En écoutant mes collègues, je me disais que si nous arrivions à consolider les chiffres cités et ceux que je m'apprête à vous donner, nous ferions vraiment honneur à notre pays en termes de puissance du service public, surtout si on le rapporte à son coût, qui doit être à la 14e place à l'échelle européenne.
Dans la cacophonie mondiale que nous connaissons - terrorisme, coups d'État en cascade, guerre en Ukraine, réchauffement climatique, etc. -, nos médias internationaux français de service public sont en première ligne. Ils affrontent d'abord une concurrence exacerbée avec des adversaires qui ont des moyens considérables : les plus pauvres d'entre eux disposent d'un budget supérieur au nôtre d'au moins 100 millions d'euros. Évidemment les tensions internationales ont un impact : en particulier la fermeture de RT en Europe, a entraîné la suspension des médias internationaux en Russie, mais aussi au Mali et au Burkina Faso.
Nous avons donc affaire à un contexte sécuritaire très dégradé pour nos journalistes, avec des menaces sur le terrain, mais aussi des cyberattaques d'une rare violence. Également beaucoup de messages à caractère haineux que nos journalistes, dans leurs vingt langues, reçoivent d'un peu partout dans le monde.
Je vais me permettre de vous citer, monsieur le rapporteur : « rarement la nécessité pour la France de disposer d'un opérateur audiovisuel de taille mondiale n'aura paru aussi nécessaire ». Alors en dépit de ce contexte ou peut-être, à cause de ce contexte, nos résultats n'ont jamais été aussi élevés : on compte 3,1 milliards de vidéos et de sons lancés sur le numérique en 2022 à la fin du mois novembre, avec une durée moyenne de consommation de cinq minutes, ce qui n'est pas totalement négligeable. On compte également 4 millions de podcasts consommés par mois et 100 millions d'abonnés sur Facebook, Twitter, YouTube et Instagram. France 24 est ainsi le premier média français sur Facebook et YouTube, avec 2,5 milliards de contenus consommés pour YouTube seul.
Il est intéressant de noter que nos expérimentations remportent un succès immédiat. Ainsi sur Culture Prime ou sur TikTok, nous avons récolté 1,5 million de « J'aime » en une seule tentative, puisque nous avons commencé avec Culture Prime. Dans le cadre du programme ENTR, qui correspond à l'offre de France Médias Monde pour les jeunes Européens et compte 85 % de 18 à 34 ans, la première vidéo lancée a recueilli 600 000 vues. Nous sommes donc très présents sur les réseaux sociaux, même si le broadcast domine toujours. Pour autant, les réseaux sociaux et le broadcast ne sont pas à opposer.
Il est important d'être présent sur le numérique, et sur les réseaux sociaux en particulier : c'est là que se joue la lutte contre les « infox », c'est évidemment là que nous pouvons réussir à contrecarrer les manipulations d'informations. Beaucoup, y compris les jeunes, attendent de nous une information professionnelle, non partisane, vérifiée, indépendante, libre et démocratique. Il s'agit précisément du premier objectif de notre COM et de son avenant : délivrer une information professionnelle pour lutter contre les « infox », ce que nous réalisons en vingt langues, en plus du français.
Le deuxième objectif fixé dans le COM et dans l'avenant est de communiquer. Nous travaillons beaucoup pour réaliser des objectifs ambitieux que je résumerai sous le terme de « proximité ». Le but est de se délocaliser et d'utiliser la langue de nos auditeurs, notamment des langues africaines qui ont un fort succès. Nous avons également lancé une offre 100 % en ukrainien et renforcé notre offre en russe depuis Bucarest. Les premiers résultats annoncent 100 000 visites en un mois, avant même que nous ayons lancé une communication. Nous avons développé à Dakar une offre destinée à la bande sahélienne en langue fulfulde, qui est la langue parlée par les Peuls, et en mandinka, qui connaît un grand succès. Il faut citer également France 24 en espagnol, qui a réussi l'exploit technique à budget constant de passer en espagnol, 24 heures sur 24. La proximité avec la langue de l'autre, sur un pied d'égalité, telle est notre stratégie et elle se poursuivra.
Le troisième objectif s'est porté sur le numérique qui a opéré un véritable bond. Nous visons surtout la jeunesse évidemment, avec le programme ENTR, partagé avec nos amis allemands de la Deutsche Welle, qui marche très bien. Nous venons également de lancer « le français facile » avec RFI, parce qu'il nous semble que le français est une langue d'émancipation, notamment pour les jeunes et que cette offre performante peut être vraiment utile et constituer un outil attractif pour notre pays.
Nous avons donc une stratégie d'hyperdistribution équilibrée qui porte ses fruits. J'ajoute qu'avec nos collègues, nous avons réalisé, dans le cadre de Lumni, un travail essentiel d'éducation aux médias et à l'information. C'est en effet grâce à cette éducation que nous serons protégés des « infox ».
Le quatrième objectif concerne notre gestion. Nous aurons un budget en équilibre en 2022 après avoir connu des résultats excédentaires durant les deux dernières années. Nous suivons scrupuleusement notre trajectoire et les recommandations de la Cour des comptes, notamment aussi en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et d'urgence climatique, qui est un grand chantier en interne comme sur nos antennes.
Je crois que nous faisons beaucoup de choses importantes que l'on ne valorise pas assez, et c'est dommage. Il y a ainsi des coopérations qui ne se voient pas. Nous sommes effectivement tout à fait en phase sur les cyberattaques. Mais sur la recherche et le développement, je voudrais saluer ce que nous avons réalisé avec France Télévisions et avec Radio France. Sans France Télévisions et son travail sur l'intelligence artificielle, il serait impossible de sous-titrer toutes les vidéos de France 24 en ukrainien. Nous avons développé avec Radio France la circulation à travers l'offre de podcasts. La capacité du service public à mutualiser ses compétences est essentiel pour le futur ; je pense notamment à l'INA, qui possède beaucoup d'outils de recherche pour préparer l'avenir.
Je conclurai sur les enjeux de financement : pour cette année, le budget s'adapte, pas avec une grande marge, mais il s'adapte en comparaison des années précédentes pendant lesquelles il a fallu faire des économies draconiennes. Néanmoins, l'enjeu concerne le futur. Il est double : la nature du financement et sa trajectoire. À l'international, la nature du financement n'est pas une simple posture. Cette nature a des conséquences immédiates. Nos amis allemands nous ont fait savoir qu'une budgétisation revenait à un « flirt » beaucoup trop étroit avec l'État et que cela n'était pas conforme à la législation allemande. Nous vivons donc avec une épée de Damoclès sur nos têtes : nous pourrions perdre notre fréquence FM à Berlin qui existe depuis 24 ans, si nous étions budgétisés.
Il faut savoir que, sur les réseaux sociaux, Russia Today avait demandé que France 24 soit qualifiée de chaîne gouvernementale, au prétexte que celle-ci était une chaîne publique. YouTube s'est justement opposé à cette vision en montrant qu'il existait un faisceau d'indices d'indépendance. Mais si nous perdons un financement affecté, nous nous retrouverons avec le même statut que Russia Today...
Faut-il faire une charte républicaine ? Je pense qu'il nous faut une charte républicaine de l'indépendance, comme la BBC en a une, pour garantir à l'international notre indépendance, tout comme les modalités de financement et la non-budgétisation. Je demande donc au Parlement de nous donner une position de principe : affirmer la nécessité de garder une recette affectée, quelle que soit sa forme.
Il y a enfin la trajectoire financière. Je sais qu'elle sera contrainte. Puisque les dépenses de France Médias Monde sont incluses dans le calcul de l'aide publique française au développement à hauteur de 20 millions d'euros, eh bien mettons les recettes qui vont en face de ces dépenses en aide publique au développement. Cela allégera la pression sur le reste du secteur et cela nous permettra de continuer à ne pas décrocher face à la concurrence internationale, alors même qu'il s'agit, à travers l'ensemble de nos actions, de favoriser la liberté d'informer. C'est un bien précieux, le fondement de la démocratie, malmené à l'échelle du monde et dont la défense constitue une mission essentielle des services internationaux français.