Intervention de Vincent Séguéla

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 9 mars 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Vincent Séguéla secrétaire général de la fédération léo lagrange

Vincent Séguéla, secrétaire général de la Fédération Léo Lagrange :

Merci pour votre invitation. Les principes de l'éducation populaire, dont l'élue locale qui s'est exprimée ce matin lors de votre table ronde souhaite le retour, n'ont en réalité pas disparu. L'enjeu est toutefois de renforcer les actions d'éducation populaire dans le processus de formation des jeunes. Nous entendons d'ailleurs de plus en plus d'élus locaux plaider en ce sens.

Les Rencontres de l'éducation populaire, organisées récemment à Marseille, et qui regroupaient des élus locaux ainsi que diverses associations, dont l'Association des maires de France (AMF), témoignent de cette volonté. Les Journées nationales de l'éducation populaire se tiendront par ailleurs prochainement à Poitiers. La secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement a également organisé des Assises de l'animation. Le sujet de l'éducation populaire revient donc au coeur du débat public, ce dont nous nous félicitons.

L'éducation populaire est difficile à définir. Il en existe du reste plusieurs définitions. L'éducation populaire recouvre des actions complémentaires de celles menées par d'autres acteurs plus traditionnels de la formation. Elle complète ainsi, sur des temps différents, le processus éducatif familial, le processus de formation et d'éducation scolaire ainsi que les parcours de formation professionnelle développés en entreprise.

On peut aussi présenter l'éducation populaire comme une série d'actions éducatives et formatives organisées sur du temps libre ou du temps libéré ; le « temps libéré » renvoie, par exemple, à la situation d'une personne en recherche d'emploi.

En 1900, on travaillait 200 000 heures en moyenne dans une vie, pour 100 000 heures de temps libre. Actuellement, nous ne travaillons plus que 67 000 heures pour 400 000 heures de temps libre. Tout un espace s'est donc développé au cours du dernier siècle. La fédération oeuvre pour que ce temps libre ne soit pas un temps oisif, mais aussi un temps d'éducation et de formation.

L'éducation populaire repose en outre sur l'idée de progrès. L'enjeu est d'élargir la palette des apprentissages et d'ouvrir l'accès aux savoirs, à partir de l'idée selon laquelle l'être humain peut apprendre et progresser toute sa vie - c'est d'ailleurs la base de la formation permanente. Il est possible, même en situation d'échec scolaire, de se former avec d'autres organismes et sous d'autres temps. Dans la logique de l'éducation populaire, on peut toujours progresser, et toute sa vie.

Cela suppose cependant un développement de l'accès aux droits nouveaux que sont le droit à la culture ou aux vacances qui permettent de découvrir d'autres territoires, d'autres gens, d'autres cultures.

Le principe des « vacances apprenantes » lancé par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports à la faveur de la pandémie a fait réagir les acteurs de l'éducation populaire, car à leurs yeux toutes les vacances sont des temps éducatifs. Les colonies de vacances ne sont pas des garderies ! Toutefois, le terme de « vacances apprenantes » montre bien que le temps passé en vacances peut constituer un temps éducatif à investir.

J'en viens à la préoccupation que vous avez exprimée, et que nous partageons, concernant le décrochage des citoyens par rapport au vote. Nous ne réduisons pas la citoyenneté au droit de vote, même s'il s'agit d'un marqueur important. Ainsi, il est possible de se demander si l'on peut être pleinement citoyen lorsqu'on appartient à la moitié des jeunes qui ne peuvent pas partir en vacances ? Cette question vaut pour les chômeurs : certes, ils ont le droit de vote, mais quand on est exclu du monde du travail ou entravé dans son accès à la formation, peut-on se sentir pleinement citoyen ?

L'éducation populaire utilise dans une démarche de complémentarité des méthodes pédagogiques dites nouvelles, actives ou non formelles, qui ne reprennent ni les méthodes académiques employées à l'école ni les méthodes éducatives à l'oeuvre dans le cadre familial. Ces méthodes placent l'apprenant au coeur du processus éducatif, en en faisant un acteur central et non plus un receveur de connaissances fournies par un détenteur du savoir. Pour les 16-25 ans, cela implique également des formations entre pairs auxquelles nous sommes attachés.

En plaçant ainsi l'apprenant comme acteur de son propre processus de formation, l'idée est de lui faire acquérir des compétences susceptibles d'être utiles à la citoyenneté. Nous insistons ainsi beaucoup sur l'importance de la notion d'écoute, et de l'expression. Une place centrale est également accordée à la confrontation des idées, qui enrichit, et à la mise en débat. Nous faisons aussi attention à la définition par les enfants des règles de la vie en groupe.

Les pédagogies actives que nous utilisons reposent sur des éléments centraux de la formation à la citoyenneté : on apprend le goût des autres, on apprend à aimer les autres en apprenant à écouter, à s'exprimer et à débattre. La citoyenneté implique une communauté de citoyens qui vivent ensemble.

Nos méthodes n'impliquent aucune note ou évaluation. Nous prenons aussi en compte le développement personnel de chaque enfant pour respecter son rythme.

La fédération accorde par ailleurs une grande place à l'expérimentation. Nos pédagogies sont en effet fondées sur l'expérience et la recherche. Contrairement à l'éducation académique qui s'articule autour d'un cours, d'un exercice et d'un contrôle, notre approche implique une problématisation, une recherche d'informations par l'apprenant lui-même et une recherche de solutions.

Toute notre pédagogie est en outre centrée sur l'intériorisation des apprentissages. Par exemple, s'agissant de la lutte contre les discriminations - car citoyenneté et vivre ensemble sont liés - il ne suffit pas de dire aux jeunes que ce n'est pas bien de ne pas respecter l'égalité entre les filles et les garçons. Il s'agit de permettre à chacune de faire sien ce sujet d'apprentissage. Tant que cette notion n'a pas été intégrée dans leur subconscient - sur lequel repose 90 % de notre fonctionnement - cette nouvelle habitude ne peut être acquise. Des pédagogies adaptées sont nécessaires. Nos méthodes interactives visent donc l'intériorisation de la règle, non l'emmagasinage de savoirs.

Je vais à présent citer quelques exemples d'actions que nous menons.

Lorsque nous travaillons avec une collectivité locale sur un projet éducatif territorial (PEDT) consacré à l'accueil extra et périscolaire, nous nous intéressons aussi à l'aménagement de l'espace ou du mobilier à l'aune de la question du genre. Il faut que filles et garçons aient une place égale dans la cour de récréation. Ainsi, le terrain de football ne peut pas occuper 90 % de la cour, et les garçons ne peuvent l'occuper 90 % du temps.

Nous développons des outils pédagogiques, adaptés selon les tranches d'âge, qui sont mis à la disposition de nos équipes professionnelles, formation à l'appui, afin de leur permettre de conduire des actions autour de la citoyenneté.

Nous travaillons notamment sur la capacité des enfants à mener des débats, la confrontation des idées fondée sur le respect d'autrui, l'écoute et l'argumentation nous semblant essentielle dans la construction de la citoyenneté.

Nous avons aussi des jeux de sept familles thématisés ainsi que des hebdomadaires de décryptage de l'actualité, qui visent à apprendre aux jeunes à s'informer correctement et à décoder les médias. Nous avons également créé des ateliers au cours desquels des personnels municipaux encadrent des jeunes pour leur expliquer ce qu'est une mairie, le travail des agents municipaux, etc.

Nous travaillons aussi sur l'éloquence, au moyen d'un partenariat avec Eloquentia. La capacité à s'exprimer est en effet constitutive de la citoyenneté. Nous participons en outre à la construction et à l'animation de conseils municipaux, départementaux et régionaux d'enfants et de jeunes.

La fédération intervient par ailleurs sur le temps scolaire, notamment à travers une gamme d'activités consacrées à la lutte contre les discriminations et aux questions comme l'égalité filles-garçons, l'homophobie, le racisme. Ces interventions se font en classe, en lien avec les CPE et les enseignants, mais généralement en leur absence. Nous intervenons aussi sur la question du développement durable, sujet auquel les jeunes sont particulièrement sensibles.

En réalité, si des questions peuvent se poser concernant la hausse de l'abstention, la plupart des études montrent que les jeunes sont engagés. La question du développement durable et du rapport à la planète les mobilise beaucoup. Ils sont par ailleurs nettement moins réticents aux flux migratoires que les générations de leurs parents ou de leurs grands-parents.

Il serait donc inexact de déduire du taux d'abstention élevé constaté chez les jeunes un désintérêt pour la citoyenneté ou pour l'engagement. On observe une inadéquation entre l'offre et la demande dans le domaine politique, mais ce n'est pas un problème d'engagement.

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