Intervention de Amar Lasfar

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 30 mars 2016 à 14h00
Audition de M. Amar Lasfar président de l'union des organisations islamiques de france

Amar Lasfar, président de l'Union des organisations islamiques de France :

Merci de votre invitation. L'UOIF appartient au paysage confessionnel musulman de notre pays depuis sa création en 1983 à l'initiative de neuf mosquées - qui étaient plutôt des salles de prière. Nous avions vu la situation qui existerait trente ans plus tard, regroupant des mosquées et des écoles pour un Islam de France. À l'époque, l'Islam était pratiqué par les immigrés. L'Islam franco-français n'était pas connu.

Nos buts étaient de faciliter la pratique du culte, d'aider à l'intégration et à la sédentarisation, et d'organiser un culte conçu et pratiqué en France. On ne parlait pas encore d'Islam de France, mais d'Islam en France.

À l'heure actuelle, nous regroupons 285 associations cultuelles, dont des mosquées cathédrales créées dans les années 2000.

Notre premier fondement est l'indépendance, qu'elle soit politique, vis-à-vis des pays d'origine, ou religieuse, quant aux conceptions, à la lecture, à la compréhension. Nous nous inspirons de ce qui se passe dans le monde. L'Islam est différent au Moyen-Orient, au Maghreb, dans le Sud-Est asiatique. Il porte l'empreinte culturelle de chaque pays. Pourquoi la France ne le marquerait-elle pas de son empreinte ?

Notre deuxième fondement est la lecture contextualisée, sur laquelle a travaillé M. Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux. Il s'agit d'avoir un oeil sur le texte, un oeil sur le contexte. L'interpellation des textes a été initiée par l'UOIF. S'il n'existe qu'un seul Islam dans ses fondements, il y en a une grande variété dans la pratique. Nous mettons l'accent sur les finalités du texte. Nous sommes dans l'évaluation de ce qui peut être réformé. Des instituts ont été créés dans les années 1990 pour outiller cette recherche intellectuelle. Notre rencontre annuelle du Bourget, en 2005, portait sur la question : « Islam de France, de quelle lecture s'agit-il ? » Le texte est divin mais l'interprétation est humaine. Charge à l'homme d'en faire une lecture en harmonie avec le pays où il vit.

Notre troisième fondement, pratique, porte sur les ministres du culte et les fatwa, c'est-à-dire les avis religieux. Les imams sont formés en langue française, à la culture, à la laïcité. En 1992, l'Institut européen des sciences humaines a été créé à Château-Chinon, avant d'ouvrir une antenne à Paris, près de dix ans plus tard. On ne peut pas continuer à importer des imams. La langue des musulmans de France est le français. L'arabe est la langue de la religion. Pour moi qui suis originaire du Maroc, l'arabe est déjà une deuxième langue. On ne peut pas non plus répondre aux croyants par des avis religieux venus de l'étranger. L'avis d'un savant n'est pas sacré. Il faut avoir l'esprit critique. On n'est pas tenu de suivre à la lettre les quatre écoles jurisprudentielles du monde musulman. Elles doivent nous inspirer : pourquoi ne pas créer une cinquième école de France et d'Europe ? En 1994, le Conseil européen de la fatwa a été créé pour réunir des spécialistes, en majorité des imams qui opèrent en Europe, ainsi que des membres issus du monde musulman.

C'est à la pratique musulmane de s'adapter à la société et non l'inverse. L'Islam ne doit pas la brusquer ni remettre en cause les équilibres qui existaient auparavant. La loi de 1905 a été qualifiée de « compromis fragile ». M. Chevènement nous avait demandé si nous étions favorables à sa remise en cause. Nous avons répondu négativement. C'est une loi généreuse et libérale qui permet à la religion d'être pratiquée, de se développer.

En 2015, sur 127 communiqués de l'UOIF, 75 allaient dans le sens de la dénonciation de la barbarie. Nous ne sommes pas outillés pour la déradicalisation. Il faut des spécialistes, psychologues, policiers, juristes. En revanche, seuls les imams et les responsables associatifs peuvent assurer la prévention. Leur travail dans les mosquées doit être salué. Les jeunes suivent l'orthodoxie et refusent la radicalisation. Celle-ci émane des mosquées sur internet - ce sont les fatwa transcontinentales.

La laïcité est mon cadre, qui me permet de m'épanouir et de pratiquer ma religion. Les musulmans sont d'abord des citoyens. Une année, pour la fête de l'Aïd-el-Kébir, nous avions reçu la ministre de la solidarité entre les générations, Mme Codaccioni. Elle avait lu notre slogan « citoyen d'abord, musulman ensuite » et nous avait salués en disant que nous avions résumé toute la philosophie de notre présence dans ce pays. Mes prêches vont dans le sens de la citoyenneté, d'un contrat entre les musulmans et la société. Je dis : « Vous appartenez à votre pays avant de partager votre culte avec d'autres ». La spiritualité de l'UOIF apaise, responsabilise et apprend aux fidèles le vivre ensemble. Ce sera le thème du prochain rassemblement au Bourget.

L'organisation du culte musulman a commencé en 1986, selon une première version imaginée par M. Pasqua, ministre de l'intérieur. Son idée de consistoire n'a pas fonctionné en raison des spécificités de l'Islam. En 1989, six personnalités - j'en faisais partie - ont été réunies par M. Joxe au sein du Conseil de réflexion sur l'Islam de France (Corif), jusqu'en 1993 En 1994, M. Debré a élaboré une charte musulmane, bourrée de versets, à laquelle nous nous sommes opposés car elle était incompatible avec nos principes. Nous disons qu'il n'existe qu'un document de référence, la Constitution. En 1999, M. Chevènement a rassemblé des personnalités issues de six mosquées, avant qu'en 2003, M. Sarkozy donne naissance au CFCM. Celui-ci est le représentant légal des musulmans de France, mais il n'a pas encore la crédibilité nécessaire. Son président, M. Kbibech, met en avant ce qui lui faisait défaut : la jeunesse, les femmes, la majorité des mosquées. Le dernier scrutin du CFCM n'a concerné que 950 mosquées, sur 2 500. C'est trop peu, d'autant qu'il existe en France une mosquée pour 3 000 personnes, contre une pour 2 000 en Allemagne et une pour 1 250 en Grande-Bretagne. Pour cela, il faut des financements. Hormis une vingtaine de mosquées financées par des organisations ou des États étrangers, l'immense majorité est financée par la communauté musulmane. Elle est généreuse, mais il faut l'impliquer - il y a cinq à six millions de musulmans, ce qui représente un fort financement.

Il faut prendre des précautions avec le financement. Le CFCM travaille sur d'autres pistes, telles que le pèlerinage. Il existe aussi de petites passerelles vers l'argent public, de façon légale.

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