Les éléments que je vais vous présenter sont issus de l'ouvrage Salariat étudiant, parcours universitaires et conditions de vie, co-écrit avec Jean-François Giret, Catherine Béduwé et Georges Solaux. Jean-François Giret, que vous aviez sollicité aussi, vous prie d'excuser son absence aujourd'hui.
L'objectif du travail mené dans le cadre de cet ouvrage était de disposer d'un regard longitudinal sur le salariat étudiant. En effet, la plupart des enquêtes - notamment de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE) - se focalisent sur une seule année. Notre objectif était de suivre les étudiants sur plusieurs années, en observant l'évolution de leur situation vis-à-vis du salariat tout au long de leur parcours.
Nous avons mené une enquête quantitative dans ce but. Nous nous sommes adressés aux étudiants ayant répondu à l'enquête de l'OVE en 2013, que nous avons réinterrogés pendant trois ans. Parmi les 1867 étudiants interrogés, un tiers concerne chacune des trois années de licence. La moitié de cet échantillon est composé d'étudiants salariés.
Parallèlement, nous avons mené environ dix entretiens par an, afin de cibler des populations particulières d'étudiants - notamment des étudiants ayant abandonné leurs études en raison de leurs activités rémunérées ou à cause de difficultés financières.
Lorsque nous raisonnons sur une année, nous savons qu'environ un étudiant sur deux travaille. En agrégeant les données sur quatre ans, nous avons constaté que plus de 60 % des étudiants avaient exercé une activité rémunérée pendant au moins une année et qu'un peu moins de 10 % des étudiants interrogés avaient travaillé de manière récurrente durant les quatre années.
Nous avons cherché à analyser les effets du salariat en termes de réussite étudiante. Nos résultats montrent globalement qu'il existe des effets plutôt négatifs. Plus le salariat est récurrent, plus les taux de réussite annuelle et de poursuite d'études sont faibles. En outre, on constate un allongement de la durée des études. Plus le salariat est récurrent, plus la part d'étudiants « à l'heure » à la fin de leurs études diminue.
Par ailleurs, nos travaux ont montré que plus le salariat est récurrent, plus la probabilité d'abandonner ses études avant l'obtention du niveau souhaité est élevée. En début de parcours, les étudiants justifient souvent l'abandon de leurs études par des ressources financières insuffisantes tandis qu'en fin de trajectoire, les étudiants salariés évoquent davantage leur manque de motivation à poursuivre des études. Notons que les étudiants salariés sont beaucoup plus nombreux à évoquer un manque de motivation que les étudiants non-salariés. Pour les étudiants salariés, on constate donc des tensions à la fois financières et vocationnelles, pouvant provoquer le basculement vers l'arrêt ou l'abandon des études.
En outre, les étudiants exerçant une activité salariée récurrente déclareront beaucoup plus souvent des changements dans leur manière d'étudier (davantage d'isolement, moins de présence à la bibliothèque universitaire et davantage de travail à des heures où ils sont fatigués). Ces étudiants seront également beaucoup plus nombreux à diminuer leur temps d'études et de loisirs à cause de leur travail.
Nous avons étudié d'autres caractéristiques pouvant influencer la réussite, l'abandon et les manières d'étudier. Lorsque la durée de 18 heures de travail par semaine est dépassée, nous avons pu remarquer un effet très négatif sur la réussite des étudiants salariés. Cependant, les effets sont plutôt neutres lorsque le temps de travail est inférieur à huit heures.
On observe également un effet très négatif sur la réussite lorsque les étudiants sont obligés de travailler durant la période de révision avant les examens. À l'inverse, quand les étudiants déclarent que leur activité rémunérée est en lien avec leurs études, les effets sont moins négatifs, voire favorables, en raison d'un effet de compensation.
Dans le même sens, lorsque des étudiants travaillent sur le campus, les effets du salariat sont moins négatifs ; ils peuvent même être neutres, car le temps de transport est réduit et la socialisation étudiante est accrue.
À la fin de notre étude, nous avons formulé quelques pistes de recommandation. Notre idée est d'inciter les étudiants à réduire le nombre d'heures travaillées et de compenser ces heures non travaillées, indispensables au budget étudiant.
S'agissant des universités, les initiatives concernant la gestion de l'emploi du temps devraient être généralisées, afin de faciliter les possibilités de cumul emploi-études. Une information devrait également être réalisée auprès des étudiants, de sorte qu'ils connaissent mieux les dispositifs mis en place. En outre, davantage d'emplois devraient être proposés sur le campus.
De plus, les employeurs devraient être encouragés à libérer les étudiants avant leurs périodes d'examen. Des solutions sont à trouver pour faciliter les stages ou les mobilités des étudiants salariés. Nous observons en effet qu'un tiers des étudiants interrogés n'ont pas pu réaliser un stage, car ils occupaient déjà un emploi.
Notons que le salariat n'a pas que des effets négatifs pour les étudiants. Dans nos enquêtes ainsi que dans les enquêtes « Génération » menées par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq), on constate que les étudiants valorisent massivement les activités salariées exercées parallèlement à leurs études. On observe également que l'emploi permet aux étudiants de développer leur connaissance du milieu professionnel ainsi qu'un certain nombre de compétences.
En outre, les effets sur l'insertion sont positifs, mais seulement si les étudiants parviennent à obtenir leur diplôme parallèlement à leur emploi. Les effets seront d'autant plus positifs si l'emploi étudiant exercé est un emploi qualifié.