Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous remercions de cette invitation.
Votre première question portait sur le moratoire international de l'UICN de septembre 2020 via la résolution 122. Cette dernière a été portée par plusieurs organisations internationales, notamment WWF International et l'UICN, mais le comité français n'en est pas à l'origine, même s'il la soutient, bien évidemment. Cette résolution demande un moratoire sur les nouveaux contrats d'exploration en zone internationale. On compte actuellement 31 contrats, qui ne sont pas concernés par le moratoire.
L'UICN a considéré que ces explorations ne présentaient pas assez de garde-fous pour la protection de l'environnement. Les premières activités datent des années 1980 et elles ont laissé des traces sévères sur les fonds marins.
Les 31 contrats en cours portent sur 1,3 million de kilomètres carrés et engagent sept pays - Chine, France, Allemagne, Inde, Japon, Corée du Sud, Russie -, ainsi que trois compagnies privées, canadienne, belge et britannique, ce qui laisse craindre un mouvement de monopolisation.
L'UICN voudrait surtout mettre au clair la distinction entre la recherche scientifique et les contrats d'exploration.
La recherche est censée se faire dans l'intérêt de l'humanité, dans un but pacifique. L'exploration, elle, intègre des considérations commerciales et ses résultats restent en principe confidentiels. Elle a pour but d'évaluer la richesse d'une zone en métaux et minerais, mais n'a pas pour vocation de protéger le milieu marin. Les contractants doivent cependant produire une étude d'impact en collectant des données environnementales.
Vous l'avez compris, avec l'exploration, l'objet est surtout commercial, et l'UICN se demande si ce mélange des genres est bien raisonnable, sachant qu'il n'y a pas de méthodologie. Les objectifs sont différents de ceux de la recherche ; les moyens et les équipes ne sont pas les mêmes.
Par ailleurs, dans le cadre de l'exploration, les données environnementales restent confidentielles jusqu'à quatre ans après la fin du contrat, délai au terme duquel le partage avec le public est possible. Vous comprenez qu'il puisse y avoir un doute sur l'utilisation de ces données.
L'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a tenté de mettre en place une plateforme recensant ces données, mais elle est encore très lacunaire.
Pour l'UICN, il importe de rééquilibrer le poids respectif de la recherche et de l'exploration.
La décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable, menée par la Commission océanographique intergouvernementale (COI) de l'Unesco, traite de la connaissance des fonds marins dans le cadre de la recherche scientifique marine, et non dans une optique d'exploration et d'exploitation. Or, les données des activités d'exploration ne sont pas prises en compte.
Cette décennie devait stimuler la recherche scientifique marine. Néanmoins, celle-ci demeure embryonnaire, car, depuis le début des négociations entre les États, et même pendant la troisième conférence des Nations unies sur le droit de la mer, qui date des années 1970, le partage public des données n'a pas eu lieu. Les négociations ont été dures : aujourd'hui, le consentement des États côtiers est requis pour mener des recherches sur leur plateau continental. À chaque demande de recherche, l'État côtier, et donc la France pour ce qui nous concerne, pourra s'opposer au projet de recherche scientifique marine. Il est donc difficile d'enrichir la connaissance des ressources naturelles du milieu marin, notamment la biodiversité du plateau continental.
Dans le cadre du plateau continental étendu, la recherche marine peut, elle aussi, être bloquée si des zones spécifiques n'ont pas été délimitées, même si une définition précise de telles zones n'existe pas.
Ces blocages sont préoccupants en cas de recherches scientifiques marines portant sur des écosystèmes connectés au plateau continental où se situent également des ressources naturelles. Ainsi en est-il des cheminées noires, qui abritent des ressources minérales et biologiques importantes. La recherche scientifique peut donc être considérablement freinée par la volonté d'exploitation d'un État.
J'en arrive à l'approche de précaution, également nommé principe de précaution. Au départ, cette notion faisait partie du droit « mou », car elle figurait dans la déclaration de Rio sur l'environnement de 1992. Ce principe a été progressivement inséré dans des instruments régionaux et inclus dans les obligations de diligence requise, terme juridique qui signifie que les États doivent tout faire pour remplir leurs obligations internationales.
En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitudes scientifiques absolues ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement. Comme les données environnementales, tant en termes de quantité que de qualité, sont insuffisantes, une telle approche permet d'éviter des impacts graves ou irréversibles.
Cette analyse des risques doit concerner les espaces géographiques verticaux et horizontaux. L'UICN a toujours défendu ce principe de précaution, notamment en publiant un Guide de mise en oeuvre en 2007. Ainsi, la Nouvelle-Zélande applique ce principe en développant des indicateurs très précis pour mesurer les risques d'effets dommageables.
Pour mener des études d'impact environnementales, des informations préalables sur les fonds marins sont nécessaires. Ces études doivent mesurer les risques éventuels, proposer de les diminuer, déterminer si ces risques sont acceptables. Le principe de précaution doit donc définir des indicateurs et des cibles précis et associer les parties prenantes, notamment les communautés locales, dont la place est essentielle en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Les activités d'exploration et d'exploitation envisagées doivent être examinées tant au niveau environnemental, social que culturel. C'est seulement à l'issue de ce processus assez lourd que l'autorisation des activités d'exploration et d'exploitation peut être envisagée.
La difficulté actuelle tient au fait que nous ne disposons que d'informations lacunaires et, souvent, confidentielles, dans la mesure où elles ont été récoltées dans le cadre de contrats d'exploration, et non à l'occasion de programmes de recherche scientifique marine. Des informations précises sont vraiment nécessaires.
Les dernières publications scientifiques et celles en cours de validation démontrent que nous n'en sommes qu'au stade de la description des écosystèmes, et non à celui de la compréhension de leur fonction. Nous ne savons toujours pas quel est le rôle des espèces, leurs liens et leurs services écologiques. Cette absence de données a déjà été dénoncée lors des recherches de gaz et de pétrole en mer du Nord. Autant les données géologiques étaient foisonnantes, autant celles concernant l'écologie et la biologie manquaient cruellement.