 2020 et 554 térawattheures en 2030. Telles sont les données qui résultent du bilan prévisionnel de l'équilibre entre l'offre et la demande de 2011.

Les analystes financiers valorisent le fait que, avec Dalkia, EDF dispose d'une filiale dédiée à l'efficacité énergétique. Ainsi, elle pourra adapter son outil de production à l'évolution de la donne énergétique qui se traduira irrémédiablement par une baisse de la consommation.

En pratique, je constate que la réponse à des appels d'offres en groupement, en quelque sorte, par exemple Dalkia et EDF, correspond à la volonté de réaliser des économies d'énergie. Tel est ainsi le cas du contrat de performance énergétique que nous avons signé avec le Conseil général de la Manche. Nous avons pris l'engagement de réduire les consommations énergétiques, toutes énergies confondues, d'une vingtaine de collèges et de trois musées et d'aboutir à 32 % d'économies d'énergie, pourcentage garanti par la mise en place d'un plan d'action et par l'exploitation des installations pendant quinze ans.

Nous gérons encore assez peu d'électricité dans les bâtiments dont nous assurons la gestion des services énergétiques. Cela étant, EDF ne voit aucune difficulté à ce que nous nous en saisissions plus souvent, de manière à proposer à nos clients une gestion intégrée de l'ensemble de leurs énergies. En effet, EDF est bien consciente de la forte valeur qui en résulterait pour nos clients.

Pour ce qui concerne notre actionnaire majoritaire, à savoir Veolia Environnement, d'une certaine manière, il a dans ses gènes la gestion économe des ressources naturelles, qu'il s'agisse de l'eau ou de matières premières, grâce au recyclage des déchets, ou de l'énergie avec Dalkia.

L'efficacité énergétique est bien au coeur de notre activité et ce, je crois pouvoir le dire, à la satisfaction pleine et entière de nos deux actionnaires.

À ce stade de mon propos, je voudrais insister sur la question centrale de la cogénération. C'est sur ce point que le lien évident entre notre activité et la production d'électricité apparaît.

Grâce à un dispositif qui, depuis 1997, a encouragé le développement de la cogénération en France, aujourd'hui, tous acteurs confondus, la production électrique sous forme de cogénération représente l'équivalent de trois EPR. Je vous rappelle les avantages de ce système : des économies d'énergie et une production décentralisée.

Depuis 2001, le développement du parc de cogénération a été arrêté, faute de cadre suffisamment incitatif.

Douze ans après - telle était la durée des contrats d'obligation d'achat -, la question en cause est la survie de ce parc.

Grâce aux cogénérations, on économise à peu près 1,7 million de tonnes d'équivalent pétrole par an et on évite l'émission de 9,3 millions de tonnes de CO2. La conservation d'une part significative de la capacité de production électrique issue des cogénérations est essentielle pour trois raisons.

La première de ces raisons tient à la sécurité de l'approvisionnement électrique. Je rappelle que la cogénération est un outil qui ne dépend ni du vent ni du soleil, pas plus que de quoi que ce soit d'autre. C'est une production de semi-base, qui démarre le 1er novembre et s'arrête à la fin du mois de mars. Pendant cette période, la disponibilité est quasiment de 100 %. Il s'agit donc d'une production continue, prévisible, fiable.

J'en viens à la deuxième raison que j'évoquais précédemment. Le prix de la vapeur provenant de la production combinée d'électricité et de chaleur est compétitif. C'est la vapeur qui bénéficie en particulier de l'économie d'énergie primaire. La technologie en cause permet aux industriels qui récupèrent la vapeur ou aux bâtiments collectifs qui sont raccordés sur les réseaux de chaleur qui en profitent d'obtenir un prix compétitif pour ce qui concerne la chaleur et la vapeur. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous fais incidemment remarquer que 250 sites industriels qui emploient 30 000 personnes bénéficient aujourd'hui de la vapeur issue de la cogénération.

Il faut bien garder en mémoire qu'il n'est pas prévu de substituer la cogénération biomasse, qui fait l'objet d'un programme dans le cadre du Grenelle de l'environnement, à la cogénération gaz. L'objectif fixé lors du Grenelle est de porter à 2 300 mégawatts l'énergie électrique produite à partir de la biomasse, chiffre bien inférieur à la puissance actuellement disponible par le biais de la cogénération gaz. Mais la frilosité dont fait actuellement preuve le monde industriel à l'égard d'investissements de longue durée est telle que l'objectif du Grenelle ne sera pas facile à atteindre.

La situation présente est compliquée ; elle comporte deux cas de figures différents.

En premier lieu, les grosses cogénérations, de plus de 12 mégawatts, essentiellement installées sur des sites industriels, arriveront à échéance au plus tard en 2014. Elles sont menacées parce qu'elles ne disposent plus du soutien existant jusqu'à présent. Leur contrat d'obligation d'achat arrivant à terme, elles ne trouvent pas sur le marché libre une rémunération suffisante.

Certes, le ministre chargé de l'énergie a reconnu publiquement l'importance du sujet pour la sécurité électrique du pays, mais la solution envisagée, à savoir un appel d'offres par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, relatif à des capacités de production électrique, nous paraît complexe. En fait, il ne s'agit d'aider ces cogénérations que pour une période de trois ans parce que ces grosses machines trouveront leur place dans le dispositif prévu par la loi NOME, en particulier dans le marché de capacité, qui ne sera cependant effectif qu'en 2015.

L'alternative serait un dispositif de soutien transitoire par la CSPE, la contribution au service public de l'électricité, dont le coût serait extrêmement limité - 50 millions d'euros par an -, sans aucune commune mesure avec le coût antérieur du financement des obligations d'achat des cogénérations qui s'élevait à 700 millions d'euros et avec le coût total de la CSPE qui devrait atteindre 5,5 milliards d'euros à l'horizon de 2015.

En second lieu, les petites cogénérations, de moins de 12 mégawatts, concernent plutôt les réseaux de chaleur. Elles peuvent être reconduites sur un contrat d'obligation d'achat. Mais en pratique ce renouvellement est très difficile. En effet, l'annonce régulière par le ministère de sa volonté de dégrader la rémunération électrique de ces installations décourage les investisseurs. Par ailleurs, l'énergie thermique récupérée sur ces cogénérations pourtant vertueuse n'est pas reconnue comme telle en France. Ainsi, la chaleur d'un réseau alimenté à plus de 50 % par des énergies renouvelables ou de récupération - par exemple, sur une usine d'incinération - bénéficie d'une TVA à 5,5 %. Mais tel n'est pas le cas si ce pourcentage est atteint avec une partie de la chaleur issue d'une cogénération gaz.

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