Les retombées économiques d'une grande infrastructure ou d'une manifestation dans un bassin économique local viennent des dépenses des spectateurs non locaux, qui constituent une injection nette de ressources. Or, dans le cas des stades, ces dépenses sont faibles - contrairement à l'organisation d'événements tels que les Jeux olympiques, le Tour de France ou un tournoi du grand chelem - et la retombée économique est très limitée. Un stade ne crée qu'un petit socle d'emplois en sus d'une éventuelle équipe professionnelle résidente. Il est illusoire de penser qu'édifier un stade est en soi un investissement à haut rendement. Cependant, pour une ville, cette édification répond à un espoir de rentabilité immatérielle, en termes d'image de marque et de cohésion sociale autour de l'identification de la population locale à une équipe sportive. La quantification de ce rendement immatériel est difficile, mais comme le bénéfice existe, il rend légitime le financement public des stades.
Ce financement est indissociable de la préservation d'une spécificité des ligues de sport professionnelles en Europe, celui de promotion et relégation, qui garantit l'ancrage géographique des clubs. Le spectateur français est très attaché au principe de méritocratie sportive attachée à un territoire, selon lequel les clubs « naissent libres et égaux en droit », et où de petites villes accèdent au plus haut niveau, comme Boulazac pour le basket, et Guingamp pour le football. Mais le système de promotion-relégation ne sécurise pas les entreprises que sont les clubs professionnels. Comme l'indique le rapport du Sénat sur le financement public des infrastructures, une limitation des relégations pourrait atténuer cet aléa sportif, mais la légitimité du financement public des stades serait diminuée d'autant.
Ces questions sont au coeur des choix opérés par les ligues européennes, où l'Espagne et la France représentent deux extrêmes : Barcelone et Madrid dominent outrageusement en Espagne, alors que le championnat de France a sacré six clubs en six ans. Avec une répartition ciblée des droits télévisuels et par l'absence de mécanisme de restauration de l'équilibre compétitif, la ligue peut favoriser l'émergence de titans qui accaparent les titres ou favoriser l'équité par des plafonds salariaux et une répartition des revenus de retransmission, billetterie ou merchandising.
La légitimité du financement public est d'autant plus grande qu'elle donne sa chance à chacun. On pourrait objecter que, se réalisant dans un cadre essentiellement local, ce financement peut conduire à une compétition entre les territoires. Argument pertinent quand on considère les constructions récentes et inutilisées de Grenoble, du Mans ou de Sedan. Chaque ligue doit placer le curseur entre un système fermé, sur le modèle nord-américain, où le financement public est exclu, et un système de promotion et relégation avec un système de rééquilibrage des recettes, qui rend légitime un financement public substantiel. Les ligues doivent clairement assumer ces choix. Si l'option d'un système ouvert est prise, il faut cependant limiter le financement public, car le sport reste un spectacle commercial. Il est difficile de fonder économiquement des plafonds, car la littérature scientifique sur les notions de welfare entre committed fans et uncommitted fans est encore balbutiante. Les seuils maximaux de financement public pourraient être de 50 % si 15 % des équipes étaient reléguées, et 16,6 % si 5 % étaient reléguées.
Si l'on s'intéresse au modèle économique des stades au sens strict, l'édification d'un stade ne peut être un investissement à haut rendement. Toutefois, les expériences allemande et américaine montrent qu'un stade peut être une zone de vie et d'activité plus importante si l'on favorise le divertissement familial, un environnement apaisé et des horaires non dictées par les impératifs de retransmission télévisée. En 2012, pour ne pas concurrencer la retransmission d'un match de ligue 1 le vendredi soir, ceux de ligue 2 avaient été décalés à 18 heures puis à 18 h 45, d'où une chute de fréquentation de 10 à 20 %.
Quant à la forme juridique des dispositifs de financement par les collectivités locales, j'approuve la mission de contrôle du Sénat qui a recommandé aux futurs propriétaires d'analyser la rentabilité de l'équipement en projet selon un scénario résolument pessimiste.