Intervention de Catherine Deroche

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 27 janvier 2022 à 10h30
Audition de représentants de formes d'exercice regroupé : dr pascal gendry président d'avenir des équipes coordonnées avecsanté dr claude leicher président de la fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé cpts et dr hélène colombani présidente de la fédération nationale des centres de santé

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Vous représentez différentes formes d'exercice, les unes déjà anciennes, les autres plus récentes, qui ont en commun de participer à la structuration de l'offre de soins sur les territoires. Comme l'a indiqué Bernard Jomier, ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est d'évoquer avec vous les interactions entre votre domaine d'intervention et le secteur hospitalier.

Le recours à l'hôpital est parfois une solution par défaut, comme l'illustre l'activité croissante des urgences. De même, les conditions ne sont pas toujours réunies pour garantir le bon suivi des patients en sortie d'hospitalisation. Nous pourrons ainsi évoquer avec vous les conditions d'accès aux soins primaires et la question de la permanence des soins. Nous souhaitons également connaître votre regard sur les difficultés actuelles du système hospitalier et voir avec vous dans quelle mesure vous pouvez contribuer à les réduire, en construisant une meilleure organisation territoriale des soins.

Docteur Pascal Gendry, président d'Avenir des équipes coordonnées (AVECsanté). - Je vous remercie de votre invitation. Mon profil est un peu atypique, puisque je suis médecin généraliste en zone très rurale et que j'exerce aussi en libéral dans un hôpital de proximité. Je participe également au fonctionnement d'un groupement hospitalier de territoire (GHT).

De manière liminaire, il faut bien avoir conscience, vous l'avez dit, que ce qui se passe en ville a un impact sur l'hôpital et réciproquement, tant pour l'aval que pour l'amont. De plus, l'hôpital, même en crise, reste très performant en France - nous devons là aussi en être conscients - et nous avons besoin de cette qualité, parce que les patients sont de plus en plus âgés et précaires et que les maladies chroniques se développent.

Il existe des tensions que je qualifierai de réciproques. L'hôpital connaît des tensions démographiques, des services ferment et des lits disparaissent, ce qui pose des difficultés pour nous, à la fois lorsque nous adressons des patients et lorsque nous récupérons des patients qui ne sont pas entièrement stabilisés. Nous pouvons donc être une variable d'ajustement des tensions hospitalières. De notre côté, nous avons aussi des problèmes démographiques, ce qui peut notamment entraîner des difficultés à la sortie de l'hôpital en termes d'offre de soins.

Comment assurer la continuité des prises en charge dans ce contexte de tensions ? Beaucoup de travail reste à faire en la matière, notamment pour mieux anticiper. Même quand une hospitalisation est programmée, les conditions du maintien à domicile après le séjour à l'hôpital ou en soins de suite et de réadaptation (SSR) ne sont pas toujours anticipées.

Or je crois qu'il est tout à fait possible de mieux organiser les relations entre la ville et l'hôpital. Deux exemples concrets : durant l'épidémie de covid, les pharmacies hospitalières ont rendu d'énormes services aux professionnels de santé de ville ; des consultations avancées de la part de spécialistes hospitaliers sont parfois disponibles dans nos structures.

Pour autant, nous rencontrons plusieurs difficultés.

Les équipes de soins primaires sont là pour assurer la coordination du parcours des patients, mais il arrive que des patients nous « échappent » pendant une certaine durée : c'est par exemple le cas pour ceux pris en charge en néphrologie ou en cancérologie. Ainsi, les hôpitaux « captent » des patients qui vivent pourtant chez eux et nous n'avons pas nécessairement toutes les informations à leur sujet, alors que nous les voyons régulièrement soit pour une autre pathologie, soit en cas de crise aiguë. J'ajoute que le développement des nouvelles technologies va certainement amplifier ce phénomène : ainsi, la télésurveillance ne s'organise pas toujours en coordination avec les professionnels en ville. Pour simplifier, je dirais que l'hôpital débarque à la maison, mais sans qu'il y ait une articulation optimale avec les autres professionnels du territoire.

Une autre difficulté est la méconnaissance que les uns ont des autres. La notion d'équipe de soins primaires, qui nous est chère, n'est pas toujours connue à l'hôpital qui raisonne d'abord en termes de médecin traitant. Or le patient qui sort de l'hôpital a souvent besoin d'une prise en charge par une équipe - médecin, pharmacien, infirmier, masseur-kinésithérapeute...

Nous avons aussi des difficultés de communication. Chacun connaît des histoires de lettres de sortie qui n'arrivent pas, mais c'est aussi le cas dans l'autre sens pour le volet médical de synthèse. Nous devons travailler ensemble pour améliorer les choses. Il est par exemple difficile d'obtenir un avis spécialisé, parce que chaque service hospitalier a son propre parcours et qu'il est difficile pour nous de nous y retrouver. Il faut donc réfléchir à la mise en place de cellules de coordination internes à l'hôpital auxquelles les professionnels de ville pourraient s'adresser. Il ne s'agit pas seulement de mettre en place une messagerie sécurisée, mais d'identifier des personnes qui peuvent répondre de manière réactive aux demandes.

Il en est de même dans l'autre sens : les hospitaliers doivent identifier facilement une personne qu'elles peuvent contacter dans nos structures et qui est spécifiquement chargée de faire cette interface, notamment pour faciliter les sorties des patients. Cela permettra aussi, de notre point de vue, de libérer du temps médical. Nous devons structurer nos équipes dans ce sens. Nous avons besoin de structures solides avec des systèmes d'information adaptés et interopérables.

Enfin, je mentionnerai l'importance de la fluidité des parcours et la nécessité de produire des efforts en termes de formation, tant en ville qu'à l'hôpital, afin de changer nos cultures et d'éviter les cloisonnements.

Docteur Claude Leicher, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé. - Médecin généraliste, je travaille dans une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) depuis 2003 et nous sommes en CPTS depuis 2020. En 2002, j'ai participé à la création des maisons médicales de garde.

La crise de l'hôpital était prévisible ! Chacun a pu la voir venir depuis de nombreuses années ; elle prend notamment sa source dans l'accès direct aux services d'urgence. D'ailleurs, pendant longtemps, on a privilégié l'expression urgence plutôt que celle de soins non programmés. Nous portons aussi notre part de responsabilité dans cette situation.

Pour autant, cette crise n'est pas seulement celle de l'hôpital ou, de manière un peu plus large, celle de notre système de soins, elle est d'abord celle de notre système de santé. C'est d'autant plus important de faire ces distinctions que nous changeons de période, comme la crise actuelle le montre. Le système est en train de se transformer, mais il est vrai que cela prend du temps.

Aujourd'hui, l'hôpital sert de vase d'expansion pour toutes les demandes qui soit sont vues comme urgentes, soit n'ont pas obtenu une autre réponse. D'ailleurs, les maisons médicales de garde sont elles-mêmes devenues des lieux de consultation pour des gens qui ne trouvent pas de réponse auprès des professionnels de ville, notamment pour ceux qui ne trouvent pas de médecin traitant : elles fixent des rendez-vous et il n'y a parfois plus de disponibilités sans rendez-vous...

Depuis 1958, la France a investi dans les hôpitaux, qui sont aujourd'hui de très grande qualité.

Je rappelle que notre métier tourne autour du patient. Avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) arrive le temps de ce qu'on appelle la responsabilité populationnelle. Elles proposent des solutions qui concernent l'ensemble de la population.

Nous avons arrêté de projeter le modèle hospitalier à l'extérieur de l'hôpital ; je prends l'exemple des réseaux par spécialité - cardiologie, addictologie, périnatalité, etc. - qui ne servaient à rien : sur les 2 millions de diabétiques, il y en avait entre 100 000 et 150 000 qui étaient inscrits dans les réseaux de diabétologie... Aujourd'hui, les dynamiques sont différentes et ce sont les médecins généralistes et les structures de ville qui, dès le soin primaire, s'intéressent à des questions qui auraient auparavant été traitées par des spécialistes - c'est par exemple le cas, lorsque nous sommes attentifs aux risques d'obésité chez l'enfant.

Jusqu'à présent, notre responsabilité populationnelle n'était pas gérable, mais elle le devient avec le développement des structures d'exercice coordonné ou regroupé et celui des équipes de soins primaires et, plus récemment, des équipes de soins spécialisés.

En ce qui concerne les conditions de prise en charge des patients, notre CPTS a mis en place depuis deux ans une cellule de coordination ville-hôpital, notamment pour mieux organiser les sorties des patients. C'est un sujet très important et il nous faut anticiper les choses pour que la prise en charge soit prête, lorsque le patient rentre chez lui. Souvent, on nous demande de mettre les choses en place, alors que le patient est déjà chez lui. Cette coordination et cette anticipation sont facilitées par les nouvelles technologies - groupes de discussion, etc. À Valence, nous avons aussi mis en place une inter-CPTS qui regroupe plusieurs CPTS autour de l'hôpital de Valence.

Les difficultés dans l'articulation entre la ville et l'hôpital sont le premier sujet de préoccupation des CPTS. C'est aussi le lieu de l'articulation entre les soignants et le médico-social. Si le système de santé n'est pas correctement connecté avec le médico-social, il ne peut tout simplement pas fonctionner. C'est pourquoi nous avons créé une commission des cas complexes avec le concours de l'hôpital. Nous prenons en charge à domicile des situations de plus en plus lourdes et complexes, mais nous pouvons faire mieux : aujourd'hui, des patients qui reçoivent de la chimiothérapie en ambulatoire en prennent parfois ensuite par voie orale, toujours en ambulatoire, et nous allons mettre en place un protocole avec le centre Léon Bérard de Lyon pour prendre en charge certains de ses patients.

Comment voyez-vous concrètement l'organisation des cellules de coordination que vous avez évoquées ?

À partir de vos expériences respectives, quelles sont vos propositions pour désengorger l'hôpital de la prise en charge des soins non programmés ? Je suis d'ailleurs surprise d'entendre que les maisons de garde proposent des rendez-vous... Quelles sont vos propositions en ce qui concerne la permanence des soins ?

Dans certains pays, certains cabinets de ville pratiquent des actes de petite chirurgie. Qu'en pensez-vous ?

Lors de nos auditions, on nous dit souvent qu'il faut mettre tout le monde autour de la table à l'échelle d'un territoire - professionnels de ville, de l'hôpital et du médico-social. Est-ce possible ? Comment voyez-vous les choses ?

Docteur Claude Leicher. - Les cellules de coordination ville-hôpital sont un axe central de travail pour les CPTS, qui disposent de la légitimité sur le territoire.

Mais il n'y en a pas partout.

Docteur Claude Leicher. - En effet, mais aujourd'hui il y en a presque 800, en incluant celles qui sont en train de se mettre en place, ce qui fait quand même une très bonne couverture de la population. J'avais proposé la création des CPTS en 2012 à Marisol Touraine, alors ministre de la santé, justement parce qu'il n'existait pas de lieu où les professionnels de ville pouvaient se coordonner et discuter ensemble avec les responsables hospitaliers. Les cellules de coordination doivent être vues comme une interface. Nous nous saisissons de la totalité des sujets qui sont sur la table.

En ce qui concerne les soins non programmés, je veux d'abord rappeler que la très grande majorité des médecins généralistes, c'est-à-dire des médecins de premier recours, en prennent en charge tous les jours. C'est notre métier ! D'ailleurs, nous faisons en sorte de ne pas remplir entièrement notre carnet de rendez-vous pour nous donner de la souplesse et pouvoir accueillir des patients au dernier moment. Il arrive aussi que nous utilisions des plages dédiées à la permanence des soins pour prendre en charge des gens auxquels nous n'avons pas pu donner de rendez-vous dans la journée. Nous allons donc être certainement amenés à augmenter la taille des maisons médicales de garde pour prendre en charge de tels patients.

Ainsi, les soins non programmés sont loin d'être tous pris en charge par l'hôpital. Les médecins généralistes donnent chaque année 280 millions de consultations et les médecins spécialistes 100 millions, sans compter les actes techniques.

Docteur Pascal Gendry. - Les problèmes d'offre nous obligent parfois à coller des rustines - nous faisons comme nous pouvons ! Dans un monde idéal, les soins non programmés doivent être pris en charge par les équipes de soins primaires. Cela ne signifie pas nécessairement par un médecin généraliste ; nous devons travailler dans un cadre pluriprofessionnel à partir du moment où des protocoles sont en place, que les conditions de sécurité sont réunies et qu'il est possible de recourir à une consultation médicale en cas de besoin. Mais il faut que les équipes soient organisées pour cela et il faut qu'elles soient déployées en nombre sur le territoire.

Il est vraiment très important de mettre en place des cellules de coordination ville-hôpital, dans lesquelles une ou deux infirmières seraient chargées, au moins pendant les horaires de bureau, de répondre aux besoins des professionnels de ville. En effet, quand un médecin généraliste doit consulter dans des délais rapides un confrère spécialiste, c'est très difficile pour lui de savoir comment faire : la procédure sera différente selon les hôpitaux ! Il faut au minimum harmoniser les pratiques des hôpitaux.

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