Intervention de Bertrand Hébert

Mission commune d'information relative à Pôle emploi — Réunion du 3 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Bertrand Hébert directeur du développement des activités institutionnelles et partenariales de l'association pour l'emploi des cadres apec

Bertrand Hébert, directeur de l'Apec :

Exactement. L'ANPE a été créée par M. Jacques Chirac, sous la forme d'un établissement public.

En 1966 est intervenu un accord entre les partenaires sociaux, c'est-à-dire le centre national du patronat français (CNPF) pour le patronat et les cinq grandes organisations syndicales : Force ouvrière (FO), la confédération française démocratique du travail (CFDT), la confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (CFE-CGC) et la confédération générale du travail (CGT), qui sont les membres fondateurs et les seuls administrateurs de droit de l'Apec. Dans le cadre de ce « paritarisme pur », c'est-à-dire un paritarisme dans lequel l'Etat n'intervient pas dans les décisions de l'association, seuls les membres signataires de l'accord ont vocation à diriger la structure.

Cette démarche était visionnaire de la part des partenaires sociaux, car il n'existait alors pas de chômage des cadres en France. Les partenaires sociaux ont anticipé ce qui allait advenir dans les secteurs des charbonnages, de la sidérurgie ou du textile. Ils étaient animés par une volonté claire : conserver des compétences sur leur territoire. L'Apec n'a pas donc eu d'emblée une vocation nationale. Il s'agissait de mettre en place, dans certains bassins d'emploi, un accompagnement spécifique pour les cadres.

Le statut des cadres est particulier en France puisque sont considérés comme tels les salariés qui cotisent à une caisse de retraite relevant de l'association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc). Celle-ci collecte les cotisations prélevées auprès des cadres du secteur privé et des entreprises, qui cotisent pour les cadres qu'elles emploient. N'en déduisez pas que les cadres du secteur public ne nous intéressent pas. Nous aurons certainement vocation à leur étendre, si nous en avons la possibilité, notre champ d'intervention, dans un marché du travail qui est beaucoup plus perméable qu'il ne l'était au moment de la création de l'association.

Dès son origine, l'Apec avait une mission de mise en relation et de fluidification du marché du travail. Il s'agissait de mettre à la disposition des entreprises qui recrutent les compétences adéquates. C'est ce qui explique notre mode d'organisation et notre façon de travailler aujourd'hui. L'Apec ne crée pas des emplois : ceux-ci sont créés par les entreprises. Mais il faut pouvoir offrir aux personnes en situation de mobilité professionnelle la possibilité de faire des choix. Telle était la dimension fondatrice de l'action de l'Apec. Très rapidement, nous sommes intervenus dans deux registres :

- la préparation des personnes à leur positionnement sur le marché de l'emploi ;

- la relation présentielle avec l'entreprise, afin de recueillir ses besoins en termes de recrutement et de les diffuser.

Au fil des années, par solidarité, les partenaires sociaux ont souhaité que le positionnement de l'Apec s'élargisse à la prise en charge des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, à partir du niveau bac + 4. Tel fut le cas à partir de 1972. Ce seuil est resté en l'état, même si la réforme « LMD » (licence - master - doctorat) a modifié sensiblement les niveaux de diplômes. Pour l'instant, tout du moins, le conseil n'a pas décidé de modifier cette gradation même s'il est probable qu'une telle décision intervienne au cours des mois qui viennent. La plupart des conventions collectives prévoyaient un accès automatique au statut « cadre » à partir d'un niveau de diplôme égal à bac + 4, ce qui explique que ce seuil ait été retenu. En outre, les méthodes de préparation des personnes à l'accès au marché du travail n'étaient pas fondamentalement différentes pour les cadres et pour les jeunes diplômés.

Nos relations avec les entreprises nous ont éclairés sur leurs pratiques de recrutement. Au départ, nous avons commencé en diffusant des offres sur des feuilles de papier que nous mettions à la disposition de notre public dans les quelques centres qui existaient. Le nombre de cadres a progressé très rapidement en France et nous avons été amenés, au fur et à mesure de la croissance de l'Apec, à éditer un journal de petites annonces. La loi imposait toutefois à tout diffuseur d'annonces de proposer dans son journal une partie rédactionnelle d'une taille au moins équivalente à celle réservée aux petites annonces. Nous avons donc fait paraître un magazine, Courrier Cadres, dont la publication était fort coûteuse. Simultanément, nous assurions la diffusion de nos offres via des micro-fiches puis par le biais du minitel. Tout ceci a disparu le jour où Internet a pris l'ampleur, en termes de diffusion, que nous connaissons aujourd'hui. Courrier Cadres, qui était un journal déficitaire et dont le passif était comblé par les cotisations de nos adhérents, n'existe donc plus aujourd'hui. Aujourd'hui, nous investissons essentiellement dans les outils de mise en relation dématérialisés.

Nous avons dû tenir compte des évolutions profondes de notre environnement économique. La France compte aujourd'hui 3,6 millions de cadres. Selon les derniers chiffres de l'Insee, le taux de chômage s'élève à 4,1 % ou 4,2 % dans cette population, contre 2,8 % avant la crise de 2008. Il est donc beaucoup plus faible que celui de l'ensemble de la population active. Nous constatons même une pénurie de candidatures dans un certain nombre de secteurs d'activité car une forme de reprise se fait jour et bénéficiera d'abord à des niveaux de compétences élevés, nécessaires au développement de ces entreprises.

A cela s'ajoutent des évolutions d'ordre juridique. Entre 1966 et nos jours sont intervenues plusieurs étapes de la construction européenne, qui s'est accompagnée d'une réglementation nouvelle, laquelle s'impose également à l'Apec. Nous savons que la Commission européenne est particulièrement vigilante en matière de distorsion de concurrence. S'agissant de l'Apec, la Commission s'est interrogée, il y a quelques années, quant à la qualification que l'Etat français souhaitait donner à la cotisation obligatoire qui nous est versée par les cadres et les entreprises. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a ainsi considéré que cette cotisation constituait une aide d'Etat et il a été demandé au conseil d'administration de l'Apec de déterminer le mandat de service public qui justifiait cette aide. Cette question a fait l'objet d'un premier rapport de la Cour des comptes, qui notait que les dispositions en vigueur au sein de l'Apec étaient loin d'être satisfaisantes au regard de la réglementation européenne, des règles concurrentielles et des impératifs en termes de comptabilité analytique.

Un deuxième rapport, émanant de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), a émis un certain nombre de recommandations, en particulier du point de vue des relations avec Pôle emploi. La position de la Commission européenne et de l'Etat concernant la cotisation, assimilée à une aide d'Etat devant correspondre à un mandat de service public, conditionne la relation que l'Apec a avec son environnement. Je parlerai du « marché solvable ». Il ne s'agit pas, à travers ce terme, de vouloir tout rendre marchand. Force est cependant de constater qu'il existe des services pour lesquels la collectivité paie et un marché de prestation de services. Nous ne déterminons pas la nature lucrative ou non des champs dans lesquels nous intervenons. Seul le marché détermine cette nature.

Je prendrai l'exemple de l'accompagnement des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur ou des étudiants en fin de cycle. Cette activité n'entre pas, a priori, dans le cadre d'activités marchandes. Si un ministre décide que, pour aider les jeunes diplômés, l'on passera par une procédure d'appel d'offres public, cela devient du jour au lendemain un service marchand solvabilisé. Dans une telle hypothèse, nous ne pouvons plus utiliser la cotisation pour accompagner les jeunes diplômés. Nous devenons un prestataire de services comme les autres, un « opérateur privé de placement » selon les termes de la loi.

La difficulté du positionnement de l'Apec porte sur la définition du mandat de service public et sur la mise en conformité avec les recommandations de l'Igas, qui s'appuient sur des données juridiques et économiques incontestables. Nous devrons d'abord améliorer la présentation analytique de notre comptabilité, ce qui n'est pas la chose la plus difficile à faire. Plus largement, il s'agira d'exprimer de façon beaucoup plus précise, dans un mandat de service public, la façon dont nous nous engageons à utiliser le produit des cotisations. La logique est celle des coûts unitaires a priori : nous devons indiquer, en début d'année, la façon dont nous allons utiliser les 100 millions d'euros de cotisations que nous recevons des entreprises et des cadres. Il peut s'agir d'accompagner, par exemple, dix jeunes diplômés pour un coût unitaire de 1 000 euros chacun. En fin d'année, nous devons rendre des comptes à l'Etat quant à la façon dont nous avons exécuté la mission convenue avec lui. Si nous n'avons accompagné que la moitié des jeunes, nous entrons dans un mécanisme dit de « surcompensation » qui permet à l'Etat de reprendre le trop-perçu par l'Apec. Ce système n'existait pas auparavant. La cotisation étant d'origine privée, les partenaires sociaux oubliaient qu'elle était autorisée par l'Etat, ce qui en faisait quasiment une « para-fiscalité ». L'Etat a donc un droit de regard sur son utilisation et un droit de reprise, à travers le mécanisme de surcompensation dans l'exemple que j'ai décrit.

Un autre exemple justifie l'existence, dans notre activité, d'une partie non lucrative correspondant au mandat de service public et d'une partie marchande correspondant à un certain nombre de prestations facturées. Jusqu'à présent, la diffusion des offres était préfinancée par la cotisation, et donc perçue comme gratuite par les entreprises. Aujourd'hui, il s'agit d'un marché aussi privé qu'on puisse l'imaginer. Nous sommes le deuxième support en termes d'audience derrière RégionsJob, premier diffuseur d'offres sur le web. Cela dit, RégionsJob fait payer sa diffusion. Si nous ne faisions pas payer notre diffusion en utilisant pour cela la cotisation, nous serions attaquables au motif d'une distorsion de concurrence. Notre conseil d'administration devra donc faire un choix consistant à évoluer soit vers le paiement des offres, soit vers la création de nouvelles activités marchandes venant compenser l'absence de gains réalisés sur la diffusion des offres, qui resterait alors gratuite. La publicité sur le web pourrait constituer une source de revenus non négligeable. L'Apec exerce donc aujourd'hui une mission correspondant à un mandat de service public et un certain nombre d'activités marchandes qui concernent essentiellement nos relations avec les entreprises.

L'Apec a toujours entretenu des relations avec l'ANPE puis avec Pôle emploi. Nous avons rencontré des difficultés qui étaient liées parfois à des questions de personnes ou des problèmes d'indépendance de gestion. Un organisme comme le nôtre, qui a toujours souhaité rester dans un paritarisme pur, a souvent perçu d'un oeil méfiant un partenaire public parfois envahissant.

La crainte d'une absorption est réelle pour une association de 800 salariés comme l'Apec, d'autant plus que certains ont imaginé, encore très récemment, qu'il serait utile que nos structures fusionnent pour constituer « le grand service public de l'emploi » dont tout le monde rêve depuis des années. Cette éventualité a été envisagée par plusieurs gouvernements de sensibilités différentes, dans le souci de servir le demandeur d'emploi. Cependant, l'Apec ne se positionne pas vis-à-vis des demandeurs d'emploi mais vis-à-vis des cadres et des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur. Si nous ne nous adressions qu'aux demandeurs d'emploi, notre public serait composé de 130 000 personnes. Je ne relativise pas ce que représente le chômage pour ces personnes mais cela représente peu de chose sur le plan macroéconomique. Si l'Apec devait concentrer l'essentiel de son activité sur le traitement du chômage, son action ne serait que curative. Les conseils d'administration de l'Apec ont demandé de longue date que les problématiques de carrière soient gérées par anticipation. Cela répond à une caractéristique sociologique du marché de l'emploi français. En France, on ne peut pas échouer : l'évolution professionnelle doit être constante. On ne peut avoir exercé des fonctions de direction et occuper ensuite une fonction d'ajusteur dans une usine. Cela n'existe pas. En outre, notre système est pyramidal. Une personne qui ne gère pas sa carrière très tôt dans son parcours connaîtra immanquablement des périodes de chômage et celles-ci seront d'autant plus dures qu'elle ne les aura pas anticipées.

Il convient aussi de rappeler que le marché de l'emploi n'est pas un marché de plaisir. Personne ne s'amuse à chercher du travail. Il s'agit d'une tâche difficile que nul n'effectue spontanément. J'ai été fonctionnaire et je suis passé par des entreprises privées. Même lorsqu'on sait que ses jours sont comptés dans une entreprise, il est compliqué de commencer à répondre à des petites annonces et de bâtir une démarche globale. Tous les cadres seront confrontés, de plus en plus souvent, à des ruptures professionnelles. Nous sommes donc entrés de plain-pied dans une démarche de sécurisation des parcours professionnels. Le public de l'Apec n'est pas segmenté suivant son âge ou sa situation au regard de l'emploi et du chômage : quel que soit son statut, une personne ayant cotisé est un ayant-droit des services de l'Apec pendant toute sa vie. Telle est la « promesse » de l'Apec, en termes de marketing et là se trouve l'enjeu pour l'association.

Le nombre de cadres que nous accompagnons est voisin de 40 000, en flux, et nous avons l'objectif de le faire augmenter. Nous sommes actuellement confrontés aux jeunes diplômés qui ont connu la crise. Cessons de confondre le chômage des jeunes et celui des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur, qui n'ont rien à voir. Le chômage des jeunes est très important en France. Celui des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur est beaucoup plus faible. La meilleure garantie contre le chômage reste le niveau de diplôme.

Le passage de la cotraitance à la sous-traitance répond à une problématique liée aux marchés publics. Les montants en jeu sont importants : dans le cadre de la cotraitance, nous recevions environ 20 millions d'euros par an pour accompagner 35 000 cadres. La notion de cotraitance implique une relation de gré à gré qui pouvait être contestée sur le plan juridique. Un certain nombre d'opérateurs privés de placement se sont émus que l'Apec soit le destinataire de ce marché dans le cadre d'une attribution de gré à gré. C'est pourquoi une procédure d'appel d'offres a été introduite. L'Igas proposait que l'Apec ne se substitue pas à Pôle emploi mais intervienne de façon complémentaire. L'offre de services qui sera présentée aux jeunes diplômés, aux cadres et aux entreprises sera donc différenciée par rapport à l'intervention de Pôle emploi aujourd'hui.

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