Intervention de Chems-Edine Hafiz

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 30 mars 2016 à 14h00
Audition de M. Chems-Eddine Hafiz représentant de la grande mosquée de paris

Chems-Edine Hafiz, vice-président de la Grande Mosquée de Paris :

Je vous remercie de votre invitation. Avocat de profession, je parlerai ici en tant que vice-président du CFCM pour la Grande Mosquée de Paris.

Le CFCM est le résultat de plusieurs tentatives de créations d'une instance représentative du culte musulman qui ont eu lieu dans les années 1990. Sous le ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement a été lancée l'istichara ou « consultation » qui a eu le mérite de réunir pour la première fois l'ensemble des dirigeants d'associations gérant des lieux de culte. C'est sur la base de cette impulsion qu'a été créée en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, le CFCM, comme association loi de 1901 qui a permis aux grandes fédérations de se retrouver dans une instance commune.

Je ne connais pas les critères qui permettent à une association cultuelle d'être considérée comme une grande fédération. Toujours est-il que la Grande Mosquée de Paris en est une ; elle est, vrai ou faux, très proche de l'Algérie, tandis que le Rassemblement des musulmans de France était proche du Maroc. Il y avait également une fédération africaine ainsi que, à l'origine, un service de l'ambassade de Turquie ; il n'y avait pas, à l'époque, d'association de musulmans turcs.

M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, a été nommé président de ce CFCM, non par élection, mais par un consensus entre les fédérations et les pouvoirs publics. Il a été considéré comme l'homme fédérateur pouvant assurer la représentation du culte musulman.

Le problème est qu'on a voulu faire du CFCM à la fois un équivalent du consistoire chargé de gérer les questions religieuses et un équivalent du conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), regroupant et représentant les musulmans. Cela était aberrant et nous l'avons signalé à plusieurs reprises. La confusion a été entretenue par les pouvoirs publics et le CFCM a toujours refusé de jouer ce rôle de représentation des musulmans qu'on a voulu lui faire jouer. Par exemple, lors d'une prise d'otage par des islamistes en Irak, l'État a incité le CFCM à y envoyer une délégation. Exemple plus récent : lors de l'opération « Plomb durci » de l'armée israélienne, le CFCM a été invité à des réunions avec le ministère de l'Intérieur et le CRIF pour gérer les manifestations qui avaient lieu. Cela a été le cas aussi en 2005 au moment des manifestations - le CFCM a alors refusé, et c'est l'UOIF qui a joué ce rôle pour établir une « fatwa », ce que je trouve personnellement étonnant en droit français.

Dans un pays laïc, est-il normal qu'une organisation chargée de l'organisation du culte ait un rôle de représentation de la communauté religieuse auprès des pouvoirs publics ? Cela mène au communautarisme et cela me semble d'autant moins opportun que je ne crois pas qu'il existe en France une « communauté musulmane ».

La Grande Mosquée de Paris a été créée en 1926, avec comme toile de fond le sang versé par les musulmans au cours de la Première guerre mondiale. L'Assemblée nationale a voté à cette occasion une subvention de 500 000 francs et le don d'un terrain sur lequel est construite la Grande moquée. Les statuts de cet établissement ont été déposés au tribunal d'Alger, dans l'un des trois départements français d'Algérie de l'époque, afin de bénéficier de financement et de permettre aux ministres du culte y officiant d'être rémunérés, car la loi de 1905 ne s'y appliquait pas. Le recteur de la Grande Mosquée de Paris était, depuis cette date, l'aumônier national.

À la fin des années 1980, de nouvelles institutions, en particulier l'UOIF et le RMF, se sont développées et ont contesté à la Grande Mosquée de Paris son leadership historique au sein de la communauté cultuelle musulmane.

L'institut musulman de la Grande Mosquée de Paris a été créé, de façon un peu fictive, pour permettre à l'État de subventionner un institut. La société des Habous - c'est-à-dire des biens affectés au domaine cultuel - était une association loi 1901 qui avait pour mission première d'organiser le pèlerinage à La Mecque des populations musulmanes des colonies, en y possédant des hôtels, etc. La société des Habous est la propriétaire légale de la Grande Mosquée de Paris, et c'est la seule structure qui existe juridiquement ; la Grande Mosquée de Paris est simplement une appellation d'usage.

Tous les recteurs ont été d'origine algérienne. Le premier recteur, M. Ben Ghabrit, avait été proposé par le maréchal Lyautey et avait été chef de protocole du roi du Maroc. Après un flottement en 1956 à la mort de celui-ci, c'est le père de l'actuel recteur, Hamza Boubakeur, qui a pris la tête de la Grande Mosquée, jusqu'à sa mort en 1982. Ensuite, ce sont des algériens qui ont été nommés directement : d'abord Cheikh Abbas jusqu'en 1989, puis un recteur médecin de formation jusqu'en 1992, et depuis cette date l'actuel recteur Dalil Boubakeur.

La Grande Mosquée est à la fois un lieu de culte, avec des salles de prière et des imams mis à disposition des fidèles, et un institut de formation chargé de former les ministres du culte. Il y a également une école d'apprentissage de la langue arabe pour les enfants, car il est souhaitable de prendre connaissance du Coran en arabe, un verset du Coran précisant que ce dernier a été révélé en arabe.

Comme celles d'Évry et de Lyon, la Grande Mosquée de Paris peut, en vertu d'un arrêté ministériel, désigner des sacrificateurs, jouant ainsi un rôle important dans la pratique du halal. Elle donne dans ce cadre son agrément à des sociétés habilitées à faire le sacrifice selon le rite musulman.

L'institut Al-Ghazali, indépendant de l'institut musulman, dispense quant à lui des cours pour la formation des imams et des aumôniers. Il a conclu depuis 2015 un accord avec l'Université de Paris pour un diplôme universitaire.

En effet, sur la formation des imams, la principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés - tout comme l'institut européen de sciences humaines de Château-Chinon sous l'obédience de l'UOIF - est que, même si elle s'adresse à des bacheliers pour une formation de quatre années, l'inscription ne donne pas droit au statut d'étudiant, et ne permet donc pas d'accéder à un certain nombre de droits et avantages aux élèves en formation. Nous avons essayé de faire en sorte que les matières profanes, notamment le droit et les libertés publiques, soient enseignées à l'université. Cela permettrait aux personnes qui suivent cette formation d'avoir le statut d'étudiant, un diplôme universitaire, mais aussi une approche de citoyen en plus de leur approche théologique. Les imams de la Grande Mosquée de Paris font beaucoup d'effort pour que la formation corresponde aux attentes des jeunes. Avec le diplôme universitaire, ils peuvent désormais avoir le statut d'étudiant, accéder à l'université et s'acquitter ainsi au mieux de leur mission.

La Mosquée de Paris bénéficie de dotations de l'État algérien. Chaque année, un volet de la loi de finances prévoit, dans le budget du ministère des affaires religieuses, une subvention à la Grande Mosquée de Paris pour le salaire des imams envoyés en France.

En effet, un accord a été signé entre le ministre des affaires religieuses algérien et la Grande Mosquée de Paris afin que 125 imams formés en Algérie soient envoyés en France pour une durée de quatre ans et rattachés à la Grande Mosquée. Les étudiants intéressés doivent faire preuve d'aptitudes en français. Des responsables du ministère de l'intérieur français examinent les candidatures des futurs imams. Ceux qui sont retenus sont ensuite répartis sur l'ensemble du territoire national. Ils bénéficient du statut de fonctionnaires algériens et sont sous l'autorité du recteur de la Grande Mosquée de Paris. Outre l'Algérie, le Maroc et la Turquie ont signé un accord similaire avec la France.

Aujourd'hui, on constate un déficit de formation de nos imams. On n'a pas assez de ministre du culte au sein de la communauté musulmane. Cette question mérite réflexion.

Certains de ces imams formés en Algérie s'installent durablement en France. On n'a jamais constaté de défection, ni d'incident avec des discours hostiles à la Nation ou à une autre communauté, ni même d'ingérence dans la politique nationale ou internationale de la France. Ces imams sont uniquement chargés des prêches religieux. Pour les questions de société, il revient à Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, de définir la doctrine.

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