Intervention de Géraud Guibert

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 13 janvier 2022 à 9h30
Audition de M. Géraud Guibert président de la fabrique écologique

Géraud Guibert, président de La Fabrique écologique :

Nous nous réjouissons vivement de la réflexion engagée par la mission d'information sénatoriale sur ce sujet essentiel, malheureusement relativement en dehors des radars du débat public. Nous l'avons abordé dans le cadre d'un think tank sous des angles différents et de façon dispersée. Cette audition nous donne l'occasion de rassembler nos réflexions sous un aspect plus structurel et général.

Vous l'avez rappelé à juste titre, La Fabrique écologique est une fondation pluraliste et transpartisane, dont l'objectif est de déboucher sur des mesures très concrètes. Nous avons en effet souvent le sentiment que des réflexions générales utiles ne sont pas suivies d'effets.

La sécurité sociale vise à garantir à tous les individus certains risques sociaux - santé, vieillesse, etc. -, selon des mécanismes de solidarité et des risques affectant directement les êtres humains, et non leurs biens ou leur environnement. Or les évolutions en cours sont telles que le cadre de vie et l'environnement influent de plus en plus sur la santé et la capacité à avoir une vie satisfaisante. D'où l'importance d'une sécurité sociale écologique dans ce contexte. Quant à la transition écologique, c'est une exigence majeure sur laquelle nous n'avons pas un temps infini pour agir. Face à ce qui nous attend en termes de climat, de biodiversité ou de santé, les virages doivent être pris au cours de cette décennie. Pour ce faire, le lien entre ces deux sujets doit être envisagé différemment, avec la nécessité d'être très précis pour éviter les concepts généraux.

Pourquoi ce sujet est-il important ? Parce que la crise écologique a un impact quotidien sur la sécurité sociale : l'aggravation des problèmes de santé - pollution de l'air, canicule -, et son corollaire, l'augmentation des prestations d'assurance maladie. Depuis une trentaine d'années, les pays occidentaux connaissent une diminution régulière de leur croissance et, partant, une moindre augmentation des ressources. À ce propos, je souhaiterais développer le lien entre la croissance et la sécurité sociale. Nous n'avons jamais été favorables à la décroissance, mais nous estimons qu'il ne faut pas tout sacrifier à la croissance. La question de l'équilibre de la sécurité sociale se pose, car on ne pourra plus conserver une stratégie d'investissements polluants juste pour arriver à un meilleur équilibre des finances publiques, comme on le fait depuis trois décennies. Enfin, la crise écologique a un impact sur la gestion même de la sécurité sociale, qu'il s'agisse des bâtiments, du personnel ou encore de l'achat du matériel numérique. Il faut examiner de près les progrès en matière de durabilité que peut consentir la sécurité sociale.

L'importance de ce sujet tient essentiellement à deux facteurs nouveaux qui vont bouleverser la protection sociale.

Premièrement, la crise globale, mondiale, entraîne des conséquences imprévisibles et déstabilisantes pour notre système économique. Le XXIe siècle sera celui des crises globales, à commencer par le covid. S'ensuivront des défis liés au climat et à la santé, avec la déstabilisation de la sécurité sociale. À cet égard, une réflexion doit être menée, car le « quoi qu'il en coûte », c'est-à-dire l'ouverture massive des finances publiques, ne pourrait pas être une réponse systématique si ces crises se multipliaient.

Deuxièmement, la logique de l'accumulation des faibles doses et de leur effet sur la santé. En dépit des opinions divergentes sur ce point, nous avons aujourd'hui une bien meilleure connaissance des conséquences pour notre organisme de l'accumulation de produits polluants, qu'il s'agisse de pesticides, de sucres, de la radioactivité, des particules fines, etc. L'effet n'est pas directement observé, mais se vérifie en quelques années, avec l'apparition de maladies très graves, telles que des cancers ou des affections cardiovasculaires. La diffusion de ce phénomène, beaucoup mieux connu aujourd'hui présente deux grandes caractéristiques : d'une part, il est peu perceptible immédiatement et moins facile à prendre en compte ; d'autre part, il affecte directement une bonne partie du système économique. Ces deux évolutions majeures exigent de mieux traiter ces situations avec une notion élargie de la santé publique, intégrant notamment la manière de gérer les événements extrêmes et les faibles doses.

Quelles sont les conséquences pour l'action publique ?

Il faut d'abord avoir une vision élargie de la sécurité sociale écologique, plus exactement de la sécurité écologique. En effet, les risques classiques sont concernés par la crise écologique, mais pas forcément pris en charge par la sécurité sociale elle-même. Les pertes massives de récoltes ou les inondations, par exemple, ne relèvent pas de la sécurité sociale ; toutefois, le revenu des agriculteurs a fait l'objet d'une réforme récente, et le dispositif de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle repose sur la puissance publique. La sécurité sociale écologique doit donc être élargie à d'autres mécanismes de solidarité et de protection des individus. Il n'est pas utile de placer tous ces dispositifs sous la tutelle d'un même organisme. En revanche, une réflexion globale sur la sécurité écologique s'impose.

Si l'on prend en compte ces deux évolutions majeures, la soutenabilité financière de l'ensemble des dispositifs pourrait être remise en cause. Nous n'en sortirons qu'en ayant conscience que l'État ne peut pas tout faire. Se pose alors la question de la contribution de certaines catégories de la population, non pas aux soins ou aux indemnisations qu'elles peuvent recevoir, mais à l'équilibre financier du système. Par exemple, les populations qui habitent le long du littoral - plusieurs dizaines d'habitations se trouvent en dessous de la « cuvette de la mort » dévastée par la tempête Xynthia - devront inexorablement être déplacées un jour. Or si c'est l'État qui finance l'ensemble des déménagements, nous serons confrontés à une impasse budgétaire. Il importe, non pas de diminuer l'indemnisation en cas de sinistre, mais d'assurer une meilleure viabilité du système, en faisant contribuer les propriétaires au dispositif CatNat.

Dans tous les domaines, la prévention et la résilience ont une importance majeure. À l'heure actuelle, les actions de prévention sont dispersées, peu lisibles, et faiblement prises en charge par les pouvoirs publics - l'épisode récent des masques le démontre. Ce sujet doit être davantage pris en compte politiquement. Pour ce faire, nous proposerons que soit créé un ministère de la prévention et de la résilience en vue de la sanctuarisation de moyens affectés à une mission budgétaire spécifique. Nous préconisons également qu'un débat public ait lieu tous les ans à l'Assemblée nationale et au Sénat pour donner une lisibilité à cette priorité politique et éviter les impasses budgétaires majeures. Plutôt que de polluer, puis de payer en guise de compensation, il serait plus malin d'agir en amont.

Nous appelons de nos voeux une nouvelle conception de la prévention qui remplace les outils court-termistes comme les diagnostics préalables. Agir contre le cancer ou les maladies cardiovasculaires est évidemment primordial, mais il faut aussi, à moyen terme, éliminer les causes de ces phénomènes. Une telle conception doit s'appliquer à la prévention mise en oeuvre par les organismes de protection sociale. Et cela suppose d'agir pour une politique intégrée de santé, selon le concept de One Health, dont on parle depuis quelque temps et qui est indispensable pour éviter de nouvelles crises sanitaires.

Ensuite, il faut envisager de conduire une politique d'action pour le nouveau modèle de développement, notamment sur différents aspects de santé publique. Nous croyons beaucoup à la carte de fidélité et de solidarité écologiques, qui devrait intéresser les grands distributeurs. Les points accumulés lors d'achats de produits propres serviraient à des achats similaires. L'État pourrait abonder cette carte pour les faibles revenus. Cette mesure structurelle aurait l'avantage d'orienter la consommation vers les produits sains, de s'adresser à tous, et de constituer une solution pérenne - le chèque alimentaire ne peut à lui seul faire évoluer les modes de consommation.

Par ailleurs, il faut agir de manière plus efficace sur les grands enjeux de la transition écologique que sont le climat et la biodiversité. De ce point de vue, le débat public est assez pauvre. Le problème n'est pas exclusivement lié aux financements, aux technologies nouvelles ou aux comportements. Ceux-ci doivent bien sûr changer, mais ils ne suffiront pas. Pour disposer d'une politique de prévention plus active, il convient d'agir sur l'organisation même de la société. Alors que les transports participent fortement à la pollution de l'air, curieusement personne n'évoque la nécessité de rapprocher les différents lieux de vie - domicile, travail, loisirs, commerces. Ce sujet n'est pas traité, alors qu'il est essentiel. De plus, très peu de mesures sont prises en faveur de la nouvelle économie écologique, en particulier l'économie circulaire et de proximité, alors que c'est l'avenir. Il en est de même également pour l'orientation des investissements, par exemple via le prix du carbone. Et quid de l'intervention citoyenne ? Les personnes sont intéressées par leur santé, leur environnement, mais ces questions ne sont pas à traiter de manière uniforme et elles doivent être davantage prises en charge par les territoires.

En somme, ce que j'appellerais la nouvelle sécurité écologique est une exigence majeure des prochaines années et des prochaines décennies.

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