Intervention de Frédéric Sauvage

Mission d'information Conditions de la vie étudiante — Réunion du 20 mai 2021 à 16h30
« emploi étudiant salariat apprentissage» — Audition de M. Julien Berthaud co-auteur de salariat étudiant parcours universitaires et conditions de vie 2019 Mme Vanessa Pinto maître de conférence en sociologie à l'université de reims-champagne-ardennes urca auteure de à l'école du salariat. les étudiants et leurs « petits boulots » 2015 Mm. Aurélien Cadiou président de l'association nationale des apprentis de france anaf frédéric sauvage président de l'association nationale pour l'apprentissage dans l'enseignement supérieur anasup Mme Muriel Jougleux vice-présidente « partenariats et professionnalisation » de l'université gustave eiffel - marne la vallée et france vélazquez vice-présidente déléguée à la formation professionnelle de l'université de cergy cy cergy - paris université

Frédéric Sauvage, président de l'Association nationale pour l'apprentissage dans l'enseignement supérieur (Anasup) :

Incontestablement, le nombre d'apprentis dans le supérieur connaît une dynamique de croissance forte, ininterrompue sur les dix dernières années. Le rythme de développement est de 5 % à 10 % par an.

Cette augmentation s'est d'abord opérée dans des filières professionnalisées, avec un lien très fort au tissu économique. Je pense notamment aux écoles de commerce privées ou publiques, aux instituts d'administration des entreprises (IAE), aux écoles d'ingénieurs et aux IUT. On constate aujourd'hui une extension progressive de l'ancrage et du développement de l'apprentissage dans tous les champs de l'enseignement supérieur.

Entre 30 % et 40 % d'apprentis étaient boursiers l'année précédant leur entrée en apprentissage. Ces chiffres sont issus d'enquêtes réalisées par un certain nombre de nos CFA. Évidemment, cette proportion est notamment liée à la sociologie des établissements de formation.

Une forte demande sociale d'enseignement supérieur existe. À travers l'apprentissage, on observe une diversification des profils sociocognitifs des jeunes. Pour eux, le choix de l'apprentissage s'inscrit très clairement dans une visée de réussite parce qu'ils ont besoin d'une mise en situation et d'une immersion dans le monde professionnel pour réussir.

Un autre aspect clé, notamment lié à la diversification des publics de l'enseignement supérieur, est l'existence de stratégies très volontaristes de la part des jeunes à travers l'apprentissage pour acquérir une expérience. La toile de fond est une difficulté à se projeter sur le marché du travail. L'idée des jeunes est à la fois d'acquérir une expérience, porteuse pour faciliter l'insertion, mais également de se mettre à l'épreuve par le biais d'une entreprise et d'un métier. La notion de métier n'est pas toujours parlante, a fortiori dans le supérieur. On parle plutôt de mission, de compétences techniques et de compétences sociales ou encore de soft skills. Cette dimension n'est pas anodine.

Par ailleurs, plus les jeunes approchent la fin de leurs études, plus l'idée d'aménager une transition intelligente avec la vie professionnelle à travers l'apprentissage relève d'un choix conscient.

Globalement, un tel essor de l'alternance est d'abord expliqué par la dimension culturelle. L'apprentissage dans l'enseignement supérieur existe depuis trente ans. Durant les dix premières années, l'apprentissage n'avait pas toujours bonne presse. L'attractivité de l'alternance nécessite une ingénierie et une culture dans le lien aux entreprises et dans le suivi et l'accompagnement des jeunes. La situation a progressé sur ce plan, facilitant l'accompagnement dans les parcours d'apprentis.

Culturellement toutefois, tous les verrous n'ont pas tous sauté. Dans notre pays, certains pourraient presque regretter le développement de l'apprentissage dans le supérieur, au motif que l'apprentissage et les financements dédiés seraient réservés à d'autres publics.

Pourtant, l'apprentissage est un formidable vecteur d'égalité des chances. En effet, les écoles et les universités aident les jeunes à chercher des contrats. En outre, les jeunes n'ont pas à choisir entre un « petit boulot » et des études.

Notons également qu'il existe une appétence très forte des entreprises pour l'apprentissage. Celles-ci font évoluer leurs pratiques de recrutement. L'apprentissage relève aujourd'hui de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Des employeurs souhaitent attirer les publics alternants et leur faire vivre une expérience positive de l'alternance. Une alliance implicite existe entre les universités, les grandes écoles et les entreprises afin de construire des parcours vecteurs d'une expérience fidélisant et attirant des ressources humaines de qualité.

Évidemment, l'essor de l'apprentissage résulte également d'une dérégulation de l'offre. Au départ, pour des raisons culturelles, les conseils régionaux ont peiné à lâcher prise concernant l'enseignement supérieur. Au fur et à mesure, ils en ont compris les bénéfices pour leur territoire. Aujourd'hui, la dérégulation issue de la loi de 2018 ouvre un pan, notamment sur les titres professionnels, concurrençant les diplômes universitaires.

L'apprentissage est source d'une pédagogie de l'expérience, permettant à des jeunes de réussir. Les responsables de formation, les présidents et les directeurs d'établissements de l'enseignement supérieur amplifient leur offre car ils mesurent cet enjeu.

Je serais toutefois prudent avant de dire que l'apprentissage est populaire chez les jeunes et qu'il fait l'objet d'une unanimité dans l'enseignement supérieur. Notons l'existence de pans entiers où il n'est pas si développé, tels que les filières des sciences humaines et sociales. Certes, l'apprentissage s'y ancre mais pas suffisamment, alors qu'amplifier l'alternance serait sans doute nécessaire au vu du profil de ces jeunes.

Pour que l'apprentissage soit véritablement populaire, il faut offrir aux jeunes des parcours de qualité, en sachant construire des rythmes d'alternance mais aussi des modalités pédagogiques attrayantes. L'enseignement magistral est peu adapté face à des publics d'apprentis à qui leur entreprise d'accueil confie des responsabilités. Les formations doivent savoir solliciter l'expérience des apprentis. L'université est parfois un des freins au développement de l'apprentissage ; en effet, les formations en apprentissage nécessitent un grand nombre d'enseignants car l'accompagnement, la personnalisation et le tutorat constituent une charge de travail conséquente. Des ressources non négligeables sont donc nécessaires pour accompagner les alternants.

L'alternance devient de plus en plus populaire lorsque le lien avec l'entreprise se développe de façon satisfaisante et que les jeunes parviennent à mettre en avant les responsabilités qui leur sont confiées. Lorsque nous parvenons à bien articuler le projet pédagogique avec les missions en entreprise, l'apprentissage est une réussite.

Le premier frein au développement de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur est lié à l'instabilité et au manque de visibilité des modèles économiques. On nous reproche presque de nous développer ! Il peut y avoir une concurrence des ressources, pour reprendre les termes de la ministre, entre l'« infra-bac » et l'enseignement supérieur. Cependant, notre pays doit donner de l'espoir à la jeunesse en mobilisant des moyens en faveur de l'alternance. L'instabilité du modèle économique de l'apprentissage doit être résolue, notamment parce que l'université manque souvent de moyens. Or l'alternance nécessite d'investir dans la durée, ce qui suppose une visibilité des modèles économiques. Depuis deux ans, nous changeons constamment de niveau de prise en charge.

Le second frein concerne la reconnaissance de l'investissement pédagogique des ressources humaines de l'université et des grandes écoles dans l'alternance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion