Intervention de Delphine Ernotte Cunci

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 7 décembre 2022 à 16h35
Objectifs et moyens des sociétés de l'audiovisuel public — Audition de mmes delphine ernotte cunci présidente de france télévisions sibyle veil présidente de radio france marie-christine saragosse présidente de france médias monde et M. Laurent Vallet président de l'institut national de l'audiovisuel

Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions :

Je suis très heureuse de cet échange avec votre commission à l'occasion de l'examen de notre avenant du COM.

Je voudrais dire tout d'abord que l'avenant précédent a porté en lui un plan de transformation très ambitieux et respecté, qui se poursuivra en 2023. Pour être brève, je vous présenterai les trois priorités qui ont été données à France Télévisions.

En premier lieu la puissance numérique de France Télévisions, que je voudrais évoquer en m'appuyant sur des chiffres de Médiamétrie. Nos audiences linéaires représentent environ 30 % de parts de marché pour une moyenne d'âge pondérée de 61 ans. Nous avons une couverture de la population très importante, puisque nous couvrons environ 91 % de la population par mois, mais avec les différents acteurs réunis autour de la table, nous arrivons en réalité à 100 % : tous les Français ont un contact avec le service public.

Passons maintenant à nos plateformes propriétaires. Nous avons énormément simplifié l'offre, et nous nous sommes recentrés sur deux grands axes. Tout d'abord Franceinfo qui est une offre commune à nous tous : il s'agit du premier site d'actualités en France. Ainsi, 37 % des Français s'y rendent chaque mois, avec une moyenne d'âge de 45 ans.

France.tv, notre plateforme de contenus, qui rassemble tous types de contenus et en particulier la fiction, le cinéma, et la culture, est la première plateforme vidéo de France. Elle est passée première en juillet et en août devant TF1 et M6 et témoigne d'une forte progression, avec plus de 30 % d'augmentation d'utilisation en un an. Les audiences ont doublé en quatre ans : nous atteignons aujourd'hui 27 millions de visiteurs uniques par mois. Franceinfo, compte de son côté 22 millions de visiteurs uniques par mois, soit un taux de couverture de plus de 40 % de la population. Ce qui est supérieur à Netflix. La moyenne d'âge est aussi de 45 ans. Il faut également noter que 25 % des contenus des 170 millions de vidéos vues par mois sont des contenus jeunesse.

Les réseaux sociaux représentent notre troisième pilier, puisque nous fabriquons des contenus pour nos antennes linéaires, pour nos offres numériques et pour les réseaux sociaux. Si l'on s'intéresse au nombre d'abonnements, nous arrivons à 11 millions d'abonnements, dont 3,7 millions sur France.tv slash, qui est l'offre destinée aux jeunes adultes entre 18 et 35 ans, représentant environ 10 millions de personnes en France. Il faut ajouter à cela 5 millions d'abonnés sur Franceinfo.

Si cette percée est très importante, nous souhaitons aller évidemment plus loin : notre objectif est de doubler notre couverture du numérique, c'est-à-dire de toucher autant de personnes avec le numérique qu'avec les chaînes traditionnelles.

Notre deuxième priorité concerne la création et la culture, ainsi que l'accès à la culture pour tous. Cette priorité est d'autant plus importante au moment où les dépenses liées à la culture représentent le premier poste supprimé par les Français en cas de difficulté financière, comme c'est le cas aujourd'hui.

Culturebox nous a permis d'opérer un très grand bond en avant en 2021 à l'occasion du second confinement. C'est aujourd'hui la plus grande salle de spectacle de France : chaque semaine, 8 millions de Français sont au contact d'une pièce de théâtre, d'un concert ou d'un opéra sur la chaîne. Nous allons poursuivre le développement de cet « ovni » audiovisuel, car il joue pour nous un rôle assez central d'accès universel à la culture sur tous les territoires. Cet objectif pour la culture se traduit aussi par nos investissements en création audiovisuelle et cinématographique, à hauteur de 500 millions d'euros par an. Ils sont donc d'un très haut niveau, marqué par une forte progression, et ce malgré les effets de l'inflation sur nos comptes.

Notre troisième priorité que nous partageons avec Radio France est notre place sur les territoires : plus de 50 % de nos effectifs se situent hors de Paris, si on compte les régions et les neuf territoires et départements ultramarins. Je ne reviendrai pas sur l'outre-mer, bien que le sujet soit très important. Je centrerai mon propos sur les collaborations menées avec Radio France et sur la l'offre de proximité en région : les matinales communes avec France Bleu qui continuent et la multiplication des décrochages sur France 3, c'est-à-dire des programmes spécifiquement régionaux, qu'ils soient culturels ou sportifs. Dans ce cadre, l'année 2023 marquera une très grande étape, puisque nous avons décidé de mettre en place un projet intitulé Tempo qui vise à compter de septembre 2023 à rendre les éditions du 12/13 et du 19/20 de France 3 intégralement lancées depuis nos 24 antennes régionales. Ces futures éditions seront baptisées « Ici midi » et « Ici soir », avec l'objectif de renforcer notre offre commune sur le numérique. En effet, l'offre de proximité représente une attente très forte des Français vis-à-vis du service public : ce projet nous permettra de « dé-parisianiser » notre offre d'information sur l'ensemble des territoires.

Nous portons évidemment en perspective un projet d'élargissement et de puissance du service public. Comme l'avez rappelé, ce projet d'avenant s'inscrit dans la continuité du plan stratégique précédent, décidé en 2018. Il va nous appartenir, avec vous tous, de discuter de la suite de notre place certes, mais surtout de la suite pour l'audiovisuel public. Je voudrais dans ce cadre revêtir mon costume de présidente des télévisions et radios publiques européennes pour vous faire part de ce que l'on peut observer en Europe. Nous distinguons trois scenarii pour le service public.

Le premier scénario est un scénario de rétrécissement, à l'image de l'Espagne où l'opérateur public a subi des coupes budgétaires franches de 25 % qui ont entraîné 50 % de baisse d'audience. Ainsi, la télévision publique espagnole ne pèse plus très lourd dans le paysage médiatique du pays. De même, les États-Unis où l'opérateur public a dû se recentrer sur des missions spécifiques de service public et a laissé la place aux sociétés commerciales ; finalement on peut dire qu'il n'y a pas de service public américain, ce qui entraîne la situation que nous connaissons, marquée par des médias d'opinion qui s'affrontent et la polarisation extrême de ce pays.

Le deuxième scénario correspond au statu quo. Il s'agit du modèle français qui resterait en l'état. Je vous le rappelle, nous avons réalisé des efforts très importants pour France Télévisions. Nous avons augmenté notre productivité de 20 % tout en réduisant les effectifs de manière assez draconienne, soit 15 % de baisse en dix ans. Selon moi, ce statu quo atteint aujourd'hui ses limites et la baisse des financements se heurte aux exigences citoyennes de plus en plus fortes et aux enjeux du numérique dans un contexte de forte concurrence des plateformes américaines et de hausse des coûts liée à l'inflation et aux investissements nécessaires pour faire face à cette concurrence.

Le troisième scénario est celui de l'élargissement, à l'instar de nos voisins allemands ou britanniques : ils ont fait le choix stratégique d'investir dans leur audiovisuel public, pas uniquement d'un point de vue budgétaire, mais aussi d'un point de vue législatif, c'est-à-dire en imposant des règles très fortes de visibilité des médias publics dans les environnements connectés.

Je pense que nous trouverons cet élargissement et les marges de manoeuvre nécessaires en opérant des rapprochements stratégiques, comme nous l'avons déjà fait. Je ne sais d'ailleurs pas s'il existe beaucoup d'entreprises qui, de leur propre chef, de leur plein gré, ont autant construit ensemble. Il convient de poursuivre les efforts massifs sur le numérique. Mon choix se porte vers le troisième scénario, en particulier dans un contexte où l'information est une guerre culturelle. Il n'est d'ailleurs pas étonnant d'observer que le président ukrainien s'occupe énormément de l'information : il n'a pas coupé les crédits de la télévision publique ukrainienne, c'est le moins que l'on puisse dire.

Je pense que nous avons besoin tous ensemble de défendre une exception culturelle française et une exception culturelle européenne, que nous sommes, je pense, les seuls à pouvoir défendre. J'espère que nous aurons l'occasion de reparler de tout cela et du pacte de confiance que nous devons réaliser avec nos concitoyens.

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