Non, nous savons que le problème existe. Nous ne nous en sommes pas préoccupés et nous n'avons pas étudié ces questions.
Nous avons cependant examiné de près la situation de deux pays, puisque nous avons auditionné des représentants du ministère de l'énergie britannique et du ministère de l'énergie allemand. Il s'agit de deux cas un peu antinomiques puisque, dans un pays, on veut refaire du nucléaire et, dans l'autre, on veut en sortir.
Avec les spécialistes de RTE, nous avons examiné les effets induits, par exemple en Pologne ou en République tchèque. En effet, quand il y a trop d'électricité dans le nord de l'Allemagne, comme il n'y a pas assez de lignes pour la transporter du nord vers le sud, les Allemands sont obligés de passer par la Pologne, par l'Autriche, puis ils remontent vers le sud de l'Allemagne. Cela peut poser des problèmes aux pays limitrophes de l'Allemagne, donc, demain, également à la France. Pour faire simple, les Allemands ont intérêt à avoir des interconnexions de plus en plus fortes, mais je ne suis pas absolument certain que ce soit l'intérêt de tous les pays limitrophes.
J'en viens au prix de l'électricité. Je rappelle que, dans le rapport que nous avons rédigé, nous nous sommes avant tout préoccupés du coût « sortie centrale », c'est-à-dire du coût complet du kilowattheure. Je rappelle, car c'est important et nous y insistons beaucoup dans le rapport, que, le prix de l'électricité qu'acquitte le consommateur final domestique correspond, pour 40 % au coût du kilowattheure, pour 35 % aux péages d'accès aux réseaux - distribution, 25 %, et transport, 10 %. Les 25 % restants correspondent à des taxes et à la CSPE. Notre mission consistait avant tout à regarder le coût du kilowattheure « sortie centrale ». Pour les réseaux, on part de l'hypothèse que c'est la CRE qui fixe les tarifs : en fait, elle donne son avis et c'est le ministre qui décide. Pour la CSPE, c'est la même chose ; j'aurai l'occasion d'y revenir à propos des énergies renouvelables.
Bien sûr, pour le prix de l'électricité, nous avons conscience que les péages d'accès aux réseaux risquent d'augmenter si l'on fait plus de réseaux, surtout si l'on enfouit les réseaux de distribution, car il s'agit d'une opération coûteuse. La France a un effort à accomplir dans ce domaine-là : il faut moderniser les réseaux. Par conséquent, on ne s'attend pas à une chute des péages d'accès aux réseaux, d'autant que la CRE est assez vigilante sur ce sujet : elle fixe des péages qui couvrent les coûts, notamment ceux des investissements nouveaux.
J'en viens aux taxes. La CSPE pose évidemment problème. Presque la moitié de cette contribution est destinée à couvrir les surcoûts liés à l'aide aux énergies renouvelables ; une partie sert à la péréquation spatiale des tarifs avec les départements d'outre-mer, une autre, plus petite, concerne la cogénération.
Le tarif de première nécessité pour les ménages en situation de précarité représente seulement 2 % de la CSPE. C'est vraiment très modeste. Ce sont donc bien les surcoûts qui posent difficulté et non ces aides.
Pour les énergies renouvelables, le surcoût est relativement élevé et il a eu tendance à s'accroître. Fort heureusement, les aides qui ont été attribuées ont été revues à la baisse, car cela a entraîné des effets d'aubaine assez importants.
Le surcoût est difficile à déterminer ex ante, car il dépend du prix du marché. Je viens d'expliquer que le coût du kilowattheure représentait 40 %, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il est constitué du kilowattheure français - c'est la base - et de ce que l'on appelle le « complément marché », c'est-à-dire le kilowattheure qu'il faut acheter aux heures de pointe sur le marché. En général, il s'agit du marché européen : c'est du kilowattheure thermique provenant d'Allemagne ou d'ailleurs. Il dépend du thermique, c'est-à-dire du prix du pétrole et du prix du gaz.
On ne sait pas très bien comment évoluera ce coût ; on fait l'hypothèse qu'il va plutôt augmenter. Le surcoût des énergies renouvelables, c'est la différence entre ce prix du marché et le prix auquel on rachète. Évidemment, cela peut fluctuer.
Ces derniers temps, le surcoût a fortement augmenté, puisque la CSPE est passée de 4 euros à 9 euros. À partir du mois de juin prochain, elle passera à 10 euros ou à 10,50 euros. La CRE estime même qu'elle devrait être aux alentours de 13 euros. EDF se plaint qu'une partie du surcoût reste à sa charge, même si, quand elle vend du renouvelable, elle profite du système.
Il est certain qu'il faut plutôt s'attendre à une hausse. Même si cette question n'entrait pas directement dans notre champ de compétences, nous avons néanmoins fait observer qu'aider les énergies renouvelables était une bonne mesure. Toutes les énergies ont été aidées. Cependant, si les énergies renouvelables le sont durablement, cela peut poser problème. La question qui se pose est la suivante : faut-il maintenir le système actuel ou envisager d'autres systèmes ? J'aurai peut-être l'occasion d'y revenir.
Concernant le coût de l'électricité elle-même, nous avons fait l'hypothèse que le complément marché allait augmenter un peu. L'avantage du nucléaire, c'est que cela permet une relative stabilité du coût « sortie centrale ». C'est un élément fort, qui explique le différentiel de prix entre la France et l'Allemagne, par exemple, ou même la moyenne européenne.
Est-ce que les prix reflètent les coûts ? À cette question, j'aurais tendance à répondre : à peu près.
En France, depuis qu'EDF a mis en place le système de la tarification coût marginal pour les industriels, en 1956, puis pour les particuliers, en 1965, les prix de l'électricité reflètent à peu près les coûts. On ne peut pas dire que ce soit en permanence le cas : la CRE formule de temps en temps des observations, notamment lorsque le ministère n'autorise pas l'augmentation qui aurait été souhaitable, pour des raisons qui tiennent par exemple à la lutte contre l'inflation.
Il n'en reste pas moins que, globalement, en France, les tarifs de l'électricité reflètent assez bien les coûts, avec une nuance sur la CSPE, qui n'est peut-être pas totalement intégrée dans le tarif. Pour ma part, je considère que la politique tarifaire est bonne de ce point de vue. D'ailleurs, la politique de tarification fondée sur les coûts marginaux est, à mes yeux, un très bon système.
Cela m'amène à l'ARENH, qui constitue un sujet important. Pour avoir eu l'honneur de participer aux commissions Champsaur, je ne peux pas ne pas répondre que l'ARENH est un bon système ou que le montant de 39 euros est pertinent !
Après la publication du rapport de la Cour des comptes, certains ont fait observer que les chiffres de la Cour des comptes ne coïncidaient pas avec l'ARENH. C'est logique, car il s'agit de deux choses différentes. La Cour des comptes a examiné les chiffres que lui a transmis EDF. Elle a donc d'abord observé qu'il n'existait pas de coûts cachés, même s'il restait des incertitudes sur certains coûts, notamment les coûts de démantèlement. C'est normal puisque ce sont des coûts à venir que l'on ne connaît pas bien ; je pense, par exemple, aux coûts de gestion des déchets. En revanche, sur les coûts passés, on arrive à peu près à reconstituer ce que l'on a dépensé.
La Cour des comptes estime que 49,5 euros le mégawattheure correspond à une bonne estimation de ce qu'a coûté le programme nucléaire actuel, c'est-à-dire le parc nucléaire actuel.
J'insiste bien sur le fait qu'il s'agit aujourd'hui du coût du passé. Si, demain, la France veut réinvestir, il faudra que le prix de l'électricité anticipe les investissements nouveaux. La politique menée dans le passé par EDF est d'ailleurs bonne : elle a consisté à établir la tarification sur la base de ce que l'on appelle le « coût en développement ». Cela revient à anticiper les investissements nécessaires et à répercuter par avance une partie des coûts dans les tarifs. En effet, il ne faut pas faire payer à la génération actuelle tous les coûts futurs, mais il ne faut pas non plus laisser à la génération future tous les coûts. C'est donc un bon système.
Pour l'instant, la question ne se pose pas puisqu'il ne faut pas renouveler les réacteurs. Elle se posera lorsqu'il faudra le faire. Dès lors, le prix de l'électricité devra augmenter. Mais ce ne sera que dans dix, quinze ou vingt ans, selon les choix qui seront faits par le politique.
Le coût actuel - 49,50 euros - est donc un coût moyen qui reflète assez bien ce qu'a coûté le programme nucléaire.
Pour l'ARENH, c'est complètement différent. Cela répond à une logique qui consiste à calculer le coût du parc actuel, par mégawattheure, pour EDF, en sachant qu'une partie importante des investissements a déjà été récupérée. Il ne faut pas que le consommateur français paie deux fois.
Lorsque la commission Champsaur 2 a calculé l'ARENH, elle a examiné, sur la base de la comptabilité - c'est un coût comptable -, ce qui avait été amorti et ce qui restait. Elle a donc procédé à un calcul prospectif sur la partie résiduelle, c'est-à-dire les quinze ans restants sur les quarante ans, puisque les calculs se fondent sur cette durée, en tenant compte de ce qui a déjà été payé. Elle est parvenue à 33 euros le mégawattheure. Elle y a ajouté le montant des « investissements de jouvence », de l'ordre de 5 euros à 6 euros, puisqu'il va falloir prolonger le parc et l'anticiper dès maintenant, et a abouti à 39 euros.
En fait, la commission Champsaur a proposé au ministre entre 38 euros et 40 euros, parce que l'on ne pouvait pas dire que l'on était à 39 euros exactement. Le rapport a été remis au moment de Fukushima et le ministre a estimé que, dans la mesure où des dépenses supplémentaires devraient probablement être engagées à cause de la sûreté, il valait mieux prévoir 40 euros en 2011 et même 42 euros en 2012. C'est une décision politique. On n'est pas très loin du chiffre proposé. D'ailleurs, le ministre l'a dit : le Gouvernement s'appuie sur le rapport Champsaur 2 pour fixer le tarif.
Il est impossible de comparer les 39 euros ou les 42 euros de l'ARENH aux 49,50 euros de la Cour des comptes. On ne parle pas de la même chose ! Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui, dans les tarifs régulés de vente, le TRV, de prendre 49,50 euros pour fixer le tarif.
N'oublions pas que le fameux tarif de 42 euros a pour but de permettre aux concurrents d'EDF de jouer à armes égales. On peut évidemment discuter de la logique de la loi NOME, mais elle répondait bien à cet objectif. Du fait des prix internationaux et des prix européens plus élevés, les concurrents d'EDF, qui n'ont pas la chance d'avoir un programme nucléaire, se trouvent dans une situation plus difficile, car leur prix de revient est plus élevé.
Il y a deux solutions : soit on considère qu'il existe une rente de rareté du nucléaire, dont profite EDF, et l'État peut éventuellement prélever la rente et, éventuellement, la redistribuer aux consommateurs ; soit on autorise les concurrents à se « sourcer » pour partie, à condition que ce soit pour alimenter les consommateurs français, sur la base du nucléaire français, à concurrence de 25 %, mais aux conditions auxquelles cela revient à EDF. Bien sûr, pour le consommateur, le coût s'établit à 49 euros le mégawattheure, mais EDF a déjà récupéré une partie de la mise.
Il est donc logique de prendre 42 euros pour fixer le tarif. Pour EDF, ce n'est pas une mauvaise affaire, parce qu'il y a une rentabilité du capital. Le rapport Champsaur précise clairement que la décomposition des différents éléments montre qu'est pris en compte ce qui a été amorti et qu'est introduite une rentabilité du capital, ce qui est tout à fait légitime pour un investisseur. On aboutit alors à un montant de 40 euros à 42 euros le mégawattheure.
Le montant actuel de l'ARENH - 42 euros - doit-il augmenter ? Le système est en principe prévu jusqu'en 2025. Ce tarif comprend une partie des dépenses d'exploitation, les OPEX, c'est-à-dire une partie des coûts de fonctionnement. Par conséquent, on peut supposer qu'il y aura de l'inflation. La seule chose que l'on pourrait considérer, c'est que, sur les 42 euros, à peu près 25 euros ou 26 euros correspondent à des coûts de fonctionnement. C'est peut-être sur ces coûts particuliers qu'il faudrait, chaque année, tenir compte de l'inflation, aux alentours de 1,5 % ou de 2 %.
Pour autant, rien ne justifie de porter l'ARENH à 49,50 euros. Cela répond à deux visions tout à fait différentes ; il n'y a donc pas de contradiction. D'ailleurs, la Cour des comptes le dit très bien : dans un cas, il s'agit du coût pour le consommateur à l'instant t ; dans l'autre, du coût pour EDF aujourd'hui, sachant qu'une partie a déjà été récupérée.