Intervention de Guillaume Tusseau

Mission d'information Judiciarisation — Réunion du 18 janvier 2022 à 15h00
Audition de spécialistes de droit public et de droit constitutionnel : Mm. Paul Cassia professeur de droit public à l'université paris i panthéon-sorbonne jean-philippe derosier professeur de droit constitutionnel à l'université de lille bertrand mathieu conseiller d'état en service extraordinaire professeur à l'école de droit de la sorbonne de l'université paris i panthéon-sorbonne dominique rousseau professeur à l'école de droit de la sorbonne de l'université paris i panthéon-sorbonne et guillaume tusseau professeur de droit public à sciences po

Guillaume Tusseau, professeur de droit public à Sciences Po :

J'ai une perspective très déflationniste sur la notion d'identité constitutionnelle : pour moi, cette expression est utile parce qu'elle est vide de sens. L'identité constitutionnelle apparaît à deux niveaux : au niveau du droit de l'Union européenne et à celui des droits nationaux. Tous les États de l'Union ont une notion de cet ordre. Elle apparaît dans les années 1970 dans la jurisprudence de la CJUE pour justifier une extension des compétences des Communautés.

Ensuite, les États ont repris la main en insérant cette notion dans les traités et en limitant les compétences des institutions, de sorte que les juridictions constitutionnelles nationales peuvent dire qu'elles font une sincère application des normes supranationales. La notion apparaît toutefois dans un traité européen dont l'interprète ultime est la CJUE. Au bout du compte, l'identité constitutionnelle est d'autant plus utile que son contenu est indéterminé. Cette notion permet de ne pas mettre un terme à la discussion. Les dialogues des juges continuent de cette manière, ainsi que les rapports de force et les interactions stratégiques entre les différentes cours. La notion d'identité constitutionnelle sert donc à nourrir la discussion, qui par définition ne peut pas avoir de terme.

J'en viens à votre question sur les circonstances exceptionnelles. Sur le cas que vous envisagez, notre Constitution permettrait de faire face, car elle consacre le droit d'asile, qui est une réponse massive à votre question. De manière sévère, on pourrait dire que notre Constitution est assez souple, comme l'a montré la décision d'ignorer les conditions d'adoption d'une loi organique. La Constitution paraît donc suffisamment souple, mais le niveau d'interprétation sera plus ou moins libre selon le rapport de force entre l'autorité politique et l'autorité juridictionnelle.

Pour répondre à votre deuxième question, je pense que les relations tendant à une meilleure connaissance entre Parlement et Conseil constitutionnel ne devraient pas se développer à l'occasion d'affaires particulières. Il faudrait plutôt organiser des séminaires fermés, confidentiels et réguliers, lors desquels des parlementaires discuteraient avec le Conseil constitutionnel sur ses décisions ou sur la proportionnalité des mesures. De cette façon, le juge constitutionnel connaîtrait mieux les attentes du Parlement. Cela permettrait aussi de comprendre que les juges n'ont pas le monopole de la défense des droits de l'homme et qu'il s'agit d'un sujet transversal. C'est là l'enjeu majeur des dispositifs canadien, anglais, australien et néo-zélandais.

Nous pourrions aussi imaginer des études d'impact enrichies. La difficulté est que le texte, à l'issue de la procédure législative, n'est pas celui qui a été présenté.

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