Je ne reviendrai pas sur le contexte. On l'a dit, la mutualisation des achats, dans les hôpitaux, conduit parfois à des situations de quasi-monopole. Il y a peu de fournisseurs pour de vieilles molécules, et la délocalisation de productions de matières premières n'aide pas à gérer les pénuries.
On a, en fait, dans nos pharmacies à usage intérieur (PUI), énormément de ruptures. Les causes sont hétérogènes, et la criticité également : les ruptures peuvent toucher des médicaments d'urgence, comme la Métalyse, qui permet de faire la thrombolyse en cas d'infarctus du myocarde. Cela pose un vrai problème dans les véhicules des services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur), par exemple. Les ruptures concernent aussi des molécules avec un impact thérapeutique majeur, comme le Nulojix, qui est utilisé dans la prévention du rejet de greffe. On ne peut plus instaurer un traitement chez de nouveaux patients, et il est déjà très compliqué de se procurer les traitements pour les patients en cours.
On n'a pas du tout parlé d'une autre façon de gérer les ruptures, qui est le contingentement par les industriels. Ce contingentement n'est pas simple. Il est certain qu'il est préférable d'avoir un peu que pas du tout, sauf que l'on arrive à des situations compliquées, où l'on est obligé de prioriser les patients. C'est très compliqué pour les médecins, mais aussi pour nous, avec des patients qui sont souvent en panique.
On parle peu de la Lévofloxacine, dont la pénurie peut être vraiment inquiétante pour les infections ostéo-articulaires, puisque l'on n'a pas vraiment d'alternative à ce médicament, qui a une bonne pénétration osseuse. Au reste, c'est un traitement long - de quatre à six semaines.
Les pénuries concernent aussi des médicaments de base, comme les dosettes de chlorure de sodium. D'ailleurs, le laboratoire qui le fabrique est en France, ce qui prouve bien que la relocalisation de la production en France n'est pas toujours la solution...
Je veux aussi insister sur un risque iatrogénique, qui est important dans les services de soins. À force de changer les dosages et les molécules, surtout quand celles-ci sont un peu complexes, on peut arriver à des erreurs de prescription et d'administration. Cela demande beaucoup de vigilance de la part de tous les soignants. Je trouve que l'on n'en parle pas assez. D'ailleurs, les médecins qui ne peuvent pas appliquer les protocoles thérapeutiques élaborés et validés dans les établissements ne sont pas très contents.
Dans l'hôpital où j'exerce, on a également un équivalent temps plein pour gérer les ruptures de dispositifs médicaux, mais la situation est plus complexe en raison de la dépendance des opérateurs, qui fait qu'une pince de bloc ne va pas pouvoir être substituée aussi facilement qu'un médicament.
On a un vrai problème de visibilité sur les causes et, surtout, sur la durée des ruptures. C'est un vrai souci, parce que l'on ne peut rien anticiper. En fait, c'est quand on voit que l'on n'a pas la commande que l'on se dit qu'il y a un problème... Nous ne sommes jamais prévenus, alors que les industriels sont au courant. Il faut attendre de parvenir à les joindre pour avoir l'information. Et chaque pharmacien, dans chaque PUI, fait la même chose ! Souvent, on nous répond que le délai est indéterminé, mais c'est un vrai souci parce que l'on ne sait pas quoi répondre aux médecins et aux patients qui viennent en rétrocession - cela touche parfois aussi les produits de rétrocession.
Le manque de transparence est vraiment crucial.
J'ajouterai aussi le manque de réactivité : une fois que les stocks sont reconstitués, on ne comprend pas pourquoi ils n'arrivent pas plus vite jusqu'aux utilisateurs. Lors de réunions avec l'ANSM, les laboratoires nous ont dit qu'il n'y avait plus de problème de rupture d'amoxicilline. Sauf que nous, on a toujours ce problème ! On ne comprend pas pourquoi on ne peut pas être plus réactif une fois que les stocks sont reconstitués.
L'ANSM dresse une liste des ruptures, mais celle-ci n'est pas exhaustive. Cela nous pose problème.
Les ruptures sont très chronophages pour les pharmaciens.
En outre, le dépannage, dans les hôpitaux, entraîne souvent un surcoût, qui peut être assez monumental pour certaines molécules : comme tout le monde cherche une solution, le laboratoire qui peut dépanner fait monter les prix, ce qui est logique. Dans les marchés publics hospitaliers, théoriquement, le fournisseur qui est titulaire du marché doit payer la différence. Mais on ne reçoit que des courriers nous disant que, avec les problèmes de covid, de surcoût, de transport, etc., on ne saurait la leur réclamer. Par conséquent, le surcoût reste à la charge des établissements, dont beaucoup, je le rappelle, ne sont pas en grande santé financière.
Nous sommes aussi pas mal sollicités par la ville, qui est aussi en rupture. Parfois, l'hôpital est en rupture un peu après la ville. Des patients nous appellent parce qu'ils ont fait le tour de plusieurs officines, sans succès. Ce n'est pas encadré du tout, et on ignore si l'on peut faire des rétrocessions. De toute façon, on n'a pas tellement de stock...
Quelles améliorations ? Nous l'avons déjà dit, il faut une meilleure transparence. Je crois que c'est le mot clé.
Il faut également une meilleure réactivité de la chaîne logistique. Pendant la crise covid, des stocks d'État ont été constitués. C'est très bien, sauf que, à un moment où l'on avait besoin de curare, il n'y en avait plus, parce que l'État avait réquisitionné les stocks de laboratoires, si bien qu'il y a eu un moment vraiment critique, où il n'y avait plus rien dans nos hôpitaux, et c'était vraiment compliqué pour les réanimateurs.
On a déjà parlé de la liste des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. Elle est importante. En revanche, il faut qu'elle soit exhaustive et régulièrement mise à jour, ce qui n'est pas toujours le cas.
Nous aimerions qu'il y ait des propositions validées par les sociétés savantes sur les switchs ou encore les antibiotiques, mais pas seulement. Ce serait tout de même bien que l'on puisse avoir une information descendante, validée, qui mette un terme à cette situation où chacun, dans son hôpital, se pose la même question.
Je ne crois pas trop à la fin de la rupture maintenant. On pourrait déjà essayer d'améliorer les choses à court terme. Il est vrai qu'il y a le DP-ruptures, mais il n'est pas encore très implanté à l'hôpital. Il faudrait vraiment, quelle que soit la base de données, qu'elle soit centralisée, avec des laboratoires, des industriels qui jouent le jeu. Une petite start-up, MaPui Labs, a produit un logiciel, Hospistock, pour essayer de trouver des solutions ; 1 000 PUI y sont connectés, et seulement 11 laboratoires. Cela montre qu'on est loin de l'envie d'avoir une transparence...
Sur le moyen terme et le long terme, il faut vraiment développer le bon usage des produits de santé. La consommation d'amoxicilline est tout de même deux fois supérieure en France à ce qu'elle est dans les autres pays européens ! Celle de paracétamol est trois fois supérieure. Ce n'est pas normal. Il est vraiment nécessaire de travailler aussi sur ce point. En France, la surconsommation est à la mode. On a un symptôme, on veut un médicament.
Surtout, j'aimerais alerter sur l'observance, mais aussi sur l'automédication. Quand on fait des sensibilisations en iatrogénie auprès des patients, beaucoup nous disent garder les boîtes précieusement pour avoir ce qu'il faut dans le placard s'ils ont les mêmes symptômes et n'obtiennent pas de rendez-vous chez le médecin. Certains écourtent même leur traitement pour s'en garder un peu pour la prochaine fois... C'est un vrai problème, et je pense qu'il faut faire une vraie campagne de communication à ce sujet.
Évitons les prescriptions inutiles. La stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l'antibiorésistance nous dit que 50 % des antibiothérapies sont inutiles ou inappropriées. Cela pose tout de même question.