Intervention de Didier Jourdan

Mission d'information sur les toxicomanies — Réunion du 25 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Didier Jourdan coordinateur du réseau des instituts universitaires de formation des maîtres pour la formation en éducation à la santé et prévention des conduites addictives

Didier Jourdan, coordonnateur du réseau des instituts universitaires de formation des maîtres pour la formation en éducation à la santé et prévention des conduites addictives :

Merci de vous intéresser à la prévention des toxicomanies à l'école. Je suis ici en qualité de coordonnateur du réseau des instituts universitaires de formation des maîtres, mais celui-ci n'est qu'un élément d'un tripode composé également d'une équipe de recherche - un laboratoire vient d'être classé A+ par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, et travaille sur l'éducation à la santé et la prévention des conduites addictives - et un master avec un ensemble de spécialités. L'idée est que, sur ce thème, on puisse disposer au sein de l'université française à la fois d'une recherche de haut niveau, de dispositifs de formation des cadres, notamment des enseignants, et d'un engagement dans des dynamiques de transformation sociale, à travers le réseau et ses partenariats avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, et l'ensemble des acteurs.

Je me propose de resituer le rôle de l'école en matière de prévention des conduites addictives, sous un angle quelque peu différent du vôtre, avant de proposer des pistes d'amélioration.

Je ne reviens ni sur les caractéristiques des conduites addictives ni sur les enjeux d'une politique intégrée - combinant prévention, éducation, accès aux soins, réduction des risques et répression. Je préfère insister sur le rôle du système éducatif qui est aujourd'hui l'objet d'un nombre inconsidéré de sollicitations, étant appelé à remplir un ensemble de missions qui le dépassent largement, comme s'il lui appartenait de compenser tous les manques de la société. Il est donc essentiel, dans le domaine qui nous intéresse, de faire référence à la mission du système éducatif, qui est en premier lieu l'instruction et l'éducation du citoyen - ce qui signifie que la problématique du soin ou de la prise en charge n'intervient qu'en second lieu.

En matière de prévention des conduites addictives, la première intervention du système éducatif est centrée sur la question de la liberté, car on peut bien sûr étendre à la toxicomanie la définition que le Dr Pierre Fouquet donnait en 1951 de l'alcoolisme : « la perte de la liberté de s'abstenir d'alcool ». L'école doit ainsi s'efforcer, d'abord, de donner à chacun des élèves la capacité de conserver sa liberté vis-à-vis des produits, donc d'être en situation de choix.

La seconde intervention de l'école, qui s'approche davantage de l'objet de votre mission, est de donner dans chaque établissement aux enfants la possibilité de trouver des conditions éducatives qui leur conviennent, notamment un environnement exempt de stress, de pression sociale et de produits toxiques.

Pour le reste, la diminution de tel ou tel risque de morbidité ou de mortalité me semble relever d'une dynamique de santé publique dont l'école n'a pas pour mission première d'être un vecteur. Ainsi, elle n'est pas un instrument de prévention des pratiques addictives, mais elle en est un acteur, sous les deux angles que je viens de rappeler.

Le premier axe de travail est le développement des compétences autour de ce que l'on sait de l'addiction, qui lie individu, environnement et comportement. Il convient donc, à l'école, de donner à chaque élève la capacité de connaître les produits, de se connaître lui-même et de connaître la loi - car il n'y a pas d'éducation sans loi.

Le deuxième axe a trait à l'individu : il s'agit de développer chez l'élève les compétences qui lui permettront de résister à la pression et d'être capable de gérer les conflits sans recourir à la violence ou aux psychotropes.

Le troisième axe est celui de l'environnement, autour du développement de l'esprit critique et de la mise à distance de la pression des pairs et des médias : dans 96 % des cas, c'est votre meilleur ami qui vous a donné votre première cigarette, dans plus de 90 % des cas, c'est en famille que vous avez consommé de l'alcool pour la première fois. On est là au coeur de la mission de l'école et du socle commun, et c'est donc par là qu'il faut commencer pour prévenir les conduites addictives.

Pour sa part, la prévention passe par sa présence dans tous les établissements scolaires grâce à des dispositifs centrés sur les produits.

Enfin, la protection suppose la capacité d'identifier les élèves en situation de mal-être ; de créer un environnement social et physique favorable au développement des élèves ; de mettre à leur disposition, en milieu scolaire, des services sociaux et de santé efficaces.

Éducation, prévention et protection, tels sont donc les rôles de l'école en tant que telle et non en tant qu'instrument.

Dans ce cadre, les premiers acteurs sont bien évidemment d'abord les familles, car la santé relève de la sphère privée, puis les acteurs de l'enseignement que sont nos 800 000 enseignants. Pour leur part, les personnels de santé et les experts ont un rôle d'accompagnement, comme les chefs d'établissement et les conseillers principaux d'éducation.

Le cadre éthique est également important : s'il y a de nombreuses façons d'aborder la question des addictions, au sein de l'école, on fait référence à des valeurs spécifiques.

Vous l'aurez compris, j'insiste pour que l'on aborde le sujet non pas par les soins ou par le suivi des élèves mais d'abord en traitant de la mission de l'école, dont l'une des composantes est de veiller au bien-être des élèves.

Vous souhaitez savoir où l'on en est en la matière. Je soulignerai en premier lieu que tous les établissements prennent aujourd'hui en charge la question de la toxicomanie : partout, un enfant pris avec du cannabis entrera dans un dispositif d'accompagnement et de sanction et pourra, en dépit des faiblesses de la santé à l'école, être pris en charge par un médecin, une infirmière et un assistant social. Pour autant, 20 % à 25 % seulement des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté, qui regroupent tous les éléments de cette politique, sont à la hauteur de telles attentes et il faut donc s'attacher à susciter partout des dynamiques favorables.

Mais si l'on compte 7 000 infirmières et 1 800 médecins scolaires, on dispose surtout de 800 000 enseignants. Lorsqu'on demande à ces derniers quelle est leur implication professionnelle vis-à-vis des conduites addictives, 81 % répondent qu'ils interviennent comme éducateurs dans le quotidien de la vie de l'établissement mais 23 % seulement qu'ils prennent place dans des dispositifs de prévention. On est donc encore loin du compte, mais on ne se trouve pas pour autant dans une situation où le souci de la prévention serait totalement absent.

Pour leur part, les chefs d'établissement - auprès desquels une étude très poussée a notamment été conduite après la publication du décret du 15 novembre 2006 fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif - réagissent bien davantage par motivation personnelle qu'en réponse à une sollicitation institutionnelle. Nous devons nous interroger à ce propos.

Pour moi, il existe aujourd'hui cinq pistes pour avancer.

La première consiste à réinsérer toutes les dimensions liées à la santé dans le cadre général d'une éducation à la citoyenneté qui prenne place dans le socle commun. Alors que le dernier texte général date de 1998, les instructions se sont accumulées, en particulier dans le bulletin officiel de l'éducation nationale, à tel point que les missions des enseignants, des médecins et des infirmières ressemblent aujourd'hui à un millefeuille. Il importe donc de tout regrouper dans un texte unique qui précise la mission des acteurs.

Deuxième piste, développer la recherche : si nous voulons former les enseignants, il faut que nous disposions dans les universités de maîtres de conférences et de professeurs qui en soient capables. Or, si la recherche est assez poussée pour ce qui a trait à la prise en charge médicale, elle est en revanche extrêmement déficiente en matière de prévention et d'éducation. Faute de produire suffisamment de docteurs, nous ne sommes pas à même d'alimenter les universités. Il convient de mobiliser les allocations de recherche afin d'y remédier.

La troisième piste est celle de la formation des enseignants. Désormais « mastérisée », elle est passée sous la responsabilité des universités, ce qui signifie qu'il faut permettre à chacune d'entre elles de former à la prévention des conduites addictives. Dans un certain nombre de cas, on dispose de personnes qui y sont aptes et nous mettons à leur disposition l'outil de formation que nous avons construit avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Quant aux universités qui ne disposent pas des moyens nécessaires, nous leur proposons le dispositif de formation à distance que nous avons créé avec le réseau.

Par ailleurs, même si les agences régionales de l'hospitalisation ont permis, en leur temps, des avancées, nous avons du mal à couvrir le territoire pour la prise en charge des enfants et des adolescents. La quatrième piste consiste donc à territorialiser cette dernière, en regroupant protection maternelle et infantile et médecine scolaire au sein d'un grand service de l'enfance et de l'adolescence qui cordonnerait l'ensemble des acteurs, en liaison avec le système éducatif.

Il convient enfin de développer le soutien à l'innovation afin de faire avancer un système éducatif aujourd'hui en souffrance. La prévention des conduites addictives suppose de réaffecter certains moyens, d'appuyer le réseau associatif et de mener des politiques innovantes à l'échelle des académies et des établissements.

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