Intervention de Dominique Rousseau

Mission d'information Judiciarisation — Réunion du 18 janvier 2022 à 15h00
Audition de spécialistes de droit public et de droit constitutionnel : Mm. Paul Cassia professeur de droit public à l'université paris i panthéon-sorbonne jean-philippe derosier professeur de droit constitutionnel à l'université de lille bertrand mathieu conseiller d'état en service extraordinaire professeur à l'école de droit de la sorbonne de l'université paris i panthéon-sorbonne dominique rousseau professeur à l'école de droit de la sorbonne de l'université paris i panthéon-sorbonne et guillaume tusseau professeur de droit public à sciences po

Dominique Rousseau, professeur à l'École de droit de la Sorbonne de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne :

La souveraineté de la loi est-elle en cause ? Cette question est classique des rapports entre la loi et la jurisprudence. Nous avons évoqué tout à l'heure le présupposé du constat qui était fait. Selon moi, il n'y a pas de souveraineté de la loi et je ne pense pas qu'il doive y en avoir.

Certaines théories classiques évoquent dès les années 1930 les moyens de contrebalancer le parlementarisme et identifient deux instruments : le référendum et le contrôle de constitutionnalité.

La souveraineté de la loi est impossible pour deux raisons. Tout d'abord, la loi ne sera jamais suffisamment précise pour s'imposer et faire que le juge n'ait qu'à l'appliquer, sans avoir à l'interpréter. Il y a nécessairement l'obligation pour celui qui doit appliquer la loi d'en déterminer le sens, parce qu'il n'est pas toujours visible.

Je vais vous donner un exemple. En 2012, j'ai eu l'honneur de participer à la commission présidée par le Premier ministre Lionel Jospin sur la rénovation et la déontologie de la vie publique. Nous devions réfléchir à la modification des règles de financement des dépenses électorales. Nous avons passé une demi-journée à essayer de définir la notion de dépense électorale. La jurisprudence nous a paru plus à même que la loi de s'adapter à l'évolution constante des pratiques. La commission a donc recommandé que le juge définisse au cas par cas ce qu'est une dépense électorale.

En outre, Condorcet notait dès 1793 dans son projet de Constitution qu'il fallait faire attention à l'absolutisme de la majorité. Il proposait déjà une forme de contrôle de constitutionnalité de la loi afin d'empêcher le Parlement, le cas échéant, de voter des lois qui iraient à l'encontre des droits de l'homme. La loi est faite de mots polysémiques, qui doivent être interprétés par le juge. Pour cette raison, à nouveau, la souveraineté de la loi est impossible.

Sur le lien entre le Conseil constitutionnel et le Parlement, je ne suis pas favorable à ce que les parlementaires fassent des « portes étroites » devant le Conseil constitutionnel, car vous reproduiriez le débat politique devant ce dernier.

Je siège actuellement au sein du Tribunal constitutionnel d'Andorre. Nous rendons entre 100 et 150 décisions par an. Chaque année, nous présentons un rapport d'activité au Parlement andorran. Nous attirons son attention sur les questions qui nous ont posé des problèmes. Cela permet d'instaurer un dialogue.

Le Tribunal constitutionnel d'Andorre contrôle la constitutionnalité des décisions de justice et n'a pas affaire au Parlement. Il faudrait donc abandonner le contrôle a priori, car cela met le Parlement et le Conseil constitutionnel en contact direct et immédiat. De plus, les juges constitutionnels devraient être nommés à la majorité des trois cinquièmes par le Parlement sur la base d'une expérience professionnelle et de compétences. Il me semblerait intéressant de donner au Conseil constitutionnel le contrôle de la constitutionnalité des décisions de justice et non uniquement de la loi. Il y a peut-être là une voie à creuser. Il s'agit d'un tout autre modèle de contrôle de constitutionnalité.

Sur les autres points, j'ai beaucoup de mal avec la question de la primauté du droit européen parce que cela revient à présenter le droit européen comme s'il s'agissait d'un droit extérieur. Or le droit européen est fait par les gouvernements et par la Commission européenne, qui est nommée par les États membres. Les États exercent leur souveraineté sur le droit européen. Les ministres définissent les projets et les commissaires préparent ce travail. Le droit européen est donc fait par les souverainetés juridiques des États.

J'ajoute que l'article 88-6 de la Constitution fait obligation au Gouvernement de faire connaître aux assemblées parlementaires les futurs actes qui seront adoptés par l'Union européenne. Le Parlement français a donc la possibilité de bloquer les directives en cas de désaccord.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion