Intervention de Amine Nejdi

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 30 mars 2016 à 14h00
Audition de M. Amine Nejdi vice-président du rassemblement des musulmans de france

Amine Nejdi, vice-président du Rassemblement des Musulmans de France :

Je vous remercie Madame la Présidente. Je suis vice-président du Rassemblement des musulmans de France, président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) de Lorraine, recteur-imam de la mosquée de Tomblaine qui se situe à proximité de Nancy, et également membre du conseil européen des oulémas (théologiens) marocains. Dans ce conseil, nommé par le Roi du Maroc, siègent 17 personnalités marocaines.

Le Rassemblement des musulmans de France est la plus grande fédération de rassemblement de mosquées en France. Il en rassemble ainsi 500. En 2008, lors de l'élection du Conseil français du culte musulman (CFCM), il a obtenu 40% des voix. Aujourd'hui, 12 conseils régionaux du conseil musulman sont dirigés par un président affilié au RMF.

Il existe en France plusieurs fédérations musulmanes regroupées, selon le cas, sur la base de sensibilités parfois idéologiques - c'est le cas de l'UOIF ou le Millî Görü° avec une idéologie proche des frères musulmans - ou, parfois, de sensibilité nationale, les membres de la fédération ayant le même pays d'origine. À ce titre, le RMF représente plutôt une sensibilité marocaine. À la différence des autres associations où cette sensibilité nationale est due à un mouvement du haut vers le bas - à l'exemple de la Grande Mosquée de Paris dirigée par l'Algérie -, au RMF, à la suite des premières élections du CFCM, on a constaté que la majorité des personnes qui siégeaient à son conseil d'administration n'appartenaient à aucune fédération, et comme par hasard, c'était des gens d'origine marocaine. Cela s'explique par le fait que les Algériens étaient regroupés autour de la Grande mosquée de Paris, le comité de coordination des musulmans turcs de France fédérait les Turcs, les musulmans africains étaient regroupés autour de la Fédération française des associations islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA). Il n'y avait ainsi que la sensibilité marocaine qui n'était pas regroupée, car la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF) était une coquille vide. À partir de là, plusieurs cadres élus au sein du CFCM sur des listes indépendantes se sont retrouvés. Là a émergé l'idée de créer une fédération regroupant ces indépendants. Comme il s'agissait de personnes ayant pour pays d'origine le Maroc, un lien s'est créé avec ce pays, qui était intéressé pour aider ce nouveau groupe. Une collaboration est donc née entre le RMF et le ministère des Habous (des affaires religieuses) du Maroc. Cette collaboration porte sur les imams : ainsi une trentaine d'imams marocains officient en France, soit plus que les imams algériens ou turcs. En outre, plusieurs imams viennent du Maroc en France pendant la période du Ramadan afin d'encadrer les prières nocturnes. Enfin, des colloques sont organisés : 13 congrés régionaux ont ainsi lieu tous les ans avec des savants de différents pays. L'un des objectifs est de se rapprocher davantage des jeunes car, aujourd'hui, ils ne se sentent pas compris par des imams qui manquent de compétences linguistiques et parfois même théologiques.

Depuis 2006, date de création du RMF, deux de ses membres l'ont présidé : M. Moussaoui puis M. Kbibech qui est également aujourd'hui président du CFCM.

L'une des principales difficultés rencontrées par les musulmans en France est le manque d'imams disposant de compétences suffisantes en matière linguistiques en français et en arabe, théologiques, sociologiques et historiques. En effet, l'imam est appelé pour permettre la réconciliation entre musulmans, au sein d'un couple, et a parfois un rôle d'assistant social en accordant des audiences à des gens qui sont désemparés ou avec des problèmes. Or pour pouvoir jouer son rôle au sein de la société, l'imam doit connaître le contexte historique et politique français ainsi que les caractéristiques de la laïcité. Le fait que la France sous-traite la question des imams à certains pays musulmans ne résoudra pas les problèmes. Il faut faire émerger une classe d'imams « franco-français » qui ont étudié en France, connaissent les us et coutumes du pays dans lequel ils évoluent, et le contexte français, afin de permettre une proximité avec la jeunesse. Pour moi, c'est aux musulmans de France de gérer les imams, c'est une question interne à la France. Faute de pouvoir le faire, certains musulmans se tournent vers les pays d'origine, par nécessité, car ils n'ont pas les moyens financiers et humains pour gérer le culte en France par eux-mêmes. Or, les pays d'origine n'ont pas les mêmes préoccupations que la France et ne comprennent pas forcément les difficultés découlant de la loi de 1905. En outre, ils ne disposent pas forcément des moyens humains et financiers.

Concernant le CFCM, son action a en partie était paralysée au début par le tiraillement des différentes fédérations qui le composaient pour accéder à la présidence. Il y avait ainsi presque une guerre interne. Or, au-delà de la symbolique pour le pays d'origine, la présidence n'a aucun d'impact sur la vie quotidienne des musulmans de France. Que l'Etat ait voulu créer le CFCM, cela se comprend. Il fallait pousser à sa création. Toutefois, les acteurs du CFCM n'ont pas joué pleinement leurs rôles pour plusieurs raisons : manque de compétences, attitudes dictées par d'autres motivations, influences ultraméditéranéennes, déconnexions par rapport aux besoins de la population... Cependant, mes propos peuvent vous étonner venant d'une personne qui dirige une fédération. Cependant, je suis également imam et sur le terrain, j'encadre des jeunes et je vois que l'on n'est pas encore parvenu à une gestion apaisée de l'Islam de France. Ainsi, l'UOIF s'est retirée car il n'a pas pu avoir des présidences en région, ce qui a contribué à fragiliser le CFCM. Nous-mêmes, musulmans, avons fragilisé le CFCM alors qu'il représente une institution importante pour l'organisation de l'Islam de France. Cette instance est encore nouveau-né, il faut lui donner le temps afin qu'elle puisse acquérir une certaine légitimité. Il n'y a que par ce moyen que l'on pourra mettre tout le monde autour d'une table. On a attendu de lui beaucoup de réalisations, qu'il n'a pas pu toujours atteindre. Ainsi, il est l'interlocuteur des pouvoirs publics. En outre, certaines questions nécessitent une organisation nationale, comme la gestion de la fête de l'Aid el Kebir, la question de la représentativité auprès des médias nationaux et régionaux et la question des aumôniers. On ne peut pas jeter l'anathème sur cette organisation en disant qu'elle ne fait rien.

Depuis 2013, on constate toutefois un apaisement avec la mise en place d'une présidence tournante biennale entre les trois organisations arrivées en tête aux élections (Grande Mosquée de Paris, RMF, comité de coordination des musulmans turcs de France). Malheureusement, les autres organisations ne s'intéressent plus au CFCM ou s'en sont retirées. Cet apaisement est venu un peu tardivement, mais le nouveau président a la volonté de réunir tout le monde autour de la table. Ainsi, après la réunion fin 2015 qui s'est tenue à l'Institut du monde arabe regroupant tous les acteurs de l'Islam de France, l'UOIF a fait part de son intention de revenir au CFCM. Une lettre au président du CFCM a été écrite en ce sens. J'espère que cela va permettre de donner une certaine légitimité au CFCM, chose que tout le monde attend.

Une autre question se pose pour le CFCM : celle de sa légitimité auprès des jeunes. Le CFCM n'est que la représentation de la réalité des mosquées aujourd'hui. Or, les mosquées sont généralement dirigées par la classe ouvrière arrivée dans les années 1960 en France, c'est-à-dire des anciens. La moyenne d'âge est ainsi de 65 à 68 ans, et leurs intérêts divergent avec ceux de la jeunesse. Il n'y a pas non plus dans les mosquées une vraie démocratie et une vraie gestion qui permet de satisfaire tous les publics. Or, dans les quinze prochaines années, la cartographie de l'Islam en France va changer. La classe ouvrière vieillissante aujourd'hui ne sera plus là ; le relai devra donc être passé à la jeunesse. La question est de savoir à quelle jeunesse va-t-on donner la direction des mosquées. En effet, ce n'est pas forcément une jeunesse qui est formée et à laquelle on a ouvert la porte à la gestion des lieux de culte. Dans certaines régions, on trouve des mosquées qui font un travail extraordinaire auprès des jeunes. Les activités touchent alors à tous les domaines : ouverture à la société, aux pouvoirs publics, à la jeunesse, aux femmes, aux convertis. Malgré les résistances parmi les présidents ou les gestionnaires de mosquée, nous essayons de propager ce modèle, tant bien que mal d'ailleurs. Il faut préparer l'après « première génération » à la gestion des mosquées. Or, je ne pense pas que nous ayons une classe de jeunes suffisamment prête pour prendre en charge la gestion des lieux de culte, car elle manque notamment de discipline. La jeunesse a une vision utopique : la gestion du culte devrait se faire par des élections, avec une représentation émanant du bas vers le haut, ce qui est impossible. On ne peut pas faire voter cinq millions de musulmans pour la représentation du culte. On ne peut pas créer un État dans l'État. Je crains ainsi le passage générationnel, qui n'est pas assez préparé. Certains surfent sur ce problème, notamment le salafisme. La jeunesse est séduite par ce genre de discours car il se fait dans leur langue - le français - et vulgarise la compréhension de la théologie musulmane. Il y a, à cet égard, une responsabilité des fédérations et des mosquées qui n'ont pas joué pleinement leurs rôles. Toutefois, on ne peut pas leur en vouloir car elles manquent de moyens financiers et humains. Il est ainsi difficile de trouver des vrais cadres pour gérer un lieu de culte, ou un imam qui a les compétences nécessaires pour être un bon imam.

C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de créer un institut de formation des imams. Certes, il existe aujourd'hui 3 instituts de formation des imams en France, dont deux qui appartiennent à l'UOIF, avec une tendance idéologique particulière. En outre, la majorité des personnes qui s'inscrivent dans ces instituts sont des jeunes qui n'ont aucune aspiration à devenir imams. Une grande partie sont des femmes. Ils souhaitent assouvir leur soif de connaître la culture et religion musulmane, en s'inscrivant à Château-Chinon ou en Ile-de-France, ou en suivant les cours par correspondance. Quatre de mes élèves sont inscrits dans ces institutions. Leur programme est très léger par rapport à ce que l'on exige d'un imam. Il est nécessaire à mes yeux de créer un véritable institut de formation d'imams et de trouver un financement car celui-ci ne peut pas être assuré par les seules mosquées. C'est pourquoi, on se tourne vers les pays d'origine - c'est ce que l'on essaye de faire en envoyant des imams se former à Rabat et revenir. Certains ne sont pas satisfaits de cette formation, car elle est en déphasage par rapport aux besoins en France, faute de bénéficier d'une pédagogie et d'un discours structuré répondant aux besoins de la France. Cela fait 26 ans que je suis sur le terrain, je vois le discours qui peut toucher notre jeunesse. Or la formation dispensée n'est pas vraiment adéquate aux besoins français.

C'est la difficulté qui existe aujourd'hui : comment former des imams en France, dans un institut désintéressé, qui ne serait influencé par aucune idéologie, ni pays étranger et dans lequel on puisse assurer une vraie formation théologique pour répondre aux besoins de la communauté musulmane. Vu la loi de séparation de l'État et des églises de 1905, on ne peut pas demander à l'État de le prendre en charge. Il y a une piste avec l'Alsace-Moselle. Mais l'Islam n'étant pas reconnu dans le régime concordataire, cela soulève des difficultés.

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